Ce pensum avait pourtant bien commencé, croyant citer Corneille :
dimanche 30 décembre 2007
Sous couleur de jouer
jeudi 20 décembre 2007
Le tableau du maître flamand
Il peut paraître étonnant d’évoquer ici un roman, mais il se trouve que je l’ai découvert sur une bibliographie en ligne d’ouvrages consacrés au jeu. Ayant déjà eu l’occasion d’apprécier la trilogie du capitaine Alatriste, du même auteur, je me suis dit que c’était l’occasion de joindre l’utile à l’agréable. Je dois dire d’entrée que le roman, dont l’édition espagnole date de 1990, n’est pas le meilleur de l’auteur, qui a beaucoup progressé depuis. Il n’en reste que l’idée de base est excellente et rappellera à certains le thème du film Ce que mes yeux ont vu, en ce moment sur les écrans.
Ce tableau d’un maître imaginaire de la renaissance met en scène deux joueurs d’échec, dont l’un tient un cavalier blanc en main, observés dans le fond par une femme en noir. En restaurant le tableau, l’héroïne met au jour une inscription en latin « Qui a tué le chevalier ? » également traduisible par « Qui a pris le cavalier ? ». Détail troublant, le second joueur est mort deux ans avant l’exécution du tableau. Commence alors une enquête historique pour identifier les protagonistes du tableau et résoudre le mystère de cet assassinat vieux de cinq siècle, alors qu’un meurtre dans l’entourage de la restauratrice, lance une double partie d’échec, à l’envers et à l’endroit, à la fois réelle et métaphorique, avec l’assassin. Le suspens est haletant et à valu au livre le grand prix de la littérature policière en 1993.
En tant que joueur, je regrette en premier lieu que ce soit un roman sur les échecs, qui semble le seul jeu à même d’inspirer les auteurs de fiction. Mais l’identité de ce jeu et les symboles qu’il alimente sont parfaitement exploités. Reste que Perez-Reverte s’est senti obligé de tirer le sujet en longueur, notamment en lui ajoutant une histoire sentimentale qui n’apporte rien au roman. De plus, la volonté affichée de l’auteur de préparer soigneusement ses effets, fait qu’on devine souvent à l’avance ce qui va se passer. Inversement, les quelques retournements de situation sont un peu grotesques, avec l’inévitable long chapitre de conclusion pour vous expliquer une solution pour le moins abracadabrante. Je passe enfin sur certains détails vraiment irréalistes, comme la restauratrice qui fume comme un pompier en ôtant le vernis d’un tableau qui coûte des millions de dollars.
Mais ce qui nous intéresse réellement ici est le traitement original réservé au jeu et certaines pensées pénétrantes l’associant de manière astucieuse à l’art. En effet, parce que la réalité est à la fois opposée et complémentaire au jeu, l’auteur applique simultanément l’analyse des échecs à la réalité, et l’anthropologie au jeu, faisant entrer le lecteur dans l’esprit du joueur en composant une partie complète depuis un point milieu : comment remonter le cours du partie juste à partir des pièces prises, comment finir cette partie en anticipant coup par coup ce que va jouer l’adversaire. Un bel éloge du jeu qui fait des échecs un reflet de la vie, et du jeu le but ultime de celle-ci. On y trouve même un hommage au graveur M. C. Escher, qui a su mêler mieux que quiconque le jeu et l’art.
Un roman ludique et plaisant, qui vaut un long discours sur le jeu.
Le tableau du maître flamand d’Arturo Perez-Reverte, JC Lattès 1993, 350 pages, 6 €
jeudi 13 décembre 2007
Ecrire pour le jeu, techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo
Le livre d’Emmanuel Guardiola, est très justement sous-titré Techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo alors qu’on aurait pu de prime abord le prendre pour un livre de game design. En effet, si le livre détaille bien comment « écrire pour le jeu », c’est-à-dire les techniques de la narration vidéoludique, on n’y trouve à peu près rien sur le gameplay. Du moins dans son acception de mécanique de jeu et non comme écriture de l’interactivité.
C’est sa principale qualité, car en se concentrant sur le scénario, l’auteur, même s’il fait de nombreuses références au cinéma, montre bien les spécificités du support informatique, et tout le caractère « potentiel » de l’exercice. Ce faisant, il s’attache en outre à décomposer le processus d’écriture en méthodes plutôt qu’en recettes toutes faites, ce qui me semble judicieux. Mais c’est aussi la principale faiblesse d’un livre qui rappelle sans cesse la nécessité de la cohérence ludique tout en faisant l’économie de l’analyse de ce qui constitue l’essence d’un jeu. Pour reprendre la métaphore cinématographique chère à l’auteur, ce serait comme parler de l’écriture de scénario sans évoquer la conception des dialogues : c’est possible, mais cela offre un résultat quelque peu tronqué. Bref, on a davantage l’impression d’être devant un livre de level design (élaboration du background, cartographie de niveaux, schéma des interactions, courbes de progression…), que de game design.
C’est en soi intéressant, clair et instructif, mais parcellaire. Il est vrai qu’aborder la naissance d’un concept ludique, parce que cela reste du domaine créatif, est assez risqué, et le seul livre de game design qui s’y livre, à savoir Conception et architecture des jeux vidéo, s’y est cassé les dents. Autre lacune : la production est elle aussi presque complètement délaissée. Reste qu’à choisir entre la martingale de Jean-Yves Kerbrat, certes plus complète, et cette initiation à la scénarisation vidéoludique, je choisis immédiatement la seconde. Une référence efficace et accessible sur la question, mais rien de plus. Ce n’est déjà pas si mal.
Ecrire pour le jeu : techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo d’Emmanuel Guardiola, Dixit 2000, 256 pages, 20 €
vendredi 7 décembre 2007
Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : Les faiseurs de monde
La première chose qui frappe à la lecture du titre c’est que l’on ne voit pas bien ce que vient faire le multimédia entre les jeux vidéo et les jeux de rôle. J’ai eu un élément de réponse récemment lorsque un agent de l’administration, me questionnant sur ma formation vidéoludique, m’a dit : « Ah, vous faites une formation multimédia »… croyant sans doute reformuler de manière plus sérieuse, donc plus valorisante, l’intitulé de ma spécialité. Ce à quoi j’ai répondu par la négative. Au contraire, je trouvais a priori pertinent de rapprocher les jeux vidéo des jeux de rôle (sans « s », merci) sous le principe de la création d’univers, et c’est bien ce qui m’a fait acheté ce livre. Hélas, le titre est totalement usurpé et aucun élément du livre ne fait allusion au sous-titre…Le contenu est donc à l’image du titre : bancal. Je crois que la dernière phrase de la conclusion résume parfaitement le livre: « Mais peut-être s’écarte-t-on là un peu du jeu ? » En effet, il n’est question ni des jeux de rôle, malgré un historique, ni des jeux vidéo, en dépit de l’absence d’historique, mais de la pratique de ceux-ci par les joueurs, et plus précisément du profil sociologique de ces derniers. Donc en définitive il n’est pas plus question des jeux de rôle, que des jeux vidéo, que du multimédia ou des faiseurs de monde.
D’abord conçu comme une thèse de 3e cycle, l’ouvrage suinte la langue scolaire et les références universitaires par tous les pores : je ne compte plus les guillemets et les parenthèses qui gangrènent le discours. En outre, on peut avoir 3 pages de résumé de la pensée de tel sociologue fameux qui n’a aucun rapport avec le sujet, simplement pour dire que les joueurs sont des « héritiers » au sens donné par Bourdieu, et prouver que l’auteur a bien potassé ses cours. Or, ces références brouillonnes éloignent l’analyse de l’essentiel : en quoi ces « jeunes, ces bourgeois, ces héritiers » pour reprendre la terminologie très marxiste et pour le moins datée de l’ouvrage, sont différents des autres adolescents de leur âge ? Je pense qu’en commençant par là, l’auteur se serait aperçu que les joueurs sont simplement des adolescents comme les autres, qui se montrent critiques face à la société parce qu’ils sont adolescents et non parce qu’ils sont joueurs, et que cela ne valait pas un ouvrage sur les "refaiseurs de monde".
De même, plutôt que de se demander si le club de tel patelin est représentatif, n’aurait-il pas été préférable de se demander si la population des clubs de jeux de rôle est représentative de sa pratique dans la société ? Par exemple, si l’auteur avait voulu analyser l’importance du football dans notre société, serait-il allé chercher des clubs de supporters, plutôt que le spectateur/pratiquant moyen ? Peut être en aurait-il alors déduit que les clubs conduisent à une échelle de valeurs et un communautarisme en marge de la société, et donc une distanciation critique ? N’est-ce pas en outre les attaques de circonstances à l’encontre de leur passion qui rendent les joueurs hostiles aux médias, et davantage critiques vis-à-vis de la société ? En permanence le sociologue questionne sa démarche, ce qui revient à nier la capacité critique du lecteur, tout en se posant les mauvaises questions. En outre, est-il sage de publier un livre en 2001 fondé sur des études sociologiques datant du milieu des années 90, marqué par la « diabolisation » de la pratique des jeux de rôle ? On se sent ainsi étranger à un discours de justification désormais totalement dépassé, qu’alimente malgré lui l’auteur.
On espérait être affranchi de ce biais pour la partie consacrée aux jeux vidéo, mais c’est au contraire l’absence de polémique qui pilote l’analyse, l’auteur s’inquiétant que le jeu vidéo impose une idéologie capitaliste et ethnocentrée, implicitement acceptée par les joueurs. Et c’est là le reproche principal qu’on peut faire à l’ouvrage : jamais l’auteur ne considère que l’individu qui joue est dans une position cathartique. Pourtant, les Echecs exaltent la guerre, le Monopoly le capitalisme, le Trivial Pursuit l’élitisme, le Risk l’impérialisme… En refusant de considérer ce qui fait les caractéristiques du jeu, il passe à côté de l’essentiel : un jeu sans enjeu, sans mécanisme de compétition, de pouvoir, de dépassement, sans principe de réussite et d’échec, de sanction et de récompense n’est tout simplement pas un jeu. Et si Civilization ou Colonization font référence à l’histoire, c’est qu’elle est un moyen d’accrocher l’imaginaire du joueur, plus que la conquête de Mars qui n’a jamais eu lieu… C’est ce principe d’univers référentiel qui fait qu’un joueur préfère généralement faire exploser des têtes dans Doom, qualifié par l’auteur de militariste, que sauter sur des champignons dans Mario. Et pourtant les champignons de Mario sont éliminés comme les aliens de Doom.
Enfin, certaines erreurs patentes questionnent la légitimité de l’auteur par rapport à son sujet : Sony serait le fabricant de la Dreamcast, le multimédia une métaphore du jeu (monter son propre ordinateur c’est comme réussir un jeu…), les jeux de rôle auraient périclité à cause de la fin des affaires comme celle de la profanation du cimetière de Carprentras (alors que ces jeux ont connu une baisse de la pratique à cause de l’investissement personnel qu’ils requièrent en comparaison de celui nécessaire pour les jeux de cartes à collectionner du type Magic et les jeux vidéo, dont l’avènement pour les premiers et le bond technologique associé à la démocratisation des plate-formes pour le second date de la fin des années 90)…. Bref, un ouvrage novateur par son approche sociologique sur notre passion, plutôt plaisant à lire, mais au contenu dépassé, mal maîtrisé et inabouti.
Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : Les faiseurs de monde de Laurent Trémel, PUF 2001, 310 pages, 23 €
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