dimanche 1 décembre 2013

Le réel et l’imaginaire dans le jeu de l’enfant : essai sur la genèse de l’imagination

Le dernier ouvrage de Jean Château, L'enfant et le jeu, ne nous avait pas fait une forte impression, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais les études qui lient imaginaire et jeu ne sont pas si fréquentes, d’autant que cette question est au cœur de l’acte ludique. Cet essai, écrit pendant la seconde guerre mondiale et publié peu après, a le mérite de mettre en lumière l’influence de l’actualité angoissante sur l’imaginaire des enfants dont les proches sont partis à la guerre, le jeu étant un moyen privilégié de résoudre les angoisses. Comme toujours chez Jean Château, la méthode se fonde essentiellement sur l’observation.

Et comme toujours elle en constitue la faiblesse principale, puisque, bien que nombreuses et répétées, leur interprétation est le plus souvent décorrélée donc gratuite : « Quel est donc l’élément nouveau qui, avec le jeu, apparaît dans la conduite ? (…) Enumérons donc les principaux caractères du jeu : il est jouissance, il est exercice, il est nouveauté. (…) on pourrait donc définir le jeu comme une exploration à la fois gratuite et source de jouissance. » (p. 15) Si la mise en avant du plaisir est pertinente, l’articulation entre l’exploration, la nouveauté et le plaisir n’est pas faite, pas plus qu’il n’existe une connexion entre cette interprétation et les innombrables observations dont rend compte l’auteur. D’autre part, si l’imaginaire enfantin est décortiqué de bout en bout, il est comparé à un imaginaire adulte qui, lui, est entièrement postulé : « Pour l’enfant, inventer, sauf dans l’exploration des premières années, c’est essentiellement adapter, transformer l’activité mentale et motrice en fonction de circonstances nouvelles, céder aux suggestions de la réalité ; ce n’est pas créer de toutes pièces, comme un poète crée une poésie. » (p. 62). Cette observation, au lieu de questionner l’auteur sur la nature de l’imaginaire adulte et de le conduire à revoir la définition que nous nous en faisons à priori, le conduit au contraire, sur la foi de ses préjugés, à les opposer.

Ce qu’il y a sans doute de plus frustrant avec une méthode fondée sur l’observation, c’est la confusion sans cesse répétée entre ce qui est observé et ce qui ne l’est pas, comme si observer A suffisait à faire de l’auteur le censeur valable de B. En définitive, Jean Château est un spécialiste du raccourci qui lui fait confondre interprétation et inférence : « Nous pouvons suivre ce passage en distinguant trois niveaux dans l’invention, l’invention purement motrice de l’exploration, l’invention par combinaison mentale et le niveau intermédiaire. » (p. 82) On cherchera en vain ce qu’il appelle « niveau intermédiaire » et qu’il ne détaille jamais. On sent pourtant bien que ce niveau intermédiaire est en deçà de celui de l’adulte, seuil de l’imaginaire « supérieur ». Ce classement est d’autant plus surprenant qu’à la page 82, Jean Château fait très justement de la copie le second niveau de l’imaginaire, or ou apparaît celle-ci dans les trois étapes proposées par l’auteur ? Le symbolique est bien le troisième et dernier niveau, modèle de l’imaginaire humain valable pour l’adulte comme pour l’enfant.

Si le psychopédagogue caractérise l’utilitarisme de l’imaginaire enfantin, c’est encore pour en pointer la différence avec celui de l’adulte : « On y retrouve toute l’instabilité et les contradictoires métamorphoses des jeux de cet âge : le mort est toujours vivant et les cadavres enterrés sont encore sur les rochers. Ce qui importe visiblement ici, ce n’est pas le récit en lui-même, c’est le comportement moteur auquel il pourrait donner lieu et qu’il remplace. Peu importe donc la logique ou la vraisemblance de l’histoire. (…) L’enfant ne cherche nullement à faire effort pour les adapter au réel, il n’observe pas, n’étudie pas en vue de son jeu, malgré tout le réalisme dont il veut faire preuve. C’est que ce réalisme n’est qu’un moyen en vue de mieux satisfaire ses intérêts proprement ludiques. » (p. 120-121). Pourtant cet affrontement du réalisme et du vraisemblable est au cœur de la théorie littéraire, la différence avec l’imaginaire adulte n’étant pas sa nature mais son degré : dans le second, le réalisme est intégré avec davantage de succès dans la création imaginative, alors que l’enfant n’en retient guère qu’un caractère saillant. Et l’auteur d’enfoncer le clou en tirant des plans sur la comète : « L’imaginaire, c’est ce qui est à côté, en marge, qui n’a pas sa place  dans la grande contrainte objective. » (p. 259). L’imaginaire au contraire est ce qui supplée au déficit d’observation et qui est à la base du processus d’intellection qui s’appuie sur la logique, il n’y a donc aucune raison d’opposer l’imaginaire à la connaissance, puisque le premier est partie prenante autant qu’il s’appuie sur le second.

Dommage enfin qu’il faille attendre la dernière page pour que la pensée la plus prometteuse, qui fait de l’imaginaire le fruit de l’expérience, c’est-à-dire d’un processus de compréhension totalisant, apparaisse : « La pensée naît du geste, elle reste toujours geste, et nous ne pouvons connaître, sentir et aimer les hommes et les choses si nous n’allons vers eux avec tout notre corps. » (p. 287) Le corps, envisagé comme moyen de connaissance privilégié par l’enfant, aurait sans doute permis à Jean Château de traiter  « la genèse de l’imagination dans les jeux de l’enfant » de façon autrement plus originale et stimulante. Un essai décevant, mais quand même préférable à L’enfant et le jeu du même auteur.

Le réel et l’imaginaire dans le jeu de l’enfant : essai sur la genèse de l’imagination de Jean Château, Vrin 1946, 292 pages, épuisé.

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