Le dernier ouvrage de Jean Château, L'enfant et le jeu, ne nous avait pas
fait une forte impression, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais les études
qui lient imaginaire et jeu ne sont pas si fréquentes, d’autant que cette
question est au cœur de l’acte ludique. Cet essai, écrit pendant la seconde
guerre mondiale et publié peu après, a le mérite de mettre en lumière
l’influence de l’actualité angoissante sur l’imaginaire des enfants dont les
proches sont partis à la guerre, le jeu étant un moyen privilégié de résoudre
les angoisses. Comme toujours chez Jean Château, la méthode se fonde
essentiellement sur l’observation.
Et comme toujours elle en constitue la
faiblesse principale, puisque, bien que nombreuses et répétées, leur
interprétation est le plus souvent décorrélée donc gratuite : « Quel est donc l’élément nouveau qui, avec le
jeu, apparaît dans la conduite ? (…) Enumérons donc les principaux
caractères du jeu : il est jouissance, il est exercice, il est nouveauté.
(…) on pourrait donc définir le jeu comme une exploration à la fois gratuite et
source de jouissance. » (p. 15) Si la mise en avant du plaisir est
pertinente, l’articulation entre l’exploration, la nouveauté et le plaisir
n’est pas faite, pas plus qu’il n’existe une connexion entre cette
interprétation et les innombrables observations dont rend compte l’auteur.
D’autre part, si l’imaginaire enfantin est décortiqué de bout en bout, il est
comparé à un imaginaire adulte qui, lui, est entièrement postulé : « Pour l’enfant, inventer, sauf dans
l’exploration des premières années, c’est essentiellement adapter, transformer
l’activité mentale et motrice en fonction de circonstances nouvelles, céder aux
suggestions de la réalité ; ce n’est pas créer de toutes pièces, comme un
poète crée une poésie. » (p. 62). Cette observation, au lieu de
questionner l’auteur sur la nature de l’imaginaire adulte et de le conduire à
revoir la définition que nous nous en faisons à priori, le conduit au
contraire, sur la foi de ses préjugés, à les opposer.
Ce qu’il y a sans doute de plus frustrant
avec une méthode fondée sur l’observation, c’est la confusion sans cesse
répétée entre ce qui est observé et ce qui ne l’est pas, comme si observer A suffisait à faire de l’auteur le
censeur valable de B. En définitive,
Jean Château est un spécialiste du raccourci qui lui fait confondre
interprétation et inférence : « Nous
pouvons suivre ce passage en distinguant trois niveaux dans l’invention,
l’invention purement motrice de l’exploration, l’invention par combinaison
mentale et le niveau intermédiaire. » (p. 82) On cherchera en vain ce
qu’il appelle « niveau intermédiaire » et qu’il ne détaille jamais.
On sent pourtant bien que ce niveau intermédiaire est en deçà de celui de l’adulte,
seuil de l’imaginaire « supérieur ». Ce classement est d’autant plus
surprenant qu’à la page 82, Jean Château fait très justement de la copie le
second niveau de l’imaginaire, or ou apparaît celle-ci dans les trois étapes
proposées par l’auteur ? Le symbolique est bien le troisième et dernier niveau,
modèle de l’imaginaire humain valable pour l’adulte comme pour l’enfant.
Si le psychopédagogue caractérise
l’utilitarisme de l’imaginaire enfantin, c’est encore pour en pointer la
différence avec celui de l’adulte : « On y retrouve toute l’instabilité et les contradictoires métamorphoses
des jeux de cet âge : le mort est toujours vivant et les cadavres enterrés
sont encore sur les rochers. Ce qui importe visiblement ici, ce n’est pas le
récit en lui-même, c’est le comportement moteur auquel il pourrait donner lieu
et qu’il remplace. Peu importe donc la logique ou la vraisemblance de
l’histoire. (…) L’enfant ne cherche nullement à faire effort pour les adapter
au réel, il n’observe pas, n’étudie pas en vue de son jeu, malgré tout le
réalisme dont il veut faire preuve. C’est que ce réalisme n’est qu’un moyen en
vue de mieux satisfaire ses intérêts proprement ludiques. » (p.
120-121). Pourtant cet affrontement du réalisme et du vraisemblable est au cœur
de la théorie littéraire, la différence avec l’imaginaire adulte n’étant pas sa
nature mais son degré : dans le second, le réalisme est intégré avec
davantage de succès dans la création imaginative, alors que l’enfant n’en
retient guère qu’un caractère saillant. Et l’auteur d’enfoncer le clou en
tirant des plans sur la comète : « L’imaginaire, c’est ce qui est à côté, en marge, qui n’a pas sa
place dans la grande contrainte
objective. » (p. 259). L’imaginaire au contraire est ce qui supplée au
déficit d’observation et qui est à la base du processus d’intellection qui
s’appuie sur la logique, il n’y a donc aucune raison d’opposer l’imaginaire à
la connaissance, puisque le premier est partie prenante autant qu’il s’appuie
sur le second.
Dommage enfin qu’il faille attendre la
dernière page pour que la pensée la plus prometteuse, qui fait de l’imaginaire
le fruit de l’expérience, c’est-à-dire d’un processus de compréhension
totalisant, apparaisse : « La
pensée naît du geste, elle reste toujours geste, et nous ne pouvons connaître,
sentir et aimer les hommes et les choses si nous n’allons vers eux avec tout
notre corps. » (p. 287) Le corps, envisagé comme moyen de connaissance
privilégié par l’enfant, aurait sans doute permis à Jean Château de
traiter « la genèse de l’imagination
dans les jeux de l’enfant » de façon autrement plus originale et
stimulante. Un essai décevant, mais quand même préférable à L’enfant et le jeu du même auteur.
Le réel et l’imaginaire dans le jeu de l’enfant :
essai sur la genèse de l’imagination de Jean Château, Vrin 1946, 292 pages, épuisé.
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