vendredi 31 août 2007

Resident Evil 4

Ceci n’est pas un jeu en ligne, je dévie donc un peu du thème originel de ce blog car je pense que c’est aussi de l’analyse de jeux, qu’ils soient en ligne ou non, que l’on peut déduire des règles ou tout au moins des leçons de gameplay. Bien sûr, l’intérêt n’est pas ici de dévoiler tous les jeux auxquels je joue, mais seulement les meilleurs, ou du moins ceux qui présentent un intérêt de gameplay.

Resident Evil 4 me fait penser à un produit Blizzard, tant il est achevé. Avec un scénario dans la bonne moyenne, haletant à souhait, et la présence de scènes interactives contextuelles, qui obligent le joueur à agir (un rocher que l’on lance sur vous, un scooter des mers à diriger, une esquive à réaliser alors que le méchant est en train de vous parler, etc) impliquent le joueur dans l’action et la légitiment de manière très convaincante. On ne fait que tirer au cours des 5 parties du jeu, mais vous ne vous en apercevez presque pas, tant les situations sont variées. Les décors superbes, ajoutés à un level design somptueux composé de villages, étang, pluie battante, église, château, laboratoire, camp d’entraînement, île, cachot… qui offre de diriger tour à tour les deux héros, ou simultanément à la manière d’Ico, donnent une complicité chaleureuse et une touche affective au jeu. La musique, qui change au gré de la présence de la présence de monstres qui vous interpellent et vous narguent, doublées par des voix d’acteurs qui se sont résolus enfin à ne rien surjouer, compose une ambiance particulièrement immersive. Et lorsqu’on finit le jeu après une trentaine d’heures, on a vécu une expérience si intense en compagnie de la belle Ashley, qu’on abandonne les personnages la mort dans l’âme.

Leon, votre avatar, en compagnie de la belle Ashley, dans des décors particulièrement réussis.


Devant tant de qualités, mes principaux reproches vont au gameplay. La série des Resident Evil est emblématique du survival horror, et l’ambiance de l’épisode 4 est parfaite de ce point de vue. Par contre, les auteurs semblent s’être perdus en cours de route et avoir sans le vouloir pondu un FPS à la troisième personne. Le hic c’est que les deux genres sont antithétiques et que le grobillisme engendré par l’amélioration des armes, leurs différents types (du pistolet de base en passant par le lance mines jusqu’au lance roquette), se marient très mal avec la peur. Dès lors vous vous transformez en nettoyeur de niveaux, et ce seraient plutôt du côté des monstres que se passe l’horreur. Pire, vous avez la possibilité d’acheter des armes comme dans un RPG, ainsi qu’une carte au trésor qui vous donne tous les bonus de chaque niveau. Enfin, cerise sur le gâteau, lorsque vous achevez le jeu une première fois, vous débloquez le lance roquette à munitions infinies…

L’hésitation entre les genres est particulièrement flagrante en ce qui concerne le gameplay puisque vous gardez un inventaire qui doit être agencé dans une mallette pour que vous puissiez y ranger un maximum d’objets (trouvaille complètement inutile), et qui rend les combats très laborieux, vous obligeant sans cesse à passer par l’inventaire pour changer d’arme. Votre personnage peut donner des coups de pieds, mais seulement lorsque le bouton vert apparaît à l’écran, et la détection étant très mauvaise vous en abandonnez vite l’idée. Bref, le jeu est bien un TPS (Third Person Shooter) mais avec une maniabilité de jeu d’aventure… Enfin, pour rallonger artificiellement le jeu, les monstres uniques ne le sont pas : et après une cinématique qui vous explique l’horreur qui a permis d’engendrer tel monstre redoutable, et que vous êtes enfin arrivé à le tuer, vous hurlez d’énervement en le rencontrant à nouveau par 3 fois, mais forcément sans cinématique car il n’a plus aucune raison de se retrouver là ! Bref encore un jeu qui aurait gagné à être deux fois moins long, avec une vraie incitation à le rejouer, plutôt que d’offrir 868 monstres à dégommer, ce qui en fait au moins 700 de trop. Les munitions, distribuées de façon aléatoire, peuvent en outre vous donner des crises de nerf quand vous obtenez une quatrième boite de munitions inutiles alors que vous n’en avez plus. Il ne vous reste plus qu’à recharger une partie pour obtenir autre chose… piètre solution. Ultime point : la scène de fin est minable or, après le déluge de feux d’artifice cinématiques du jeu, c’est difficile de faire plus décevant.

Demeure la réalisation, presque impeccable, certaines idées très simples étant excellentes : la destination de votre personnage est toujours sur la carte, pour vous éviter de tourner des heures dans chaque niveau, et vous reprenez l’action au début de chaque pièce après une mort, vous évitant de recommencer inutilement de trop longues parties. Un grand jeu… mais qui n’est que le haut du panier de la production actuelle, très conventionnelle.

Resident Evil 4 sur Gamecube, Capcom 2006, 29.90 €

mercredi 22 août 2007

Manga : origines, codes et influences


Il peut paraître étonnant que je passe en revue ici un livre sur le manga, qui n’a pas de rapport direct avec le thème de ce blog. En fait, il y plusieurs raisons à cela. La première est que j’ai lu ce livre pour passer le concours de l’ENJMIN, car une précédente épreuve avait proposé une analyse de manga. Les autres raisons sont que de nombreux jeux adoptent cette ‘esthétique’ (Tales of Symphonia, Blue Dragon…), et aussi que je connais son auteur qui m’a bien aidé pour dénicher son livre en un temps record (Merci Daniel !).

En premier je dois dire que je n’aime pas du tout les mangas que j’ai pu lire, les trouvant très mal dessinés avec un scénario d’une rare pauvreté. J’espérais donc comprendre en quoi le manga peut-il être intéressant. En 70 pages, ce livre très descriptif insiste sur l’histoire du manga, ses auteurs, sa production particulière qui passe d’abord au filtre de feuilletons dans des magazines spécialisés, et enfin quelques unes de ses techniques. Mon principal regret, mais de taille, est la suprématie écrasante du descriptif sur l’analyse, et la volonté sincère mais un peu vaine de l’auteur de défendre le manga contres plusieurs attaques ridicules : extrême violence, sexualité explicite, etc, émanant du « grand public ».

Au chapitre des regrets, je ne peux comprendre que dans un genre aussi marqué par le comics américain, diffusé en magazine, il n’y ait pas un chapitre sur leurs influences mutuelles, de même qu’avec le dessin animé puisque de très nombreux mangas ont un animé qui leur est dédié et sont inspirés du style de Tezuka qui a travaillé chez Disney. En effet, la graphie très simple des mangas, la multiplication des scènes d’actions et l’extension à outrance des cases détaillant cette action là où la bande dessinée européenne cherche l’ellipse, m’apparaitraient de bonnes pistes d’analyse. D’autant que la transposition en animé garde cette finalité en inversant la technique, par l’utilisation de la musique pour suspendre l’action et étirer les scènes en longueur. En outre, une comparaison avec la littérature romantique française (Dumas, Sue, Balzac…), qui a été profondément marquée par l’essor de la presse grand public et son écriture en feuilleton, aurait été souhaitable. Je mets en doute enfin certaines prétendues caractéristiques du manga (grosses têtes, grands yeux, corps réalistes, disparition du fond au profit d’une trame) qu’on retrouve systématiquement dans les comics américains, du journal de Mickey aux super héros. Même les thèmes quotidiens (sexe, société) et l’humour fondé sur un jeu de distanciation avec le lecteur, aussi relevés comme caractéristiques du manga, sont très présents dans la bande dessinée de presse française, à l’instar de Fluide glacial ou de Psykopat, eux aussi en noir et blanc.

Finalement, ce livre au format très court, est avant tout une introduction, réussie, à l’univers du manga. A cause de ses lacunes, et peut-être grâce à elles, il réussit à éveiller ce qu’il faut de curiosité pour que le lecteur tisse des liens stimulants vers ses propres références culturelles... et surtout donner envie d'en lire d'un autre œil ! Demeurent pourtant quelques questions : pourquoi le manga a tant de succès au point de représenter 50% des ventes de bandes dessinées en France, tout en touchant des catégories de lecteurs peu sensibles à la bande dessinée européenne ? Et pourquoi cette dernière n’a pas de succès au Japon ?

Et si la réponse était une culture de l’action justement portée par les jeux vidéo ? Les thèmes abordés, beaucoup plus proches du quotidien du lecteur, ainsi que les techniques utilisées, imposent la suprématie de l’action sur la contemplation esthétisante et plus abstraite portée par la bande dessinée occidentale. Le manga comme illustration instantanée de nos vies trépidantes… un instantané lyophilisé ou non.

Manga : origines, codes et influences de Daniel Blancou, L'iconograf 2006, 72 pages, 11,90 €.

mardi 14 août 2007

Jeux vidéo et médias du XXIe siècle


Sous-titré ‘Quels modèles pour les loisirs numériques ?’ je pensais que ce livre était un ouvrage de prospective, dressant un tableau des différents médias : télévision interactive, radios numériques, téléphones mobiles, appareils vidéo… en rapport avec les jeux vidéo. Je ne l’aurais donc jamais lu si je n’avais préparé le concours de l’ENJMIN. Or, je trouve, et ce sera l’une de mes seules critiques, que le titre reflèterait davantage le contenu du livre s’il s’était appelé Jeux vidéo : média numérique du XXIe siècle. En effet, tout le livre gravite autour de l'univers vidéoludique et dresse un état de l’art numérique et interactif : origine et nature, création et production, métiers et techniques, jeux collectifs et persistants, culture et prospective. Faisant de ce petit opus de 112 pages le manuel parfait du créateur de jeux vidéo, en offrant un excellent tableau de ce métier. Tous les thèmes y sont abordés ou presque en quelques lignes, de façon aussi claire que synthétique. De nombreux sujets que j’ai l’intention de traiter ici y sont soulevés, et un glossaire en rend la consultation très commode.

C’est sans aucun doute l’ouvrage le plus pertinent et le plus agréable à lire que j’ai eu pour le moment entre les mains, grâce à une langue simple et une appréhension des sujets qui va à l’essentiel. Comme quoi, il est inutile de faire long, compliqué ou ennuyeux pour expliquer le potentiel d’un produit populaire comme le nôtre. Sans doute en raison de sa publication récente, un chapitre complet aborde le jeu en ligne, donnant enfin la place qu’il mérite au futur du jeu vidéo.

Tout n’est pas parfait, mais presque ! Je n’y ai trouvé que très peu de jargon ("pro-actif", "générativité"…) ou d’erreurs. Myst et The Seventh Quest [sic] sont ainsi qualifiés à tort de jeux d’aventure alors que sont de purs jeux de puzzle (un vague scénario liant les puzzles entre eux) et sont d’ailleurs communément peu prisés des puristes du jeu d’aventure. Il faut cependant admettre que, compte tenu de la définition pour le moins réductrice que S. Natkin donne des puzzles (« position symétrique du joueur et de l’ordinateur »), on aurait bien du mal à y glisser The Seventh Guest, Tetris ou… les véritables puzzles ! Mais ce ne sont à vrai dire que des détails sujets à discussion.

Je recommande donc chaudement la lecture de cet ouvrage essentiel, dans tous les sens du terme. L’introduction idéale à l’univers du jeu vidéo en somme.

Jeux vidéo et médias du XXIe siècle de Stéphane Natkin, Vuibert 2004, 144 pages, 15 €

vendredi 3 août 2007

Les 10 commandements du game designer


Je me suis amusé à lister des règles de bon sens devant présider à la conception d’un jeu. Il est probable que j’en ai oubliées, et que certaines soient redondantes, mais dans l’ensemble elles me paraissent constituer un programme honorable de création… et un défi suffisant pour tout créateur de jeu. Elles reflètent en tous cas mon expérience.

1. Seul le plaisir tu chercheras

Un jeu se doit étymologiquement d’apporter la joie. Et c’est à cette seule aune que doit être jugé tout élément de gameplay.

2. Le gameplay au centre du jeu tu mettras

Un jeu vidéo est d’abord un jeu, ce qui signifie que les mécanismes ludiques en constituent le centre. Inutile de réfléchir à un scénario avant de s’intéresser à ce que votre jeu peut apporter au plaisir de jouer. Si la réponse est rien, ça commence mal.

3. La simplicité tu viseras

Le gameplay est l’équilibre entre la profondeur, c’est-à-dire la richesse du jeu, et son accessibilité, donc sa jouabilité. Si un élément enrichit le jeu autant qu’il diminue son accessibilité, ne le retenez pas. N’acceptez de diminuer (un peu) l’accessibilité qu’au prix d’un gain substantiel de la profondeur de jeu. Moins il y a de règles dans un jeu, plus il vous sera facile d’évaluer l’impact de vos innovations : l’usine à gaz est à proscrire absolument. Enfin la première impression d’un joueur est la bonne : si votre jeu ne remporte pas de suite l’adhésion, c’est de votre faute, pas celle du joueur !

4. L’originalité tu fuiras

Un concept est l’origine d’un jeu, jamais son aboutissement. Un jeu vidéo est une œuvre de genre : grâce aux clichés, elle permet au joueur de plonger immédiatement dans l’histoire, et c’est en jouant avec ces clichés, entre attentes et surprises, que vous allez créer une complicité avec lui. Il est en des jeux comme de l’art, les meilleures œuvres ne sont pas les plus expérimentales, et l’art se bâtit sur la culture : il est donc évolution, pas révolution.

5. La cohérence te guidera

Chaque élément du jeu doit entrer en résonnance avec le concept de base, et faire écho aux autres éléments du jeu. C’est ce qui va différencier l’implémentation souhaitable de celle qui ne l’est pas. Ce n’est pas parce que quelque chose est amusant en soi, que ce le sera une fois intégré dans le jeu. En effet, un jeu n’est pas l’addition de trucs ou d’idées, mais leur synthèse. C’est cette cohérence globale qui donne une personnalité au jeu.

6. De la technologie tu t’affranchiras

La technologie ne doit jamais être l’argument principal d’un jeu. Un bon jeu l’est pour toujours, même si le jeu vidéo est un produit technique. Or, la technologie et sa maîtrise évolue très vite, parfois plus que le développement d’un jeu. Ajouter à cela le temps de convaincre l’éditeur de financer le projet, de la développer avec des retards, et votre bombe technologique sera peut-être déjà dépassée. Appuyez-vous systématiquement sur la technologie, mais ne la laissez jamais dominer votre jeu.

7. Les conseils tu écouteras

Créer seul est un mythe. Un bon jeu est le résultat d’influences diverses, et savoir ce que l’on veut faire et ne pas faire est le gage de pouvoir trier parmi les conseils, surtout pas de leur faire rempart. Un cerveau ne peut en remplacer deux, à fortiori cinquante, et tout le monde à sa pierre à apporter. Etre à l’écoute c’est aussi s’assurer de convaincre vos collaborateurs du bien-fondé de leur travail.

8. A créer tu t’amuseras

Un jeu est une œuvre artistique, et à ce titre transmet une émotion. Si rien qu’à le concevoir votre jeu vous ennuie, n’espérez pas qu’il séduise sur un malentendu. Pour que les joueurs apprécient votre jeu, commencez par l’aimez vous-même, dans les moindres détails. Plus vous y prendrez de plaisir, plus celui-ci sera palpable aux joueurs.

9. Les tests tu ne négligeras

Un jeu doit apporter du plaisir, pas des problèmes. Les patchs devraient servir à améliorer le jeu (comme le fait Blizzard), pas à le corriger (comme le font beaucoup d’autres studios). Il vaut mieux un jeu raté, mais maîtrisé de bout en bout, qu’un bon concept buggé. En effet, seul le premier est jouable, et un jeu injouable donne une image déplorable du studio qui l’a produit.

10. A ton jeu tu joueras

… et rejoueras. Parce qu’un jeu n’est pas qu’une bonne idée, mais doit donner du plaisir sur la durée en se renouvelant. Parce que jouer à un jeu n’est pas le tester, mais bien se mettre à la place du public qui veut prendre du bon temps, et ainsi vérifier si le jeu est aussi bien qu’il aurait pu l’être. Enfin, seul le temps fait apparaître les défauts de conception. Et lorsqu’on fait paraître une suite, ce qui est presque systématique pour un succès vidéoludique, il est du plus mauvais effet que seuls les joueurs se soient aperçus des défauts de l’opus précédent.