Le sous-titre aurait mérité de figurer sur
la couverture tant on est loin avec cette étude d’un essai pédagogique :
le jeu est essentiellement entrevu comme « objet transitionnel »,
n’est pas à même de permettre à l’enfant de s’affranchir de ses angoisses en
les projetant à l’extérieur de lui. Mais cette perspective psychanalytique a
une fâcheuse tendance à servir d’œillère à l’auteur qui ne fait du jeu, le plus
souvent, qu’un moyen d’exercer une frustration sadomasochiste : « Ni l’enfant ni la mère ne savent que la
poupée sauvagement fessée par la fillette est la mère en question ; la
déformation de la censure permet l’extériorisation du désir interdit dans ‘‘les
aspects et les limites qui conviennent’’ » (p. 22). Pourtant en jouant
l’enfant cherche d’abord à comprendre, c'est-à-dire à saisir par l’expérience
en inversant les rôles les raisons qui ont conduit ses parents, dont il dépend,
à la faire souffrir. La fillette fesse donc d’abord sa poupée pour comprendre
le geste de sa mère en se mettant à sa place, ce qu’explique par ailleurs
Philippe Gutton : « Ensemble
des actions physiologiques, mentales et verbales et motrices par lesquelles un
sujet, aux prises avec son entourage, cherche à résoudre les tensions qui le
motivent, à réaliser les possibilités. » (p. 24).
Cela n’empêche cependant pas l’auteur
d’avoir des intuitions lumineuses : « Dans sa relation avec le jouet, la mère a une conduite ambiguë :
elle se donne et se retire ; la mère exprime son désir de présence
constante auprès de son enfant et, en même temps, confirme l’autonomie possible
de celui-ci lors de son absence. » (p. 26) Ce qui est une bonne
explication du for da de Sigmund Freud, voire en posant les bases du jeu comme
activité projective : « Le
phénomène de projection est constant dans le jeu dont il constitue le mécanisme
fondamental ». (p. 38). Curieusement, alors que l’auteur est capable
d’analyses très fines, il semble laisser au seul lecteur le soin de les lire.
Ainsi il est capable d’écrire p. 60 : « Rappelons aussi le cas de cette petite fille, qui n’osant pas traverser
l’antichambre dans l’obscurité, par peur des fantômes, a ‘‘un subterfuge’’ qui
lui permet de maîtriser sa peur : elle se livre, lors de la traversée de l’antichambre,
à des gesticulations bizarres et ‘‘au bout de peu de temps elle révèle
triomphalement à son jeune frère le secret de sa victoire sur l’angoisse :
‘‘Il ne faut pas avoir peur dans l’antichambre, dit-elle, tu n’as qu’à jouer à
être toi-même le fantôme qui pourrait venir.’’ Le fait de gesticuler équivaut
donc à une identification à l’objet extérieur redouté. Tout ceci donne un angle
nouveau à l’analyse des jeux où l’enfant se donne un rôle : jouer au papa
et à la maman, jouer au dentiste, au docteur. » Pour mieux retomber
dans l’interprétation sadomasochiste à la page suivante : « Prenons l’exemple du jeu du docteur :
lorsque l’enfant a subi une agression médicale, il va présente dans les heures
et les jours qui suivent un certain nombre de comportements ludiques visant en
quelque sorte à se débarrasser du traumatisme passivement subi ; il
utilisera des objets symboliques sur lesquels il marquera son agressivité, ou
il fera subir à un autre enfant les souffrances que le médecin lui a imposées. »
A la différence que la seconde analyse, généralisation contestable, n’est
étayée cette fois d’aucune observation…
Perspicace, Philippe Gutton propose
plusieurs pistes d’interprétation qui sont particulièrement novatrices au
regard de l’époque d’écriture : en faisant par exemple du jeu un
savoir-être, plutôt qu’un savoir faire : « Le récit de l’adolescent, très précis dans la description de ce jeu,
n’arrive pas à passer dans les mots le vécu profond de ce qui s’expérimente au
moment où il est pris comme voleur par le gendarme. Tout se passe comme si nous
étions à un niveau au-delà de la parole, de l’ordre de l’être bien. » (p.
74) ou en soulignant l’apport novateur de la psychanalyse américaine : « Winnicott donne à sa description une
potentialité intéressante lorsqu’il suppose que ‘‘penser ou fantasmer se
rattache à l’activité fonctionnelle’’ » (p. 90.) toujours dans une
perspective expérientielle, l’auteur faisant du jeu un moyen d’assimilation de
cette expérience : « Le jeu se
déroule comme un récit élaborant par répétition une séquence du passé. »
(p. 111).
Si Philippe Gutton peut se montrer plus
conventionnel, il sait synthétiser de manière efficace les connaissances
psychanalytiques contemporaines concernant le jeu, moyen privilégié de
réalisation potentielle du fantasme : « Le fantasme paraît lié à l’émergence des principes secondaires
contemporains de la suprématie du principe de réalité. Les activités
fantasmatiques sont une compensation imposée par la réalité. Le fantasme était
tout puissant, le jeu cherche à l’être. Le jeu garde toujours le souvenir de
cette maîtrise de telle sorte que l’action ludique, en maîtrisant le fantasme,
le réalise en quelque sorte de façon déplacée dans l’espace. » (p. 146),
le jeu est savoir-être en ce qu’il est contrôle du pouvoir-faire et de la
pulsion qui le sous-tend : « L’acte
ludique est maîtrise de l’environnement ; il est possession de l’objet.
L’agir ludique peut se définir comme la domination d’un monde auparavant
dominateur ; ce renversement de la situation (passif-actif) est une autre
façon de décrire la symbolisation de la toute-puissance. » (p. 147).
Une perspective exclusivement
psychanalytique, donc souvent frustrante et partiale, qui n’empêche pas quelques
observations et analyses dignes d’intérêt.
Le
jeu chez l’enfant :
essai de psychanalyse enfantine de Philippe Gutton, Larousse 1973, 176 pages,
épuisé.