Historien indépendant, auteur d'une gigantesque Histoire des jeux de société, Jean-Marie Lhôte fut d'abord un spécialiste de la symbolique du tarot qui imprègne largement cet ouvrage sur le symbolisme des jeux. Les quatre enseignes (coupe, épée, bâton et denier) du tarot divinatoire fournissent l'architecture de l'ouvrage et sont le fondement d'une classification des jeux : « Quatre "cas de figure" peuvent être distingués et proposent une classification des jeux dans l’espace : I° jeux dont la nature réside dans une figure fixe – 2° jeux dont les figures se forment en jouant – 3° jeux dont la nature réside dans une figure mobile – 4° jeux conditionnés par la figure de leurs terrains d’évolution ou de leurs tabliers. » (p. 25-26). On retrouve ainsi sans surprise la classification de Roger Caillois : « la magie des objets » aux figures fixes intègre le masque (mimicry), « le plaisir d’être ensemble » dont les figures sont suscitées par les joueurs et provoquent le vertige (ilinx), « le sort des rêves » qui détermine au hasard une figure mobile (alea) et enfin « L’ordre du monde » dont l’espace, aire de la compétition (agôn), établit les figures du jeu.
L'apport de Lhôte est donc moins dans cette classification postulée et sans nouveauté, que dans certaines réflexions savoureuses et une bibliographie très personnelle qui donne la part belle aux ouvrages anciens et oubliés comme le livre de Becq de Fouquières. Si l'on déplore souvent au fil des pages le goût immodéré de l'auteur pour la compilation et la description au détriment de la progression de la réflexion ou de la synthèse, le travers est moins accusé que de coutume chez les historiens indépendants. Ce défaut est cependant d'autant plus regrettable que sa langue lyrique et sa pensée originale font parfois merveille, comme c'est le cas ici en conclusion de l'ouvrage :
« J’admire avec méfiance et scepticisme, l’auteur qui, au terme d’un ouvrage, le clôt d’une conclusion comme un cadenas et livre le volume avec son mode d’emploi, aussi précis que celui d’un comprimé pharmaceutique. Prenez et lisez, disent-ils et vous serez guéris de votre soif ; vous accèderez aux secrets de l’homme et du monde, vous possèderez la clef mirifique du beau savoir. Ici, dans ce domaine des jeux, je ne peux dire rien de tel. Le jeu irrigue toutes les activités de la vie, et l’on ne sait s’il faut le comparer au sang, à l’oxygène ou aux deux ensemble. Je ne peux que retourner vers mes sources pour inviter le lecteur à comprendre au moins les ressorts auxquels j’ai obéi, consciemment ou non, au cours de mon enquête ; pour lui permettre de faire les corrections, se moquer de ce qu’il pourra prendre pour de la naïveté, reconstruire éventuellement un échafaudage différent du mien, adapté à son usage. » (p. 211)
Cette absence assumée d'esprit de synthèse est à la fois le défaut et la richesse de cet ouvrage qui se lit comme un nuancier, stimulant l'imaginaire. L'anecdote finale, sur un certain paquet sur lequel il est écrit "Ne pas toucher" et dont l'auteur se fait un jeu de deviner le contenu, est un bel enseignement sur l'importance du jeu dans notre vie. En espérant avoir aiguisé votre curiosité et votre appétit ludique.
Le symbolisme des jeux de Jean-Marie Lhôte, Berg International 2010 (1976), 255 pages, 22 €.
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