lundi 19 novembre 2012

Mieux vivre en maîtrisant votre énergie psychique

Dans son précédent opus, Vivre : la psychologie du bonheur [Flow], Mihaly Csikszentmihalyi détaille ce qu’est l’expérience optimale et la méthode ESM (Experience Sampling Method) qui consiste à la traquer son bien être en l'évaluant sur une échelle de 1 à 10 de manière aléatoire tout au long de la journée. Le nouvel opus se concentre davantage sur la façon de maximiser les expériences optimales tout au long de sa vie : « Linus Pauling, deux fois lauréat du prix Nobel, interrogé alors qu’il avait quatre-vingt huit ans : ‘‘je ne crois pas m’être assis un jour en me demandant ce que j’allais faire de ma vie, je me suis contenté de continuer à faire ce que j’aimais’’. » (p. 82-83) L’auteur poursuit en citant un lauréat d’un prix de littérature cette fois pour décrire précisément quand se produit l’expérience flux : « Mark Strand, ancien lauréat d’u prix national de poésie, décrit précisément le flux quand il parle de l’écriture : « Vous êtes plongé dans votre travail, vous perdez la notion du temps, vous êtes complètement pris par ce que vous faites, captivé […] quand vous commencez quelque chose et que tout se passe bien, vous avez l’impression qu’il n’y a pas d’autre manière de dire ce que vous dites. » (p. 83)

Dans la recherche d’une vie intense le rapport avec le jeu est davantage mis en valeur que dans l’opus précédent  puisque l’expérience proximale est conditionnée avant tout par la recherche du plaisir : « Il faut donc pratiquer une activité par plaisir et en se fixant comme but, non un quelconque résultat, mais le contrôle à acquérir sur son attention. » (p. 164). Le jeu est idéal dans la recherche du plaisir car il fixe clairement l’enjeu et le moyen de se l’approprier : « Le flux a tendance à se produire lorsque la personne se trouve face à un ensemble d’objectifs clairs qui nécessitent des réactions appropriées. Il est facile d’entrer dans le flux en jouant à des jeux comme les échecs, le tennis ou le poker parce qu’ils ont un but et des règles qui permettent au joueur de savoir quoi faire, et comment procéder. Tant que dure la partie les joueurs sont dans un univers à part ou tout est noir ou blanc. » (p. 44-45). Mais on aurait tort de croire que l’auteur recommande le jeu comme solution à une vie heureuse, c’est seulement en désespoir de cause que celui-ci peut se révéler satisfaisant : « Les exemples historiques montrent donc qu’une société commence à dépendre fortement des loisirs – notamment des loisirs passifs – lorsqu’elle est devenue incapable d’offrir à ses membres des occupations productives signifiantes. Donner « du pain et des jeux » est donc un dernier recours pour retarder momentanément la dissolution du corps social. » (p. 93).

Le principal reproche qui a été fait à Mieux vivre [finding flow] est d’être seulement une reformulation du premier opus. Pire, alors que l’auteur se targuait d’assoir sa démonstration sur des milliers de sondage effectués par la méthode ESM, il réutilise plusieurs des principaux exemples de son précédent ouvrage : l’ouvrier qui sait faire fonctionner toutes les machine de son entreprise, l’ouvrier qui sait monter une camera plus vite que son ombre, l’exemple de Linus Pauling, etc. Au point que l’on se demande dans se livre qui doit beaucoup au bon sens si l’auteur ne disserte pas d’abord à partir de ce qui sert son propos plutôt que de données chiffrées rigoureuses. Ainsi quand il produit le seul schéma de son ouvrage, emprunté à une étude qu’il a supervisée sur l’expérience optimale tirée de la vie quotidienne, il fait un oubli de taille : la frustration, absente de son schéma. De même, tout en faisant allusion à Abraham Maslow, fondateur de la psychologie positive dont il se réclame,  il semble éviter tout rapprochement avec sa pyramide… Les craintes qu’on avait émises sur la confusion entre intensité de la vie et bonheur semblent malheureusement en grande partie se vérifier :  « Ce n’est qu’après avoir accompli une tache que nous avons le loisir de revenir sur ce qui s’est passé, et nous sommes alors envahis par un sentiment de gratitude extraordinaire pour la qualité de ce qui vient d’être vécu –  ensuite seulement, rétrospectivement, nous sommes heureux. Mais on peut-être heureux sans connaître l’expérience-flux. Le bonheur peut provenir de plaisirs passifs, repos du corps, chaleur du soleil, relation paisible. » (p. 48). C’est la seule concession que Mihaly Csikszentmihalyi fait une possible distinction, employant le mot bonheur à tout bout de champ.

Le schéma (p. 47) que nous avons évoqué fera certes le bonheur des rational designers, mais si l’essai est plaisant à lire, comme l’était le premier, on est bien en peine d’y trouver une démonstration des évidences que l’auteur enfile comme des perles. Et dans évidence, il y a vide. Il est dommage que sur une thématique aussi riche le second opus ressemble à un résumé du premier, alors que nombre d’approfondissements et de rapprochements avec d’autres modèles psychologiques auraient mérité d’être envisagés. A l’image de l’étude antérieure d’Abraham Maslow, on reste toujours sur la désagréable impression que l’auteur a mis le doigt sur quelque chose de si essentiel qu’il est incapable d’en énoncer plus que l’évidence, à fortiori d’exploiter le changement de paradigme qu’implique sa découverte. Et inapte à positionner l’expérience optimale par rapport au bonheur, il se retrouve, par exemple, désemparé en constatant qu’on peut vivre l’expérience optimale en faisant le mal, ce qui va à l’encontre des idées, le conduisant à supputer alors que celle-ci ne saurait être aussi optimale que lorsqu’on fait le bien (ouf !).

Un livre essentiel sur la notion de plaisir – mais en cela pas plus ni moins que Vivre [Flow] – dont l’exploitation des conséquences reste encore largement à découvrir.

Mieux vivre en maîtrisant votre énergie psychique [1997] de Mihaly Csikszentmihalyi, Pocket 2005.

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