« Autrefois, au temps où le ciel était très proche de la terre, les femmes dogons décrochaient les étoiles et les donnaient aux enfants. Quand ceux-ci étaient là de jouer, les mères leur reprenaient les astres et les replaçaient dans la voûte céleste. Ce mythe est certes l’un des plus plaisants parmi tous ceux qui exposent l’origine merveilleuse des jeux. Il est d’autant plus remarquable que le geste si simple et si grand de ce décrochage immense suivi d’une économe remise en place s’applique à une étoile-jouet, démontrant par là toute l’importance des jeux mineurs de ces régions. » (p. 1) C’est sur cette belle métaphore, citée avec pertinence dans Eloge de la pièce manquante que nous avons critiqué ici même, que débute ce recensement prétendument exhaustif des jeux dogons.
L’esquisse d’analyse qui suit l’énoncé de ce mythe est le seul de tout l’essai. Après une carte présentant en préface le territoire Dogons, à la manière des explorateurs du XIXe siècle, on découvre au fil des chapitres un classement des jeux en dix catégories, classement qui semblent avoir inspiré Roger Caillois, mais c’est bien le seul. Pour ma part, j’en ai cherché en vain la justification ou la pertinence : « Jouets / Jeux agonistiques / Danses / Jeux d’adresse et de combinaison / Jeux de chance et de recherches / Jeux d’arts plastiques / Jeux oraux / Brimades moqueries / Divination / Jeux-rites ». L’auteur n’essaie même pas de définir ce qu’il entend par jeu, à fortiori ce que le jeu représente pour les dogons, et il ne se demande jamais ou celui-ci commence et où s’arrête. Pire, l’ethnologue ne précise jamais si le jeu a été observé une seule fois (invention spontanée) ou s’il est représentatif de tous les dogons. Aucune distinction de saison, de région, de groupe, de contexte n’est faite. Souvent un chapitre commence sans introduction, s’achevant sans conclusion : une liste de jeux… et c’est tout, chapitre suivant. La durée de la mission d’observations, les conditions de la collecte, les difficultés rencontrées, etc. ne sont jamais évoquées. Bref, un désert méthodologique.
Certes la plupart des jeux sont accompagnés des paroles rituelles en langue originale avec la traduction, ainsi que de dessins de grande qualité. Une suite de photo, qui n’ont pour la plupart pas de rapport avec le jeu, clôt l’ouvrage. Si le sujet est bien ethnologique, la méthode est totalement absente. Pourquoi qualifier les moqueries et brimades de jeux, la divination ? Cela aurait mérité un commentaire. Malheureusement le lecteur est renvoyé à son propre questionnement. Reste le contenu, inventaire brut de jeux d’une peuplade, que l’absence du contexte de collecte rend inexploitable.
Ethnologiquement et ludiquement aussi intéressant qu’un catalogue Joué Club. Seule l’introduction fournit quelques éléments d’interprétation : « On dira peut-être qu’il s’agit là d’exercices religieux et qu’ils ne méritent à aucun degré le nom de jeux ; à cela pourrait être opposé la propre réponse des Dogons qui les désignent par un mot signifiant ébats, amusements. » (p. 2) Comme quoi même les dogons associent le jeu au plaisir. Mais c’est un peu mince… Livre rare, vendu 250 euros environ sur le marché de l’occasion, rien en tout cas ne peut laisser prétendre cet essai à une telle cote.
Jeux dogons, de Marcel Griaule, Institut d’ethnologie 1938, 291 p., épuisé.
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