Première oeuvre de l'écrivain chinois A cheng, cette nouvelle fut un événement à sa sortie en Chine, davantage pour des raisons politiques semble-t-il que littéraires : cette nouvelle prônait le retour aux racines en mettant en avant l'ancienne culture et les vertus du yin et du yang. Le héros est un "fou d'échecs" envoyé en rééducation politique à la campagne pendant la révolution culturelle. Il joue comme il mange, avec passion et voracité, aussi devient-il naturellement l'ami du narrateur, cuisinier et conteur, qui est donc son pendant et son faire-valoir. L'un tout à sa passion, le second en retrait mais qui offrira la consécration au premier.
En dépit du succès rencontré par ce conte, l'écriture est assez maladroite, même si la traduction peut y avoir sa part. Présenté d'entrée de jeu comme un génie des échecs, le héros traverse le récit comme un ovni, l'insistance sur sa façon peu conventionnelle de dévorer et sur son ignorance de tout ce qui ne touche pas aux échecs parachevant son caractère hors norme. Dès lors la compétition finale surprend tant elle est prévisible. Certes on perçoit la volonté de l'auteur de louer une ancienne forme de jeu, perçu comme un art, contre la moderne qui est devenue un métier, de même qu'une certaine philosophie de vie contre un système inique. Mais la progression de la nouvelle est hétéroclite, la fin en apothéose apparaissant curieusement malvenue dans un récit qui prône simplicité et dévouement.
A l'exemple par exemple de cette réflexion du narrateur au fou d'échecs : "Si tu trouves que tout va bien à quoi bon continuer à jouer ? C'est superflu de jouer aux échecs non ?
Il se frotta le visage, tenant sa cigarette en l'air :
_ Je suis un passionné d'échecs. Dès que je joue j'oublie tout. Quand je suis absorbé par une partie je me sens bien. Je peux jouer mentalement, sans échiquier ni pièces. Je ne gêne personne. (...)
_ C'est bien de pouvoir jouer aux échecs, dis-je en soupirant. Quand on a lu un livre, on ne peut pas toujours le repasser dans sa tête. On a toujours envie d'en lire un nouveau. Les échecs ses mieux , on peut s'amuser à essayer différentes stratégies." (p. 38-39)
C'est sans doute une évidence, mais c'est aussi la clef de la fascination du narrateur pour le joueur, et de la passion dévorante, insatiable, de ceux hantés, comme le fou d'échecs, par le jeu. Celui-ci ne s'arrêtant jamais, chaque partie n'étant qu'une étape vers une degré supérieur de maîtrise.
Un conte agréable et sans prétention.
Le roi des échecs de A Cheng, in Les trois rois, Editions de l'aube 1994, p. 7-86, 9 €.
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