samedi 1 juin 2013

Le jouet : valeurs et paradoxes d’un petit objet secret

Au terme de la lecture de cet ouvrage collectif on se dit que le titre résume très bien l’ouvrage : les contributions d’auteurs de tous les horizons donnent une allure hétéroclite aux articles et renforcent l’impression d’un secret qu’aucune d’entre elles n’arrive à percer. Et l’on se dit avec un étonnement mêlé de déception que c’est donc là le peu que tous ces spécialistes ont à nous livrer sur le jouer. Gilles Brougère, auteur d’une belle introduction et d’un article intéressant sur la réinterprétation que les enfants font nécessairement de leur jouet, qu’il soit perfectionné ou non, qu’il soit prévu ou non pour cet usage, est l’un des seuls à ne pas verser dans le préjugé : « Quelle satisfaction de voir des enfants détourner et prendre face au jouet ce que nous pensons être une plus grande liberté ! Mais l’usage conforme n’est pas moins inventif du point de vue de l’enfant. Dans les deux cas il s’agit de s’approprier l’objet à la fois par l’action et l’imagination. Le but est le même, seule la stratégie diffère. Au même jeu lié à une émission télévisée, des groupes font respecter la règle est inventent sur la trame du scénario original, pendant que d’autres réinventent un contexte et transforment les personnages et leurs relations. Deux stratégies qui différent plus par les moyens que par la fin. » (p. 36)

Malheureusement, peut-être parce que la plupart des contributions sont le fait de spécialistes des sciences de l’éducation, la plupart des sujets ne sont qu’effleurés, outre qu’ils ne portent pas forcément sur le jouet lui-même : les ludothèques, l’achat, le livre animé, les jeux de simulation, le handicap, Nöel, le musée, le parc, les collectionneurs, etc. Bref, ce n’est pas en lui tournant autour que l’on percera à jour le jouet, pas plus que de constater son caractère hétéroclite ne nous fait avancer vers sa compréhension ; en cela, la contribution de Lucette Savier est patente : un inventaire à la Prévert de paragraphes ordonnés par l’ordre alphabétique qui n’a rien à faire dans une production scientifique. Si l’on ajoute à ces critiques celle qu’aucune différence n’est faite entre jeu et jouet, l’impression qui domine est celle d’un pot-pourri. Enfin, rares sont les contributions qui dépassent le stade descriptif pour se lancer dans l’analyse, alors de là à espérer que le lecteur puisse en tirer une synthèse… Quand un auteur ne se met pas carrément à désinformer le lecteur par une présentation hagiographique des grands succès du « jouet », à l’instar de Lego et du Monopoly, péchée probablement dans les brochures publicitaires des marques respectives mais qui ne disent rien de leur origine controversée (des copies illégales d’un jouet plus ancien). Certes les contributions ont bien été agencées par thématique, mais cet aspect reste essentiellement cosmétique.

Finalement, la bonne surprise provient d’une annexe qui en brossant l’histoire du jouet au XXe siècle, les conséquences de la 1e et de la 2e guerre mondiale sur le revirement du marché français du jouet allemand vers le jouet américain, l’influence de la publicité sur le pouvoir prescripteur de l’enfant et l’impérialisme du jouet industriel donc du plastique, avec pour conséquence le déplacement naturel de sa production vers les pays asiatiques qui vont en retour peser sur l’irruption du jeu vidéo chez les plus jeunes, succédané du flipper des adolescents. Finalement l’intention était bonne et réclamerait simplement un ouvrage plus rigoureux qui fasse sien l’ambition de Gilles Brougère en conclusion de son éditorial : « A travers le jouet, les sociétés définissent situations et actions légitimes pour l’enfant. Cet objet apparaît profondément paradoxal. Moyen d’intégration sociale que certains vitupèrent en fonction d’une trop grande fidélité à des situations imparfaites, il est aussi support d’évasion en tant que stimulant de l’imagination. Renvoyant l’enfant à son enfance en le vouant au faux-semblant et au frivole loin du vrai adulte, il est le lieu d’expériences qui le portent à sortir de l’enfance : les thèmes illustrent le désir de grandir, d’être adulte, mais aussi sa consommation insère l’enfant dans le monde social en en faisant un acteur économique de plein exercice. On ne peut dissocier la gratuité attribuée au jeu des relations du jouet avec un univers économique et social. » (p. 12-13). Dommage qu’il ait été si peu suivi.

Le jouet : valeurs et paradoxes d’un petit objet secret, ouvrage collectif dirigé par Gilles Brougère, Autrement 1992, 207 pages, épuisé.