samedi 26 avril 2008

Recherches sur les jeux romains

Si le titre est abusif, car l'ouvrage aurait dû s'intituler Recherches à propos des jeux romains, cet essai historique n'en est pas moins intéressant. Certes ce sont surtout l'introduction et plus encore la conclusions qui intéresseront les passionnés de jeux, car ces recherches n'ont aucun fil conducteur et sont parfois très éloignées du jeu. Ainsi l'étude sur un calendrier romain, qui montre une procession d'enfants, n'a rien à faire dans cet essai. D'autre part, parce qu'il s'agit d'une étude ancienne (1923) l'ouvrage s'adresse avant tout aux spécialistes d'histoire ancienne : les nombreuses citations grecques et latines ne sont pas traduites, les notes infrapaginales sont parfois plus longues que le texte lui-même. Cependant si c'est globalement rigoureux, les conjectures hardies à la limite de la spéculation et l'ouverture à un comparatisme ethnologique, plutôt inhabituel, pourront déstabiliser les puristes. Comme quoi, n'en déplaise à Marcel Detienne, tous les historiens antiques ne sont pas hostiles au comparatisme.

Concernant le plan de l'ouvrage, si André Piganiol ne traite pas des jeux privés, à la différence de Richter, il n'oublie pas le théâtre, la musique ou la danse. L'auteur explique bien en outre la différence entre les jeux publics, ceux du cirque (ludi, sans mise à mort), comme ceux de l'ampithéatre (munera, avec mise à mort) qui forment le gros de l'ouvrage. C'est par eux que l'auteur rattache les jeux à une origine religieuse, dans la conclusion de l'ouvrage qui est une très belle démonstration de la façon dont, à partir de faits disparates, un historien est capable de reconstruire les pensées et rites d'une époque : "Les jeux sont donc célébrés principalement en l'honneur des dieux infernaux, des dieux agraires, des dieux qui meurent et ressuscitent, et aussi des dieux cruels qui veulent des victimes humaines. A l'âge ou les hommes se débarrassèrent des monstres buveurs de sang qui pullulaient, c'est-à-dire de ces esprits divins ou de ces morts qui exigeaient, pour assurer leur survie, des sacrifices humains, les jeux durent remplacer les sacrifices abolis." (p. 144). (...) "Ainsi les jeux réalisent leur objet, qui est essentiellement d'empêcher le dépérissement de la nature. Ils sont au premier chef un phénomène religieux, si on définit la religion comme "un ensemble  organisé de croyances et de rites qui se propose d'accroître et de perpétuer le principe de vie de l'individu, du groupe et de la nature". Les jeux sont une méthode et une technique magique pour rajeunir les morts, les dieux, les vivants et le monde entier." (p. 149)

Des articles très spécialisés, mais une synthèse stimulante de la pensée ludique romaine. A lire pour la conclusion.

Recherches sur les jeux romains d'André Piganiol, Publications de la faculté des lettres de l'université de Strasbourg 1923, fascicule 13, 150 p., épuisé.

dimanche 13 avril 2008

Qu'est-ce qu'un jeu ?


Enfin un livre qui aborde frontalement la question sans ressasser les essais de Huizinga et de Caillois. Enfin un vrai livre de philosophie qui se nourrit de sa propre réflexion sans répéter ou épiloguer sans fin sur les assertions, souvent non démontrées, des penseurs précédents. Enfin une démarche exploratoire qui ne cache pas une pensée bancale derrière un langage ésotérique et qui prétend même, de façon didactique, guider le lecteur dans sa réflexion au moyen d'exemples et de comparaisons concrètes, tirés du quotidien, et non de problèmes abstraits ou cas particuliers en usage dans les peuplades lointaines. Enfin une pensée philosophique qui ne cite pas tel philosophe célèbre pour toute démonstration, et qui ne craint pas de remettre en cause les penseurs précédents.

Inversement, le livre de Stéphane Chauvier a les défauts de ses qualités, et on se surprend à douter que l'auteur connaisse bien les classiques de la pensée du jeu, la négligence des écrits antérieurs semblant parfois la simple ignorance de leur existence, impression renforcée par l'absence de toute bibliographie. Le discours de l'auteur est donc très libre, trop parfois quand il se permet d'invalider Epictète, dont la pensée apparaît pourtant nettement plus profonde que sa réfutation partielle en une formule, ou qu'il refuse la classification de Caillois sur un point tout en la validant sur un autre, sans s'émouvoir du paradoxe.

Malgré ce manque de méthode et quelques lacunes épistémologiques, puisqu'il s'agit ici essentiellement de maïeutique, la volonté de prendre en main le lecteur, notamment au travers de l'accès direct aux sources fondatrices (Epictète, Pascal), apparaît comme une initiation à la réflexion sur le jeu, plus que comme la réponse à la question posée par le titre du livre, en dépit d'une tentative de classification, pour le moins bancale, avancée par l'auteur.

Un livre dense mais d'abord facile, écrit sans doute un peu rapidement, qui est une invitation stimulante, par la fraîcheur de sa démarche, à la réflexion sur le jeu.

Qu'est-ce qu'un jeu ? de Stéphane Chauvier, Vrin 2007, 128 pages, 7.50 €

mercredi 9 avril 2008

La vraie vie de Sebastian Knight

Bien que le héros éponyme porte le nom d’une pièce du jeu d’échecs, il serait excessif de dire que La vraie vie Sebastian Knight est un roman sur le jeu. Il est plutôt le roman d’un auteur passionné d’échecs, qui ici code ses références au jeu. Comme cette pièce libre, dont l’évolution sur l’échiquier est sans pareille, son héros n’est jamais où on croit l’attraper. Le demi-frère du héros, comme blanc pour noir, connaît Knight de l’intérieur, sans le connaître de l’extérieur. Il part donc en quête de ceux qui l’ont connu. C’est ainsi que l’auteur va croiser l’oncle Schwartz (noir en allemand) qui sera malgré lui la clef de l’intrigue.

Les allusion au jeu se réduisent à peau de chagrin : le premier mari de la dernière petite amie de Sebastian lui ouvre la porte avec un cavalier à la main, ses rêves font allusion à un M. Noir, et une allusion aux jardins d’enfants de Froebel, qui avait le jeu au coeur de sa pédagogie, se glisse dans le texte. La symbolique de l’échiquier sous-tend en revanche l’intrigue, puisque Sebastian meurt à Saint-Damier, qui se dénoue en quelque sorte sur un échec : le narrateur trouve Knight dans le noir, ou du moins celui qu’il croit être Knight et qui l’éclaire de son âme, tout en se dérobant à jamais au moment précisément où il croit être en communion avec celui-ci ; comme le yin et le yang se poursuivent éternellement sans jamais s’unir.

Le message serait alors que toute partie vaut d’être jouée car, quand bien même l’échec peut à tout moment annuler la victoire espérée, l’un n’est jamais que le revers de la seconde, et ce n’est finalement jamais que soi que l’on sait trouver au bout de sa quête. Il ne tient qu’à nous de voir dans le faux-frère, dans cet adversaire un peu cavalier, un partenaire qu’on ne saurait comprendre sans renoncer le prendre tout à fait.

Un roman intriguant qui joue avec son lecteur, mais qui n’est pas un roman sur le jeu au sens où l’est La défense Loujine du même auteur.

La vraie vie de Sebastian Knight de Vladimir Nabokov, Gallimard (1941) 1962, 309 pages, 7 €.