Adaptation pour le grand public d’une thèse
d’état en histoire, il ne faut pas chercher, en dehors de son objet, un fil
conducteur à ce catalogue de faits où la description écrase l’analyse. La
quatrième de couverture est ainsi plus honnête que le titre de l’étude : « Cet ouvrage explique comment s’est formé un
véritable « marché du jouet » dont ont su profiter les merciers des
siècles passés. » En effet, le jouet semble ravalé au rend d’objet, de
produit, mais le jeu de l’enfant auquel il sert de support n’est presque jamais
abordé. C’est une histoire du jouet vue par l’angle du musée : l’objet
matériel règne en maître, et lorsque son usage est examiné, c’est essentiellement
du point de vue parental ou institutionnel : débat sur le rôle du jouet et
leur nature dans l’éducation des enfants.
Le point de vue des enfants est finalement
le grand absent de cette étude, qui semble toujours saisir son objet, c’est le
cas de le dire, en tant que tel, comme si elle était totalement déconnectée de
sa finalité : le jeu. A la différence des Jeux dans le royaume de France, de Jean-Michel Mehl, qui
astucieusement interroge les lettres de rémission pour traquer l’acte de jeu, Michel
Manson ne semble lui ne pas avoir trouvé d’angle d’attaque. Bien sûr il examine
le jouet dans l’art ou dans les textes, mais ces supports ne sont que le reflet
de la vision, souvent moralisante, des adultes auxquels ils sont destinés. Plus
inquiétant, il semble évident que certaines sources auxquelles l’auteur a
recours ne sont des que des conseils de bon sens, c’est-à-dire qu’ils ne sont
pas le fruit d’une observation mais plutôt de simples élucubrations, et ne sauraient
donc être à ce titre présentés comme le reflet de leur temps. L’auteur, avec un respect
scrupuleux des faits, semble ainsi mettre toutes ses sources sur le même plan
sans jamais les interpréter, si ce n’est au pied de la lettre.
Pourtant la matière rassemblée dans cette
étude s’y prêtait et les nombreuses citations permettraient de bâtir des
chapitres sur la répartition des jouets par âge, l’usage spécifique des jouets
anciens (le hochet pour faire sortir les dents, le tambour attribut des garçonnets,
etc) ou encore leur aspect particulier (on apprend ainsi incidemment que la
poupée pouvait être en carton). En lieu et place de ces interrogations
légitimes, l’auteur nous livre, étalés sur plusieurs chapitres, des détails sur
la lutte d’influence que se livraient les différentes corporations :
merciers, bimbelotiers, tourneurs, tabletiers, miroitiers… Quant aux chapitres
sur l’histoire antique et médiévale, ils sont si laconiques et inférieurs aux
ouvrages qui les ont inspirés, comme celui remarquable consacrés aux jeux des Anciens de Louis Becq de Fouquières,
que l’on ne voit pas bien pourquoi l’auteur s’est obligé à évoquer 2500 ans d’histoire,
de la Haute-Antiquité à la Renaissance,
pour ne leur consacrer qu’une quarantaine de pages.
Il faut attendre la conclusion avant de
voir apparaître la première analyse du rôle du jouet et de sa place dans la
société, et qui plus est par le recours à la citation d’un tiers, Léo Claretie,
extraite de son rapport sur le jouet contemporain rédigé pour l’exposition
universelle en 1900 : « Les
jouets ne sont pas ce que les frivoles pensent. S’ils amusent les enfants, ils
font réfléchir les grands à des questions graves et diverses, d’ordre moral,
social, économique, pédagogique, philosophique, historique. Ils font vivre des
milliers d’ouvriers, ils servent la cause de la prospérité nationale par les
millions qu’ils jettent dans le mouvement des affaires. Ils influent par leur
contact immédiat avec les générations qui naissent, sur le goût et l’esprit
publics ; ils concourent à l’éducation des enfants, dont ils sont les
premiers sujets d’études ; ils inscrivent les annales par le bibelot, le
souvenir des grands personnages et des événements notables. » (p.
324-325). Plus regrettable encore, ce traitement des jouets au pluriels, comme
un bazar, un fourre-tout hétéroclite d’objets comme les autres, qui semble
exclure de fait la question essentielle, celle du jouet en tant que condition
et prétexte du jeu.
Jouets de toujours de Michel Manson,
Fayard 2001, 382 pages, 23 €.