lundi 1 juillet 2013

Jouets de toujours

Adaptation pour le grand public d’une thèse d’état en histoire, il ne faut pas chercher, en dehors de son objet, un fil conducteur à ce catalogue de faits où la description écrase l’analyse. La quatrième de couverture est ainsi plus honnête que le titre de l’étude : « Cet ouvrage explique comment s’est formé un véritable « marché du jouet » dont ont su profiter les merciers des siècles passés. » En effet, le jouet semble ravalé au rend d’objet, de produit, mais le jeu de l’enfant auquel il sert de support n’est presque jamais abordé. C’est une histoire du jouet vue par l’angle du musée : l’objet matériel règne en maître, et lorsque son usage est examiné, c’est essentiellement du point de vue parental ou institutionnel : débat sur le rôle du jouet et leur nature dans l’éducation des enfants.

Le point de vue des enfants est finalement le grand absent de cette étude, qui semble toujours saisir son objet, c’est le cas de le dire, en tant que tel, comme si elle était totalement déconnectée de sa finalité : le jeu. A la différence des Jeux dans le royaume de France, de Jean-Michel Mehl, qui astucieusement interroge les lettres de rémission pour traquer l’acte de jeu, Michel Manson ne semble lui ne pas avoir trouvé d’angle d’attaque. Bien sûr il examine le jouet dans l’art ou dans les textes, mais ces supports ne sont que le reflet de la vision, souvent moralisante, des adultes auxquels ils sont destinés. Plus inquiétant, il semble évident que certaines sources auxquelles l’auteur a recours ne sont des que des conseils de bon sens, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas le fruit d’une observation mais plutôt de simples élucubrations, et ne sauraient donc être à ce titre présentés comme le reflet de leur temps. L’auteur, avec un respect scrupuleux des faits, semble ainsi mettre toutes ses sources sur le même plan sans jamais les interpréter, si ce n’est au pied de la lettre.

Pourtant la matière rassemblée dans cette étude s’y prêtait et les nombreuses citations permettraient de bâtir des chapitres sur la répartition des jouets par âge, l’usage spécifique des jouets anciens (le hochet pour faire sortir les dents, le tambour attribut des garçonnets, etc) ou encore leur aspect particulier (on apprend ainsi incidemment que la poupée pouvait être en carton). En lieu et place de ces interrogations légitimes, l’auteur nous livre, étalés sur plusieurs chapitres, des détails sur la lutte d’influence que se livraient les différentes corporations : merciers, bimbelotiers, tourneurs, tabletiers, miroitiers… Quant aux chapitres sur l’histoire antique et médiévale, ils sont si laconiques et inférieurs aux ouvrages qui les ont inspirés, comme celui remarquable consacrés aux jeux des Anciens de Louis Becq de Fouquières, que l’on ne voit pas bien pourquoi l’auteur s’est obligé à évoquer 2500 ans d’histoire, de la Haute-Antiquité à  la Renaissance, pour ne leur consacrer qu’une quarantaine de pages.

Il faut attendre la conclusion avant de voir apparaître la première analyse du rôle du jouet et de sa place dans la société, et qui plus est par le recours à la citation d’un tiers, Léo Claretie, extraite de son rapport sur le jouet contemporain rédigé pour l’exposition universelle en 1900 : « Les jouets ne sont pas ce que les frivoles pensent. S’ils amusent les enfants, ils font réfléchir les grands à des questions graves et diverses, d’ordre moral, social, économique, pédagogique, philosophique, historique. Ils font vivre des milliers d’ouvriers, ils servent la cause de la prospérité nationale par les millions qu’ils jettent dans le mouvement des affaires. Ils influent par leur contact immédiat avec les générations qui naissent, sur le goût et l’esprit publics ; ils concourent à l’éducation des enfants, dont ils sont les premiers sujets d’études ; ils inscrivent les annales par le bibelot, le souvenir des grands personnages et des événements notables. » (p. 324-325). Plus regrettable encore, ce traitement des jouets au pluriels, comme un bazar, un fourre-tout hétéroclite d’objets comme les autres, qui semble exclure de fait la question essentielle, celle du jouet en tant que condition et prétexte du jeu.

Jouets de toujours de Michel Manson, Fayard 2001, 382 pages, 23 €.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Deuxieme parte de Enfance et Histoire, par Giorgio Agamben.

Don Diego a dit…

Merci d'avoir pris le temps me recommander cet ouvrage que je ne connaissais pas et dont je ne manquerai de rendre compte prochainement.