mardi 21 juin 2011

Psychologie de l'enfant et pédagogie expérimentale

L'essai copieux d'Edouard Claparède (1873-1940) n'est pas exclusivement consacré au jeu, mais ce thème occupe un cinquième de cet ouvrage, paru en 1915, et l'essentiel de la partie consacrée au développement mental de l'enfant. Pour Claparède, le jeu est donc essentiel à la jeunesse, au même titre que l'apprentissage auquel il participe : "On a rendu compte du jeu en envisageant l'enfant tantôt sous l'aspect longitudinal, c'est-à-dire par rapport à ce qu'il deviendra plus tard, tantôt sus l'aspect transversal, c'est-à-dire en ne considérant que les processus qui se rencontrent chez lui dans le moment présent." (P. 449) Or "c'est en assouvissant des besoins présents que le jeu prépare l'avenir." (p. 453).

E. Claparède passe en revue les principaux thèmes liés au jeu (éducation, plaisir, réalité, finalité, fiction, activité, identité, travail, etc.) en les incluant dans une théorie générale du phénomène ludique, qui est une pédagogie de la motivation puisque l'enfant recherche "son plus grand intérêt", autrement dit son plaisir. La validité de la réflexion, rédigée dans une forme simple et élégante, tient toujours, à l'instar de la démarche de Karl Groos dont elle s'inspire, à la recherche de l'origine biologique de la conduite humaine correspondante.

Pourtant il arrive au détour d'une page que l'on tombe sur un raisonnement spécieux qui jette le discrédit sur le reste de l'ouvrage : "Ainsi les filles, qui, nous l'avons vu, parviennent plus vite à l'âge de la maturité que les garçons, payent cette précocité d'un moindre degré de développement intellectuel. Cette relation entre la moindre évolution de la mentalité féminine et la moindre extension de leur période d'enfance est du plus haut intérêt biologique." (p. 484) Au-delà de l'humour involontaire de la formule, on prend ainsi conscience que toute recherche possède, sinon des erreurs, au moins des lacunes et des insuffisances, et qu'elle est en définitive le reflet de son époque. 

On conclura avec les mots de Rambert cité par Claparède : "Si le jeu parfait lui était possible, l'homme serait Dieu, et le ciel serait sur la terre." (p. 462). Or il en est du jeu comme de cet essai, et les ouvrages postérieurs, en particulier celui de Piaget, lui doivent beaucoup sans jamais avoir réussi à le remplacer.

Psychologie de l'enfant et pédagogie expérimentale (1915) d'Edouard Claparède, Kundig 1920, 571 pages, épuisé.

samedi 11 juin 2011

Le code des jeux

Plus code de politesse que code de la route, ce code des jeux est de l'aveu même de l'auteur une invitation au(x) jeu(x) : réunir dans un manuel commode toutes les règles de jeux qui font partie de notre quotidien, sans frontière arbitraire : des jeux d'adresse aux échecs, en passant par les jeux d'esprit, mathématiques, de gages, etc. Mais ce qui nous intéresse ici est davantage l'introduction de l'ouvrage, qui donne la philosophie de l'auteur et sa vision du jeu dans notre société.

Claude Aveline se pose ainsi l'incontournable question ontologique de la catégorisation des jeux puisqu'il traite tous les types de jeux, s'apercevant que d'une part elle produit du sens, une scénographie du jeu, et que d'autre part elle se heurte à l'imbrication des genres : "Dans l'idéal tout système de classification enchante l'esprit. Lorsqu'il s'agit de le mettre en oeuvre, les difficultés commencent et ne peuvent se résoudre que par entorse, ou, pour employer une expression moins pénible à l'orgueil, que par assouplissement." (p. 11). La classification retenue est certes plus pratique que convaincante, mais elle a au moins le mérite de passer l'épreuve de l'utilité.

Dans tous les cas, on conclura volontiers avec l'auteur que "L'homme est fait pour jouer, c'est le péché originel qui l'a condamné au travail". (p. 7), et la fin l'introduction, pleine de bon sens, de rappeler opportunément qu'un "code des jeux est un code de plaisir." (p. 14). Une invitation au jeu commode et sans prétention qui, avec justesse, fait du plaisir innocent la raison d'être du jeu.

Le code des jeux (1961) de Claude Aveline, Hachette 1985, 641 pages.

mercredi 1 juin 2011

Le dessin

Edouard meurt, et lègue à son ami Emile une oeuvre d'art à choisir dans sa collection. Il ne doit prendre que celle qui lui plaira le plus. Il s'agit d'un dessin au trait, passablement surchargé, qui retient l'attention d'Emile. Dessin qui l'obsède au point d'en détailler les moindres éléments, puis de le faire agrandir pour découvrir d'autres dessin à l'intérieur. Le dessin est alors une porte ouverte sur l'art tout entier, entièrement contenu dans ce dessin. A moins que le sens, au contraire de Dieu, ne soit pas dans les détails ?

Comme dans la série Julius Corentin Acquefacques du même auteur, ou les oeuvres d'Escher, le jeu avec le lecteur est constant. Mais ici point de découpages ou d'illusions, mais une sorte d'ivresse des profondeurs de l'imagination : si l'art englobe tout, la réalité est donc comprise dans l'art, et non le contraire ? La création est-elle reproduction de la réalité, ou la réalité n'est-elle que la partie percevable de la création ? L'art est-il plus fort que la mort ? Ne serait-il pas un pont entre le dicible et l'indicible, et plus simplement entre les hommes ?

En reprenant l'idée du coloriage magique de notre enfance, en contraste avec la technique du noir et blanc qui lui est chère, Marc-Antoine Mathieu explore comme un thème et variations la question de la frontière entre créateur, lecteur et personnages, mais aussi entre tout et partie, fiction et réalité, vie et art, narration et jeu. Un questionnement à la fois ludique et poétique qui, à l'instar de L'art invisible de Scott McCloud, dépasse largement celui de la bande dessinée et trouve sa réponse dans un aphorisme de Soulages cité par l'auteur : "C'est ce que je trouve qui me montre ce que je cherche". Une réussite.

Le dessin de Marc-Antoine Mathieu, Delcourt 2001, 48 pages, 13.50 €.