dimanche 22 juillet 2007

Le Game design de jeux vidéo : approches de l’expression vidéoludique


Se présentant lui-même comme une tentative d’’approche de l’expression vidéoludique’, ce livre est en quelque sorte l’antithèse du manuel pratique de J.-Y. Kerbrat. En effet, on n'y trouvera point de recettes à appliquer, mais un grand nombre en revanche de questions pertinentes, à condition de déchiffrer au préalable une écriture universitaire particulièrement pédante. Je ne peux m’empêcher de trouver grotesque d’écrire de façon cryptique et confuse sur un sujet aussi ludique et populaire que le jeu vidéo. En outre, cet art complet, mais visuel avant tout, a encore réussi le miracle de donner naissance à un livre en noir et blanc ou les schémas et les copies d’écran sont pratiquement inexistants… ou comment multiplier les pages de descriptions incompréhensibles là où un simple écran aurait éclairé le discours en le raccourcissant. Bref, une compilation de conférences qui oscillent entre le très bon (Genvo, Letourneux, Perron) et le très mauvais (Amato, Mauco, Mpondo-Dicka). Je regrette malheureusement que le mauvais l’emporte quantitativement sur le bon, et que l’approche sémiotique et diégétique, dont la pertinence est loin d’être prouvée quand elle est appliquée à un art futile et non narratif comme le jeu, soit l’œilleton majoritaire de ces spécialistes.

Les bons points. Commencer un livre du jeu vidéo en s’interrogeant sur la notion fondamentale gameplay, fait vraiment plaisir. En outre, faire appel à des professionnels du secteur, comme E. Gardiola, renforce la pertinence et la légitimité du livre. Certaines pages sont lumineuses : la définition de gameplay par S. Genvo, terme contradictoire écartelé entre la nécessité des règles et le désir de liberté du joueur ; mais aussi le lien entre le genre et l’usage établi par S. Natkin avec l’exemple des jeux d’arcade ; ou encore lorsque E. Gardiola invite les concepteurs à considérer le jeu vidéo comme un art propre et non un décalque d’autres formes (ce qui aurait mérité d’être intégré par les autres chercheurs !).

Les mauvais points. Je crois que des sentences comme : « Le schéma classique de la représentation mise en place par Port Royal postule un lien entre le signe-objet et la manifestation particulière du référentiel de type absolu. » (p. 119) montrent assez le courage qu’il faut au lecteur pour achever certaines communications. En effet, outre le caractère abscons et passablement prétentieux de cette phrase, pouvoir sortir une référence à Port Royal dans une réflexion sur les jeux vidéo, ce n’est plus de la prise de recul mais c’est carrément le point de vue de Sirius. C’est une bonne illustration du reproche principal que je fais à ce livre, qui croit paradoxalement que pour appréhender correctement le jeu vidéo il faut l’examiner avec les outils classiques utilisés en littérature ou en sciences sociales, sans chercher à le considérer de manière nouvelle. On dit bien que lorsqu’on dispose comme seul outil d’un marteau, tous les problèmes commencent à ressembler à des clous… Inversement, je trouve d’autant plus horripilant de voir répéter sans cesse comme vérité absolue et indépassable que les jeux vidéo imposent modèle ethnocentriste occidental alors qu’en tant qu’objet culturel, il est forcément l’émanation de la culture qui l’a produit. Un peu comme si on reprochait à Le Caravage ou à Rubens de ne s’intéresser qu’à l’Italie et au christianisme et de ne pas faire pas faire écho à l’art africain ou de ne pas porter une réflexion critique sur la colonisation contemporaine de l’Amérique. Bref, on nage parfois en plein délire. Enfin, on cherchera en vain une réflexion sur la technologie (ou alors en creux d’une autre réflexion), qui est toujours considérée a minima comme un support de jeu et non une caractéristique ludique du jeu vidéo.

J’aurais définitivement aimé un peu moins de « diégétique » ou de « sémiotique » pour une écriture plus synthétique et surtout un minimum de passion authentique. Ce livre se gargarise tellement de termes pseudo-scientifiques qu’il vous tombe des mains, le pire étant que son jargon universitaire ne nous épargne aucun barbarisme : « filmique » pour cinématographique, « iconique » pour iconographique, « définitoire » pour caractéristique, « corporéité » pour incarnation, etc. Bref, sans surprise, les meilleures communications sont les plus courtes et usent du langage le plus simple, comme quoi il est toujours bon de se souvenir que « ce qui se conçoit aisément, s’énonce clairement ».

L’un des points forts de l’ouvrage reste, en dépit d’un caractère décousu dû à sa forme de recueil, qu’il fasse à peu près le tour de la question, brassant avec plus ou moins de réussite la question des genres, de l’interactivité, de la violence, de l’identification, de la narration non linéaire, de la R&D, de l’immersion, du réalisme, etc.

Un bon de point de départ à la réflexion sur la création de jeux vidéo… si on supporte le jargon impossible et le caractère avorté de la majorité des communications.

Le Game design de jeux vidéo : approches de l’expression vidéoludique sous la direction de Sébastien Genvo, L'Harmattan 2006, 376 pages, 30 €

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