jeudi 3 février 2011

Jouer / apprendre

Dans son précédent opus, Jeu et éducation, Gilles Brougère annonçait que "qui veut produire un discours scientifique devait construire son concept de jeu." (p. 272). Pourtant, depuis, l'auteur n' a pas pour autant une définition du jeu à proposer, allant jusqu'à réfuter qu'on puisse définir le jeu : "Le monde n'est pas construit sur des barrières étanches entre les activités. Vouloir isoler le jeu d'autres activités qui lui sont proches, et confier cette tâche à la définition, est un  exercice voué à l'échec." (p. 41) Plus encore, tout travail de synthèse serait prétentieux et vain : "C'est sans doute parce que nous en connaissons plus sur le jeu que la synthèse est devenue impossible. Nous nous éloignons d'une vision où l'on croyait qu'avec une idée géniale on pouvait rendre compte de la diversités des activités appelées "jeux"." (p. 5).

C'est sans doute là l'aspect le plus contestable que d'annoncer d'entrée que ce qui n'a pu être traité par l'auteur est impossible à réaliser. Ne serait-il pas en effet plus pertinent d'admettre que ce qu'on avoue impossible l'est d'abord pour celui qui l'écrit ? Cet aveu passant alors pour de la rigueur scientifique plutôt que pour la volonté coupable de dissuader une recherche qui nous prendrait en défaut. Or le plus étonnant reste que l'ouvrage est la contre-preuve de ce qui vient d'être affirmé. En effet Jouer / apprendre est bien une synthèse sur le jeu comme le prouvent assez des chapitres au titre évocateur : (I) Peut-on se prendre au jeu ? (II) Comment pense-t-on le jeu ? (III) Qu'est-ce que le jeu ? (V) Expérience et culture ludique (VI) Le jeu, un loisir parmi d'autres... Plus encore, en dépit de sa déclaration de foi, Brougère nous donne finalement sa définition du jeu à partir de ses composantes : "On pourrait bien sûr reprendre ces critères et les aligner sous forme de définition. Le jeu serait alors une activité de second degré constituée d'une suite de décisions, dotée de règles, incertaine quant à sa fin et frivole car limitée dans ses conséquences." (p. 58-59). Bref, on sent surtout que l'auteur, comme dans son opus précédent, ne sait pas toujours bien comment prendre le jeu.

A posteriori c'est cette démarche prospective qui, à défaut d'être toujours logique et efficace, permet au lecteur de s'immiscer dans une réflexion en construction. C'est parfois déroutant, à l'instar de la structure de l'ouvrage qui consacre deux fois plus de chapitres au "jouer" qu'à l'"apprendre", traitant les deux termes en parallèle plus qu'en intersection. Ainsi le second vocable, qui pose visiblement moins de difficultés à Brougère, en ressort sensiblement moins approfondi que le premier. C'est aussi parfois contestable, par exemple quand l'auteur croit voir une révolution du jeu dans sa forme vidéoludique, qui en est tout au plus une extension. 

Un ouvrage pertinent, riche et synthétique à la fois (même s'il s'en défend), certes parfois contradictoire, mais dont la forme est finalement tout à fait à l'image du jeu, notion paradoxale s'il en est, que cet essai sert de façon sincère et accessible à défaut d'être toujours limpide. Une lecture chaleureusement recommandée. 

Jouer / apprendre de Gilles Brougère, Economica 2005, 176 pages, 19 €.

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