vendredi 13 février 2009

Le joueur


Probablement le roman le plus connu ayant pour thème le jeu, avec Le joueur d'échecs de Stefan Zweig, il n'en est pas moins un roman atypique sur notre passion. En effet, le jeu des casinos, le jeu d'argent, n'est pas le jeu de société, et constitue ce que nous appelons les jeux d'adrénaline par opposition aux jeux de sérotonine (c'est une image, non la réalité biologique plus complexe). Le tourbillon qui aspire le narrateur, Alexis, est une spirale infernale, une drogue qui lui donne un degré d'excitation, généré par le danger encouru, ici la ruine, que ne pourrait lui procurer que les activités à risque comme conduire à grande vitesse, ou se produire seul sur une scène. Ces jeux sont des jeux de réalité par opposition aux jeux de fiction, futiles mais sans conséquence autre que de faire souffrir l'amour propre.

Si Dostoïevski veut témoigner de l'intérieur ce que fut sa passion pour le jeu, son objectif est avant tout de montrer l'inaptitude de l'homme au bonheur : Alexis ne veut que Polina, mais ne s'aperçoit pas qu'il est celui qu'elle aime, il souhaite être riche et dépense tout par dépit, informé de l'amour de celle qu'il a aimé et aidé financièrement il n'arrive pourtant pas s'extraire de la fascination pour le jeu.

Tel le romancier, Alexis trouve dans l'univers fictif du jeu, l'excitation, la sensation de contrôle et la magie de la joie intense qui lui font défaut dans la vie de tous les jours. S'il s'adonne au jeu d'abord par besoin utilitaire, afin de libérer sa bien-aimée d'une dette financière, il s'y abandonne une fois qu'il a perdue Polina, par passion compensatrice, trouvant dans la roulette les vertiges que l'amour enfui ne peut plus lui donner. Aussi quand on lui rouvre les yeux, il est incapable de se détacher de l'univers à la fois rassurant et excitant du jeu, la réalité lui semblant bien fade en comparaison. Or, cette fascination pour le jeu existe pour tous les types de jeu, d'argent ou non.

Le jeu réalise seul en effet l'ultime et impossible aspiration de l'homme : le transformer en héros, c'est-à-dire à la fois lui permettre de maîtriser son destin et d'être le centre du monde, celui qui en écrit l'histoire. La conclusion du roman de Dostoïevski en fait le constat amer, le roman en tant que fiction n'étant qu'une parabole, un succédané du jeu.

Le joueur de Fedor Dostoïevski, Actes Sud 1991, 234 p., 7.50 €

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