Adaptation d'une thèse de doctorat, l'ouvrage m'a été conseillé par un lecteur de ce blog ; rétrospectivement je dirais par défi ou par malice. En effet, même si le sujet est vaguement celui du jeu chez Nietzsche, je ne pense pas qu'on puisse décemment conseiller un essai qui tient davantage de la masturbation intellectuelle que de la réflexion. Exceptées l'introduction écrite dans un français, certes un peu alambiqué mais lisible, le reste n'est que vacuité ronflante et prétention. Même le philosophe Colas Duflo, qu'on ne peut taxer de béotianisme en la matière, se contente de citer l'introduction, et le théologien François Euvé, qui fait pourtant de l'immanence du jeu et de la création le propos de son livre, l'ignore simplement.
Comment en effet faire la critique d'un ouvrage qui ne dit rien de compréhensible et qui, lorsqu'on fait l'effort de dépioter le peu qu'on nous donne à ronger (le jeu serait une "immanence opératoire", répété à l'envi, et dont je n'ai toujours pas compris la signification), se dégonfle comme un soufflet ? Outre un plan déséquilibré (une partie de 100 pages l'autre de 50), l'auteur se gargarise de son style amphigourique et impossible, au point qu'on reste admiratif qu'il arrive encore à suivre sa propre pensée. Le premier et l'un des seuls exemples arrive page 84, au moment où l'on n'y croit plus. Mais entre temps, l'auteur nous gâte : "La "différance" correspond à la dérive transcendantale du travail des dualités, le dérapage a priori des limites dedans/dehors - mais un dérapage en perpétuelle instance de réorganisation, tel que la transgression ne puisse jamais se dissocier du simulacre de cela même qu'elle transgresse." (p. 45) ou encore : "Il faut plutôt y entendre une invocation à vivre l'esprit (y compris l'intellect) dans sa corporéité pratique inconnue." (p. 63). L'éditeur a-t-il seulement relu ?
Enfin, non content d'être illisible, l'auteur se permet de contredire Eugen Fink qui, s'il est exigeant, dévoile une pensée riche et pertinente, ce dont il ne peut guère se targuer. Pire, il s'agit d'un commentaire de Nietzsche qui réussit la performance d'être plus obscur que la philosophie qu'il est censé éclairer. Pourtant on sait depuis Boileau que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire vous viennent aisément. » Fort heureusement le jeu a encore l'avantage d'être un sujet de passionnés qui nourrit des ouvrages sincères. Celui-ci est tout sauf cela. A fuir.
Pour une critique de la raison ludique : essai sur la problématique Nietzchéenne de Thierry Lenain, Vrin 1993, 196 pages, 28 €.
3 commentaires:
Ce livre est compréhensible pour peu d'un effort et d'un travail consenti (la pensée n'est guère femme facile). Bien imbécile celui qui invoque Boileau (cet autre imbécile) pour excuser sa paresse, celle qui le maintient dans un paradigme enkysté.
Je m'estime doublement flatté. D'abord de ce que, dans mon imbécillité, je partage un point commun avec Boileau, ensuite que la sincérité de ma critique ait poussé l'auteur à lui répondre.
Mais ne vous formalisez pas, cette critique n'est que l'avis d'un lecteur parmi d'autres.
Ludiquement,
Diego
Merci de me refroidir. J'étais déçu que quelqu'un ait déjà choisi ce titre. La véritable "Critique de la raison ludique" reste donc à rédiger.
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