"Du jour au lendemain, un plat de champignons me laissa seul au monde." (p. 10) Parce qu'il a volé quelques sous dans la caisse du commerce familial pour s'acheter des bonbons, le narrateur est privé de dîner, dîner où toute sa famille succombe. Et Sacha Guitry de conclure : "Oui, j'étais vivant parce que j'avais volé. De là à en conclure que les autres étaient morts parce qu'ils étaient honnêtes..." (p. 18) Ce roman provocateur a le parfum de la pièce de théâtre, où chaque chapitre se clôt sur un bon mot et où la narration se fait dialogue rapporté, les petits croquis de l'auteur émaillant le texte d'autant d'esquisses de personnages et de caractères.
A la manière d'un Meursault dans L'étranger, posant sur tout un regard amoral mais pas immoral, ne trouvant pas plus de plaisir, mais pas moins, à faire le mal que le bien, le narrateur refuse de jouer le jeu de la société. Il est donc un tricheur pour qui atteindre la vérité c'est comprendre les rouages de la société et donc en tirer les ficelles. C'est pourtant un acte de pure générosité, dont il a été, au sens propre, la victime, qui le remet sur le droit chemin, à savoir celui du jeu : "Oui, en une nuit et quelques jours, j'avais compris ce que c'était que le jeu et je m'étais mis à l'adorer. Je l'avais méconnu, méprisé, je l'avais honni et j'en avais vécu - et voilà qu'il m'apparaissait sous un jour différent. J'en saisissais l'agrément, j'en ressentais le plaisir, j'en éprouvais l'émotion - et tout l'argent qu'en sept années j'avais gagné en trichant, en quelques mois je l'ai perdu en jouant honnêtement !" (p. 148-149).
Le tricheur est donc en définitive celui qui ne sait pas jouer, et à la différence de Meursault qui voit la rouerie, du moins les rouages de la société tout en acceptant leur absurdité, le tricheur, selon Sacha Guitry, est un cynique qui, selon la formule d'Oscar Wilde, "connaît le prix de tout et la valeur de rien". Et c'est donc la découverte de la valeur du jeu, et son acceptation de "jouer le jeu", qui ouvrent les yeux au narrateur et lui font souligner : "D'abord qui a dit que le jeu était un vice ? Un avare probablement. Comment, nous mettrions tous les jours en jeu notre santé, notre bonheur, et nous hésiterions à compromettre une parcelle de notre avoir monétaire - ce serait attacher à l'argent vraiment trop d'importance !" (p. 154).
Un roman subtil, mais délicieusement im-, pardon, a-moral.
Mémoires d'un tricheur de Sacha Guitry (1935), Gallimard 2009, 160 pages, 5.70 €.
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