lundi 31 mai 2010

Les aventures d'Alice au pays des merveilles suivi de La traversée du miroir

Tout le monde connaît les aventures d'Alice et personne ne les a lues. La faute à quoi ? Un livre intraduisible parce qu'il repose essentiellement sur des jeux de mots ainsi que sur la connaissance des comptines anglaises de la fin du XIXe siècle et, sinon ce serait trop facile, sur des private jokes, puisque le livre n'a pas été écrit à l'origine pour être publié : allusion aux leçons d'histoire d'Alice Lidell qui a servi de modèle au personnage, à son caractère, au bégaiement de l'auteur (qui s'incarne dans le livre sous forme d'un dodo sous forme de calembour pour Dodgson, son véritable nom), etc. Le livre n'est donc qu'une succession de saynètes qui ont pour principal intérêt et fil conducteur la connaissance intime que l'auteur a de la véritable Alice. 

Sous prétexte que le livre est destiné aux enfants, il est totalement incohérent : les situations abracabrantes n'ont aucun lien entre elles, les poèmes tombent à plat, les personnages sont incompréhensibles, et le récit n'a ni queue ni tête. L'expression sent la naphtaline à l'instar des illustrations originales. La traversée du miroir est à ce titre encore plus cryptique sans avoir la fraîcheur, l'invention et les quelques moments de grâce du premier épisode : la chute, la bouteille. Le seul intérêt semble aujourd'hui d'y découvrir les racines du mythe qu'est devenu le personnage d'Alice. Quant au jeu, on sera bien en peine de trouver quelque chose à picorer : cartes et échecs animés, parties de criquet sont là uniquement pour rappeler l'univers enfantin et, par effet comique et effrayant, inverser les rôles traditionnels du jouet et de l'enfant.

Certes l'absurde omniprésent est une tentative de parler aux enfants directement dans leur langue, avec des liens logiques qui exploitent les peurs et les désirs comme dans les rêves ; c'est sans doute ce qui explique sans doute le succès du livre à une époque où tous les autres ouvrages à destination des enfants étaient moralisateurs. Mais le lecteur docile que je suis finit par bailler d'ennui et par perdre le fil... à moins que ce ne soit la tête ?

Les aventures d'Alice au pays des merveilles suivi de La traversée du miroir de Lewis Caroll, Le livre de poche 2009, 316 p., 6.50 €.

vendredi 21 mai 2010

L'univers des jeux vidéo

Spécialistes du cinéma, les deux auteurs proposent un plaidoyer pour les jeux vidéo en 1998 en reprenant pour partie le contenu de leur opus précédent, "Qui a peur des jeux vidéo ?" paru en 1993. L'ouvrage, en dépit d'une démarche explicitement didactique : descriptif - explication - conséquences, est donc largement un justificatif du jeu vidéo face à sa perception négative par le grand public, et prend les devants des principaux reproches qui lui sont faits : violence, ethnocentrisme, sexisme, racisme... C'est sans doute en cela que l'ouvrage a le plus mal vieilli, non pas que ces reproches ne soient plus d'actualité, mais leur justification ne l'est plus. Simplement parce que les jeux vidéo ne sont pas pire que la société dont ils sont issus.

Plus grave, comme il s'agit d'un ouvrage programmatique, qui s'adresse d'abord a des non joueurs, voire à des non joueurs parents inquiets de joueurs qu'il faut à tout prix convaincre de l'inocuité des jeux vidéo, l'ouvrage fait des concessions à la vérité afin de tenter de présenter un jugement objectif et éclairé : oui les reproches sont fondés mais il ne faut pas assimiler la majorité de la production à certains vilains petits canards, oui c'est vrai certains jeux vidéo sont dangereux, oui il faut privilégier les jeux intelligents, etc. A ce stade de la réflexion, on finit par se demander si les auteurs cultivent le lieu commun, font de la médiation, flattent les convictions des parents inquiets (qui à priori n'achèteront jamais leur livre), ou sont finalement incompétents au point de ne pas s'apercevoir qu'ils reconnaissent le faux en croyant prêcher le juste milieu, faisant ainsi le jeu de leurs détracteurs.

Pourtant, malgré ces nombreux défauts, l'ouvrage est vivant et alerte, et s'il fait référence de manière outrancière aux magazines de jeux vidéo qui apparaissent être sa principale source, il sait prendre de la distance et élargir la réflexion au cinéma et autres secteurs culturels de manière pertinente. C'est donc logiquement sur la partie dont ils sont spécialistes, à savoir l'influence et l'histoire de l'audiovisuel, que les auteurs apportent leur contribution la plus sérieuse. Pour le reste, on n'est jamais loin de l'approche journalistique qu'ils prétendent combattre.

Agréable à lire, passionnant parfois, L'univers des jeux vidéo est une introduction acceptable, quoique un peu trop technique dans sa forme pour le public visé, et insuffisamment sur le fond pour les spécialistes. Mais c'est surtout un témoignage sociologique aussi involontaire qu'intéressant sur l'accueil réservé aux jeux vidéo par les sociétés industrielles au milieu des années 90. A noter : le lexique final est désopilant.

L'univers des jeux vidéo, d'Alain et Frédéric Le Diberder, La Découverte 1998, 275 pages.

lundi 10 mai 2010

La société du jeu


Economiste, Alain Cotta s'essaie la chronique sociale, voire à l'essai philosophique. A la manière d'un Jean Duvignaud mais sans l'élégance de plume, il disserte sur le jeu (un peu), la société (beaucoup). Le résultat est inclassable : ce n'est ni un ouvrage érudit, ni une analyse économique, ni un essai lyrique, ni un pamphlet idéologique, ni un rapport journalistique, mais tient un peu de tout cela. On attendra en vain une démonstration scientifique, une architecture rigoureuse, une progression dans la pensée, une réflexion visionnaire. Il n'y a rien de tout cela dans La société du jeu.

Le raisonnement par analogie gouverne tout, on passe sans cesse du coq à l'âne, d'une époque et d'un continent à l'autre, et les considérations se suivent sans se ressembler, donnant un aspect hétéroclite et farfelu à ce recueil bavard ou la digression dicte la rédaction. C'est brouillon, souvent sans queue ni tête, et on peine à distinguer ce qui relève du constat, de la supputation, de l'exhortation ou de la simple divagation. Un exemple au hasard, page 220 : "[Les adultes] y trouveront un statut social ou l'occasion d'un rôle supérieur, dans ses avantages, à ceux qu'ils pourraient occuper s'ils adoptaient d'autres attitudes. Tant mieux pour eux. Mais les masses joueront comme elles consomment, aujourd'hui, dans l'indifférence aux invectives et aux interprétations, perdues dans un narcissisme qui est leur raison d'être." Qu'est-ce que ça veut dire ? De quoi parle-t-on ? Où l'auteur veut-il en venir ? Celui-ci analyse, déplore ou prophétise-t-il ? On ne sait.

Certes tout n'est pas aussi abscons, et j'ai apprécié le rapprochement entre l"histoire militaire et l'évolution du style aux échecs, la description jeu vidéo, le traitement successif des trois types historiques de jeux que sont les jeux physiques, de hasard et de stratégie (bien que l'auteur ne justifie pas ce découpage), et sûrement quelques autres petites choses. Mais sur 270 pages d'assertions non étayées, la cueillette reste chiche. L'absence de toute bibliographie (hors notes) achevant de dégonfler le soufflé. Tout à fait dispensable.

La société du jeu d'Alain Cotta, Fayard 1993, 270 pages, épuisé.