Classique de la psychopédagogie, le jeu est étudié comme fondement de l'élaboration de la pensée par l'intermédiaire de l'imitation. Piaget est cependant moins intéressé par le jeu, qui concerne surtout la seconde partie de l'ouvrage, que par la représentation cognitive que l'activité ludique de l'enfant traduit. On retrouve les grandes caractéristiques et thèmes de sa pensée : imitation, assimilation / accommodation, réaction circulaire, pensée fictionnelle...
Bien que l'assimilation / accommodation soit inspirée de l'adaptation biologique, la théorie piagétienne apporte une explication intéressante du jeu : si l'enfant joue c'est pour recréer par imitation des situations qui lui échappent et qu'il cherche à assimiler. Le jeu repose donc sur une situation incomprise : par exemple la poupée va au travail car l'enfant ne sait pas ce qu'est le travail, ensuite soit l'enfant raccorde cette situation à une catégorie connue comme l'absence : travailler serait donc être absent, il s'agit alors d'une assimilation, soit il sent qu'il ne peut le faire et crée une nouvelle catégorie pour les absences de papa, parce que maman ne travaille pas et est parfois absente, il y a alors accommodation. L'enfant répète la scène jusqu'à en avoir assimilé toutes les contradictions ou en avoir accommoder une partie. C'est la réaction circulaire, de l'assimilation à l'accommodation et inversement, qui lui apporte l'amusement pour récompense de son sentiment de maîtrise.
Si Piaget fait le lien avec le plaisir de l'enfant, il n'y intéresse pourtant qu'en tant qu'accessoire de l'apprentissage de la pensée abstraite qu'il appelle fictionnelle. Il passe ainsi à côté de connexions fécondes entre, par exemple, sa théorie de l'imitation et le principe de répétition cher à Freud. En effet, si l'enfant imite c'est parce que l'absence d'explication est anxiogène et qu'en jouant l'enfant apprivoise l'incompréhensible qui lui fait peur. Un jeu apporte du plaisir car il accroît les capacités de raisonnement de l'enfant, or ce surcroît de compréhension désactive l'angoisse de l'enfant en le rassurant sur son environnement puisqu'il le comprend désormais, littéralement, puisqu'il lui fait une place dans son univers mental, changeant l'inquiétante réalité en symbole familier et réconfortant.
La démarche de Piaget n'est ainsi pas exempte de critiques : en ne s'intéressant qu'aux fonctions de la pensée symbolique, Piaget minimise leur intégration globale et leurs conséquences sur l'activité ludique (et inversement), s'arrêtant parfois au milieu du pont. Inversement, sa volonté de démonstration est parfois contreproductive, comme par exemple lorsqu'il veut faire du symbole la spécificité de l'enfant alors qu'il vient d'en donner une illustration concluante chez le singe ; ou encore lorsqu'il veut démontrer qu'il peut y avoir jeu sans symbole, ce qui selon sa propre théorie est impossible.
Autant de critiques qui n'entachent pourtant pas un ouvrage très riche, même s'il est parfois aride et difficile à suivre, et qui reste, plus de 65 ans après sa rédaction, d'une surprenante modernité. Une lecture essentielle.
La formation du symbole chez l'enfant : imitation, jeu, rêve - image et représentation de Jean Piaget, Delachaux et Niestlé 1945 (1959), 310 pages, épuisé.
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