vendredi 29 mai 2009

Loterie solaire

Au XXIIIe siècle notre monde est gouverné par un unique pouvoir central qui est fait et défait par une loterie, à moins que le gouvernant en place ne soit assassiné, assassinat qui donne lieu a des paris télévisés, et que l'assassin ne devienne le nouveau président... jusqu'à la prochaine saute du mécanisme de la Loterie solaire ou son assassinat.

Visiblement inspirée de la nouvelle La loterie de Babylone de Borges, l'écriture de Philip K. Dick, pleine de  rebondissements, de considérations scientifiques et de détails réalistes ravira les fans de science fiction, et agacera les amateurs de littérature. En effet, bien que Dick soit considéré désormais comme un classique, il est loin d'avoir la langue d'Orwell, Lovecraft, Poe, Wells ou même Bradbury : les digressions sont nombreuses, les détails inutiles pullulent, les idées sont abandonnées en cours de route voire sabordées, la psychologie des personnages est sommaire, le rythme de l'histoire est en accordéon, et la fin est tout à fait abracadabrante, dans un style très américain. C'est plein d'idées mais l'auteur n'a pas su en choisir une et s'y tenir, donnant un allure brouillonne à l'ensemble. Quant à la traduction, elle laisse souvent à désirer.

Certes l'action palpitante n'ennuie jamais, mais on est loin de la portée philosophique de la nouvelle Borges, qui compte pourtant dix fois moins de pages. Cela n'exclut pas quelques réflexions intéressantes, notamment sur la règles et la révolte qu'on peut mener contre elles à travers la tricherie, parabole d'une société dirigée par un dieu aveugle :

"- J'ai joué le jeu pendant des années continua Cartwright. La plupart des gens le jouent toute leur vie durant. Puis j'ai compris que les règles étaient telles que je ne pouvais gagner. Qui continuerait à jouer dans ces conditions ? Nous jouons contre la banque, et la banque gagne toujours.
- C'est vrai, acquiesça Benteley, à quoi bon jouer quand le jeu est truqué ? Mais quelle est votre réponse ? Que fait-on quand on s'aperçoit que les règles sont telles que l'on ne peut pas gagner ?
- On fait ce que j'ai fait : on crée de nouvelles règles et on les suit. Dès règles qui donnent des chances égales à tous les joueurs... (p.172-173)"

Le joueur qui joue avec ses propres règles est-il un tricheur ou un créateur ? Un héros est-il un joueur doué, ou un sacrilège qui offense les dieux en se mesurant à eux ? Le dialogue du jeu et du monde, à défaut d'être renouvelé, est ici agréablement mis en scène. Distrayant.

Loterie solaire de Philip K. Dick, J'ai Lu 2008, 183 pages, 3.70 €.

jeudi 21 mai 2009

La psychologie du jeu



Encore un livre qui a été touché par le syndrome Homo ludens (voir ma critique). Entendez par là un premier chapitre éblouissant qui résume parfaitement la problématique du jeu pour la psychanalyse... et des chapitres suivants tous plus décevants les uns que les autres.

On ne peut pas dire que ce soit mal écrit, bien au contraire cette psychologie est une vraie vulgarisation, agréable à lire, écrite simplement avec comme chez Piaget des anecdotes relatives aux enfants ou patients de l'auteur. En revanche c'est un ouvrage de commande et cela se sent : après une entrée en matière méticuleuse, on a l'impression que l'auteur a brûlé tout ce qu'il avait à dire d'intéressant sur la question et remplit son livre de considérations qui ne dépareillerait pas au zinc du coin : "Aucun auteur n'a écrit sur la question, mais il semble peu hasardeux de supposer que..." est une phrase type du livre.

On est donc souvent dans le sens commun, l'analogie douteuse, le jugement hâtif sans qu'aucune démonstration valable ne vienne étayer le discours. Inversement on a droit ailleurs à une liste de considérations scientifiques sur des choses sans rapport avec le jeu. Or comme l'auteur ne définit jamais le jeu, il peut se permettre de parler de tout et de n'importe quoi... et d'ennuyer son lecteur lassé par ses divagations.

Enfin il peut paraître étrange de rééditer tel quel en 2002 un ouvrage écrit visiblement à la hâte en 1968 et qui, profondément marqué par les études russes de Pavlov et ses disciples, nie presque toute dimension ludique à l'animal, et rend donc peu justice à son titre : un seul chapitre étant consacré à la psychologie animale du jeu. Pour l'auteur en définitive le jeu n'est qu'une apparence de jeu qui traduit une immaturité de l'organisme : un peu faible pour une étude prétendument psychologique de celui-ci.

Un livre à lire absolument pour son premier chapitre qui résume parfaitement la position occidentale scientifique sur le jeu, ainsi que son origine, mais à acheter d'occasion puisque la réédition est parfaitement injustifiée.

La psychologie du jeu chez les enfants et les animaux de Susanna Millar, Payot 1979, 366 p., 9.75 €.

mercredi 6 mai 2009

Jeux de rôle : Les forges de la fiction


Intéressé à la fois par les problématiques de la fiction et le jeu de rôle, j'avais mis sans doute trop d'espoir dans ce livre, et ma déception à été à la hauteur de mes attentes. L'auteur, Olivier Caïra, prétend s'adresser à la fois au rôlistes et aux néophytes, aux universitaires et aux profanes, il a même prévu un code de couleurs pour permettre à chacun de cibler les parties qui leur sont dédiées. C'est inutile, ni les uns ni les autres ne s'y retrouveront. 

La première centaine de page en effet est une explication de ce qu'est un jeu de rôle (Les jeux de rôle d'hier et d'aujourd'hui). C'est beaucoup trop long pour le public visé, d'autant qu'on est noyé dans une débauche de titres, d'éditeurs et de dates qui n'ont aucun intérêt si vous ne les connaissez pas, et encore moins si vous les connaissez déjà. Olivier Caïra réussit ainsi la performance d'être moins clair et didactique que l'encart de Casus Belli Qu'est-ce que le jeu de rôle ?, en vingt-cinq fois plus de pages. Il détaille par exemple, dans la partie consacrée au "montage et à l'improvisation", la structure systémique d'un jeu de rôle (cuisine que le néophyte est incapable d'apprécier et que le joueur connaît déjà), mais pas sa raison d'être : les spécificités de ce medium, comment s'entremêlent la narration et le jeu, la fiction et la réalité, que font en vérité les joueurs, quel rituel se met en place, comment naît le plaisir... 

Les cent pages suivantes sont une analyse "ethnographique" de parties de jeu de rôle à partir d'un scénario de l'invention de l'auteur. Enfin, ethnographique est un bien grand mot puisque les commentaires qui l'émaillent sont du type de ceux qu'on trouverait dans l'encart scénario d'un magazine de jeux. L'analyse y est, selon les mots mêmes d'un des amis de l'auteur, au "ras de la table de jeu", comme on dirait "au ras des pâquerettes". Un exemple : l'auteur prend le parti louable de transcrire certains dialogues de la partie, puis conclut : "Les joueurs se montrent très peu soucieux des caractéristiques de leur personnage". Quel intérêt y a-t-il à mentionner ce qu'on vient de lire dans le dialogue, plutôt que d'en chercher l'origine et les implications pour une théorisation du jeu et de ses fonctions ? Or ce travers est récurrent. L'analyse se limite à la paraphrase, et parfois à raccrocher une situation à ce qu'a écrit quelqu'un d'autre, sans qu'on soit plus avancés pour autant. Les seules rares distanciations dignes de ce nom sont ravalées en notes infrapaginales, l'auteur les jugeant sans doute hors sujet.

Au début du dernier tiers du livre, entre la page 200 et 220, on voit apparaître les théories de Goffman, on se dit : finis les empilements d'exemples, enfin un peu de distanciation et de réflexion ! Eh bien non : le rapport à Goffman est peu pertinent, quant à la définition du jeu on ne sait pas ce qu'elle vient faire à ce stade de l'étude, surtout que, une fois celui-ci (mal) défini, l'auteur n'en fait rien. Enfin O. Caïra achève son travail par un questionnement sur sa méthode qui aurait dû se trouver en introduction, ainsi qu'une critique bien mal venue de l'ouvrage de Laurent Tremel sur le jeu de rôle, au vu de la qualité du sien.

Au final voici une étude qui, pour un rôliste (vétéran), ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes, alors que je ne peux imaginer (à lire comme une figure de style puisque le livre est édité par le CNRS) qu'un universitaire cautionne une méthodologie aussi faible qui oscille sans cesse entre l'évidence et le postulat. Rien n'est démontré : la définition du jeu, comme l'ensemble des typologies de l'auteur, sortent d'un chapeau, et quand l'auteur se permet de juger des pratiques rôlistiques en termes de "grand" et de "mauvais", outre la prétention du procédé, on se demande s'il a un jour su que les sciences sociales ont pour but de comprendre la société, pas de la juger.

Un "grand mauvais" livre pour reprendre cette terminologie indue.

Jeux de rôle : les forges de la fiction d'Olivier Caïra, CNRS éditions 2007, 311 p., 20 €.