lundi 20 octobre 2008

Quelles vérités pour quelles fictions ?

Il n'y a pas une mais plusieurs fictions qui sont mesurées à l'aune de leur référentiel à la réalité. L'auteur s'intéresse plus spécifiquement à la fiction artistique et créatrice qui prend ses racines dans la "feintise ludique, qui est une compétence psychologique particulière que le petit enfant développe au cours de sa maturation et dont les premiers jeux fictionnels ne sont pas seulement la traduction mais, plus fondamentalement, le véhicule de mise au point." (p. 32). 
Autrement dit, ce serait donc par le jeu que l'enfant acquérait la différence entre l'univers du jeu, fictionnel, et la réalité. Il s'agit donc d'un démenti sérieux pour ceux qui penseraient que la fiction est une approche littéraire antagoniste de celle de la ludologie, le seconde fondant la première.

Cette position a en outre plusieurs conséquences qui nous intéressent. Si l'art repose sur la fiction, et la fiction sur le jeu, alors ce pourrait être un argument pertinent du contenu, voire de la valeur artistique du jeu. D'autre part, d'un point de vue épistémologique, si toute production mentale tient de la fiction, en ce qu'elle interprète la réalité à travers le prisme de l'esprit, alors  "la notion de fiction est la catégorie-clé de la production de la connaissance dans les sciences humaines." (citation de l'article de Sylvana Borutti). Car "elle rapproche explicitement ce qu’elle considère être la logique épistémique de l’anthropologie – à savoir une supposée impossibilité de principe d’accéder à l’universel autrement que sous forme de l’exemplification singulière d’une configuration humaine possible – du pouvoir universalisant du récit tel qu’il est défini par Aristote." (p. 28). Cette analyse, qui fait de la fiction le vecteur de la compréhension intime des choses, fait encore davantage du jeu le creuset de la construction intellectuelle du futur adulte.

Ainsi, sous des dehors assez techniques et une pensée un peu difficile à suivre, Jean-Marie Schaeffer met le doigt sur le noeud qui unit fiction et réalité, et surtout narration et jeu, ouvrant des pistes pour la résolution des antagonismes tels que "jeu et réalité" ou "jeu et sérieux". Une réflexion très stimulante donc, qui prend le jeu sous un angle un inattendu et fécond.


Quelles vérités pour quelles fictions ? de Jean-Marie Schaeffer, revue L’Homme 2005, n°175-176 3/4, pp. 19-36. Article librement téléchargeable sur le site du Cairn.

vendredi 10 octobre 2008

Storyteller


Une vignette découpée en trois comme une histoire de Pessin : trois chapitres d'une même histoire sobrement intitulés "Il était une fois...", "Quand ils furent en âge...", "Fin"), trois héros : deux garçons, une fille. La jeune fille préférait-elle jouer avec l'un des deux enfants ? L'autre en conçoit une jalousie qui lui fera plus tard enlever la première et qui, selon les actions de l'amant, apportera un dénouement triste ou heureux au récit.

Une structure de conte somme toute très banale. Sauf qu'ici justement, c'est vous le conteur (en anglais storyteller) et à vous qu'il appartient de changer le cours de l'histoire, donc son dénouement. Superposez deux personnages, ils sont désormais amants ; deux personnages ennemis et ils s'entretuent. Seule la simplicité de la situation et votre fantaisie - votre cruauté ? - limitent votre imagination.

Le plaisir est ici d'éprouver le maximum de combinaisons possibles, qui sont autant d'occasion de complicité avec leur auteur. Et si j'isolais la jeune fille des garçons durant l'enfance, c'est elle qui deviendrait la sorcière, que l'un des garçons pourrait tuer pour délivrer son ami ? Sauf qu'en l'absence de princesse...

Un jeu qu'il faut découvrir comme un livre pour enfant, entre émerveillement et clins d'oeil pour adulte. Une version vidéoludique et imagée de Un conte à votre façon de Queneau, charmante et naïve.

Storyteller, un jeu de Daniel Benmergui accessible gratuitement en ligne sur Ludomancy.