Ouvrage fondateur, publié en allemand en 1896 et traduit en français en 1902, Les jeux des animaux n'est pas un ouvrage d'un biologiste mais d'un psychologue. Convaincu que les animaux ont beaucoup à nous apprendre sur notre propre comportement, il s'intéresse à démontrer que si le jeu naît moins d'un excès d'énergie que d'un commandement de l'instinct, s'inscrivant de ce fait dans la théorie évolutionniste de Darwin. Nécessaire à l'être vivant, l'instinct en revanche ne saurait l'expliquer complètement, et Groos de s'opposer à l'idée que "les animaux n'auraient qu des instincts, mais point de raison, et les hommes la raison mais pas d'instincts." (p. 25).
Le livre étant ancien, il profite du fait que les théories sur le réflexe conditionné de Pavlov n'avaient pas encore discrédité les recherches sur l'intelligence animale, même si l'auteur tente, tant bien que mal, de se garder de tout anthropomorphisme. Inversement il aborde des questionnements qui n'ont plus cours aujourd'hui : par exemple l'auteur se demande si les fourmis jouent, alors qu'il apporte lui-même la réponse à cette question en faisant le lien entre l'enfance et l'apprentissage par le jeu : "Dans ce cas les animaux ne joueraient pas, comme on disait autrefois, parce qu'ils sont jeunes et gais ; il faudrait dire au contraire : les animaux ont une jeunesse pour qu'ils puissent jouer." (p. 68). Fort heureusement l'intelligence de l'auteur fait merveille, et celui-ci choisit avec bonheur les bonnes questions en y apportant des réponses qui, si elles ne sont pas toujours les meilleures, sont tout au moins pertinentes.
Le principal reproche tiendrait plutôt à certains réflexes qui faussent sa méthode. Ainsi, tout en admettant qu'il faut chercher l'explication de l'origine des jeux des hommes dans celui des animaux, l'auteur cherche, avec force contorsions, les jeux des hommes (construction, poupée, imitation...) dans les jeux des animaux. C'est non seulement peine perdue, mais cela prouve qu'il ne questionne jamais le terme de jeu qu'il considère comme évident. Or ses tartines d'exemples, incluant jusqu'aux jeux de cours, démontrent le contraire. Heureusement, à défaut de maîtriser toujours le coeur de son sujet, l'auteur mène avec brio une réflexion sur la pudicité, confirmant ainsi le bien-fondé de la psychologie comportementale et évolutionniste pour décrypter nos comportements sociaux.
Et, bien qu'on ne suive pas davantage l'auteur dans ses conclusions, puisque celui-ci voit le jeu principalement comme "plaisir d'être une cause" et besoin de puissance, il met le doigt sur son explication qui touche à l'être, à l'affirmation de l'identité et au besoin d'équilibre et de maîtrise. Or, on si on tient compte du fait que la thèse de l'excès d'énergie a depuis été remplacée par la théorie de la stimulation interne, on peut dire que Groos n'est pas tombé loin, et a posé les fondements de l'éthologie contemporaine en matière de jeu.
Un livre intelligent, dont la pertinence est encore appréciable aujourd'hui. Une lecture ludique et recommandée.
Les jeux des animaux de Karl Groos, Felix Alcan 1902, 375 pages, épuisé.
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