lundi 27 juillet 2009

Le joueur de croquet

Parue l'année de la mort de Lovecraft, en 1937, cette longue nouvelle lui doit énormément. Un joueur de croquet, incarnation du gentleman et dilettante anglais, devient le témoin malgré lui du récits de faits inquiétants survenus dans une bourgade proche de son hôtel, du moins le croit-il. L'angoisse croissante liée à l'impossibilité de donner une cause logique aux faits rapportés par des personnages qui oscillent entre la folie et la peur, tient le lecteur en haleine, même si le grosse ficelle du dénouement déçoit.

Herbert George Wells est reconnu pour ses récits d'anticipation philosophiques comme La machine à remonter le temps ainsi que le superbe Pays des aveugles, mais on oublie qu'il a écrit de vrais récits fantastiques comme Le joueur de croquet. A juste titre cependant car, tentant une voie moyenne entre Poe et Lovecraft, celle-ci ne convainc pas : Poe avait innové en proposant des récits fantastiques sur le modèle des énigmes policières d'Agatha Christie, se soldant par une solution rationnelle. A l'inverse Lovecraft, prenant le contre-pied de son prédécesseur, propose des histoires inquiétantes apparemment logiques qui abandonnent le lecteur à la folie du dénouement. Ce dernier a donné au fantastique ses lettres de noblesse en signant les chef d'oeuvre du genre tels Le cauchemar d'Insmouth ou Celui qui chuchotait dans les ténèbres. Wells s'essaie pour sa part à une troisième voie qui, à des faits inquiétants, ne propose que l'explication du "ça ne s'est, en fait, pas passé comme cela", bien fade en comparaison. 

Certes on appréciera quelques considérations philosophiques bienvenues, dont une en particulier sur le lien entre le temps et les angoisses de la société contemporaine. Quant au jeu, si ce n'est qu'un motif très secondaire de la nouvelle, la conclusion lui octroie une place amusante : "Le regardant en face, fermement mais poliment, je lui dis : "Peu m'importe. Il est possible que l'univers tombe en ruines  et que l'âge de pierre revienne. C'est sans doute, comme vous le dites, le déclin de la civilisation. Je suis désolé, mais ce matin je n'y peux rien. J'ai d'autres rendez-vous. Aussi, quoi qu'il arrive - c'est la loi des Mèdes et des Perses - je vais jouer au croquet avec ma tante à midi trente, aujourd'hui."  (p. 121). Ainsi, face aux malheurs du monde, le jeu demeure un refuge hors du temps, îlot inexpugnable du dilettantisme et du flegme britannique. De ce point de vue, si le jeu n'est pas soumis à la réalité, alors, quelle que soit l'imminence ou l'importance d'un danger, cette réalité ne pourra avoir de prise sur la bulle ludique située en dehors de ses contingences. Car de toute façon, que pourrait-on tenir supérieur à une partie de croquet ?

Le joueur de croquet de Herbert George Wells, Gallimard 1988, 121 pages, 5.60 €.

samedi 18 juillet 2009

Le jeu à son ère numérique


J'aime les livres de Sébastien Genvo car ils se lisent agréablement, et malgré la discipline de l'auteur, les sciences de l'information et de la communication, ne jargonnent que très peu et ont une réelle ambition didactique. Le jeu à son ère numérique, adaptation grand public de sa thèse Le game design de jeux vidéo : approche communicationnelle et interculturelle, se présente comme un état de l'art du jeu vidéo en trois parties.

La première est une synthèse de l'histoire des jeux vidéo au cours des 30 dernières années. Cette étude, si elle n'est pas particulièrement originale empruntant beaucoup à la Saga des jeux vidéo de Daniel Ichbiah que nous avons déjà critiquée, a le mérite de retenir l'essentiel en mettant en relief certains points de façon pertinente, comme la grande diversité des succès vidéoludiques derrière l'apparente uniformité de la production, englobant un champ de Doom à Myst en passant par Tetris.

La seconde partie est la plus originale, appliquant au jeu vidéo des modèles théoriques comme le modèle sémiotique de Gonzalo Frasca, les catégories de Caillois et c'est sans doute l'aspect le plus intéressant, l'analyse narrative de Greimas. Celle-ci est en effet utilisée prioritairement pour éclairer l'analyse d'un "jeu en ligne massivement multijoueur" en troisième partie.

Pourtant cet ouvrage reste essentiellement une vulgarisation, au sens où l'essentiel est une synthèse des travaux de chercheurs antérieurs, certes appliquée au jeu vidéo, mais dont la méthode pas plus que les conclusions ne sont discutées. En outre, si l'approche est centrée sur l'objet vidéoludique ce qui est suffisant pour démontrer de façon novatrice l'existence d'une culture vidéoludique en gestation, on ne sait en revanche pas toujours précisément, en dépit de quelques éléments de réponses, ce qui fait la spécificité du jeu vidéo par rapport aux autres jeux, faute d'avoir réellement abordé ces derniers. La portée de la réflexion de l'auteur s'en trouve donc un peu réduite.

Une bonne synthèse des recherches épistémologiques sur le jeu, dont la principale qualité est, comme le déclare l'auteur en conclusion, d'"inciter à commencer l'exploration des pistes de recherche esquissées. En somme, pour terminer sur une note vidéoludique : push start to continue." On peut difficilement mieux dire.

Le jeu à son ère numérique de Sébastien Genvo, L'Harmattan 2009, 277 pages, 27 €

mardi 7 juillet 2009

Joueurs de cartes dans un riche intérieur

Pieter de Hooch (1629-1694?) est un peintre hollandais spécialisé comme ses confrères dans la peinture de genre des intérieurs hollandais qu'il rend avec un souci constant de réalisme. Les joueurs de cartes, peint entre 1663 et 1665, est un tableau narratif assez inhabituel dans sa production. En effet on peut interpréter les différents sujets comme une projection programmatique du sujet au premier plan. Un jeune noble, épée au côté et richement vêtu, est entrepris par une damoiselle qui l'invite au jeu, le couple à leur droite montre le rapprochement qui ce qui va s'ensuivre à la faveur du vin auquel pourvoit un valet sur lequel termine le regard... que le vin qu'il apporte renvoie vers le  verre que tient le noble à la main.

Il ne fait pas de doute que le luxe tapageur de cet hôtel particulier est un trompe l'oeil. Les femmes ici sont de petite vertue : la belle est vêtu de rouge, couleur du coeur, de la libido et de l'interdit, mais aussi de celle des lanternes qui indiquait les maisons closes... Lieu de pêché, puisque on y joue, on y boit et on y rencontre des femmes, la morale du XVIIe siècle ne peut qu'y voir un piège tendu aux hommes de haute naissance : sous la houlette de son âme damnée tapie dans l'ombre, la belle en rouge invite le noble au jeu, qui bientôt enivré de ses charmes et du vin va y laisser sa bourse. En effet la belle lui sort le grand jeu, qui est pipé, puisqu'elle a tous les atouts, en l'occurence les as, dans sa main. Tout ce qui brille n'est pas de l'or.

Ce tableau moraliste figure ici le jeu au titre des instruments de perdition, mais pas seulement. Comme pour Les tricheurs du Caravage, il s'agit d'un thème courant dans la peinture bourgeoise, les mécènes cherchant autant le plaisir esthétique, la représentation sensuelle des plaisirs que leur autorise leur rang, que la dimension spirituelle ou morale qui leur rappelle leur naissance et leurs devoirs. Mêler l'interdit au plaisir c'est aussi accroître ce dernier. Le jeu s'inscrit ici dans les plaisirs d'un siècle et surtout d'une classe qui goûte l'oisiveté que lui garantit ses rentes. Le jeu est célébré au même titre que les appâts féminins ou ceux des spiritueux, et comme toute tentation, l'interdit n'en fait qu'en avaliser l'attrait. Après tout jeu signifie bien joie... comme les jeunes filles un peu lestes qui nous sont présentées.

Joueurs de cartes dans un riche intérieur dans un riche intérieur de Pieter de Hooch, Musée du Louvre, 1863-65.