Peu connu, cet ouvrage est pourtant cité des connaisseurs comme Jean Marie Lhôte ou François Euvé. On pourrait se demander ce que vient faire sur notre blog un ouvrage ancien (1918) consacré à la liturgie, si celui-ci ne contenait pas un chapitre intitulé : De la liturgie comme jeu. Disons-le immédiatement : on en peut pas vraiment dire que le jeu y soit abordé en tant que tel. Mais l'auteur, Romano Guardini (1885-1968), sans s'embarrasser de justification, si ce n'est qu'il cite le seul verset consacré à la sagesse qui joue devant Dieu, explique avec autant de simplicité que d'acuité que nos actions sont définies par deux principes : "Utilité et sens sont les deux formes que peut revêtir le droit d'un être à l'existence. Sous l'angle de l'utilité, l'objet s'insère dans un ordre qui le dépasse ; sous l'angle du sens, il repose en lui-même." (p. 108-109).
Certes, la démonstration de ces deux principes est plutôt partiale, puisqu'en substance la Nature serait inutilement complexe et traduirait un gaspillage d'énergie, aussi le principe d'utilité ne pourrait lui-être appliquée. Sa raison d'exister serait de "manifester sa nature essentielle et de s'épanouir comme une révélation naturelle du Dieu vivant." (p. 109). Il est pour le moins étrange de démontrer que la nature, qui n'obéit qu'à la loi de la sélection naturelle, ne serait pas sous l'empire de l'utilité, et que, à fortiori, si son sens devrait résider en elle-même, il soit à chercher en Dieu... Mais l'intérêt de l'idée ne se situe pas dans sa démonstration mais plutôt dans son postulat : considérer que ce qui ressort du jeu est le domaine de l'être et non du faire ou de l'avoir, et qu'à l'instar de l'art, il "se contente d'être le reflet de la beauté du Vrai, splendor veritatis". (p. 110).
Plus encore, la réflexion montre que si l'on peut souvent attribuer à un objet des fonctions qui en tant que telles sont utiles, c'est voir l'effet et non sa cause : "Faute de bien le voir, on s'efforce à trouver dans la liturgie [conçue comme un jeu, rappelons-le] toute espèce d'intentions formatrices et éducatives, qui peuvent bien sans doute, en quelque manière, y être introduites, mais qui n'y sont point primitivement." (p. 115). On notera ici le parallèle avec le jeu qu'on charge de (ou oppose à) l'apprentissage. Alors que l'acte de jouer est simplement, comme celui d'Héraclite, "un monde de vie reposant en lui-même" (p. 115), "la vie s'épanchant librement et sans but, prenant possession de sa propre plénitude, chargée et saturée de sens par le seul et simple fait de son existence." (p. 119-120).
Une vision belle et stimulante du jeu, qui dépasse largement son cadre chrétien et liturgique.
L'esprit de la liturgie de Romano Guardini, Plon (1918/1930) 1960, p. 102-129, épuisé.