Il peut paraître étonnant d’évoquer ici un roman, mais il se trouve que je l’ai découvert sur une bibliographie en ligne d’ouvrages consacrés au jeu. Ayant déjà eu l’occasion d’apprécier la trilogie du capitaine Alatriste, du même auteur, je me suis dit que c’était l’occasion de joindre l’utile à l’agréable. Je dois dire d’entrée que le roman, dont l’édition espagnole date de 1990, n’est pas le meilleur de l’auteur, qui a beaucoup progressé depuis. Il n’en reste que l’idée de base est excellente et rappellera à certains le thème du film Ce que mes yeux ont vu, en ce moment sur les écrans.
Ce tableau d’un maître imaginaire de la renaissance met en scène deux joueurs d’échec, dont l’un tient un cavalier blanc en main, observés dans le fond par une femme en noir. En restaurant le tableau, l’héroïne met au jour une inscription en latin « Qui a tué le chevalier ? » également traduisible par « Qui a pris le cavalier ? ». Détail troublant, le second joueur est mort deux ans avant l’exécution du tableau. Commence alors une enquête historique pour identifier les protagonistes du tableau et résoudre le mystère de cet assassinat vieux de cinq siècle, alors qu’un meurtre dans l’entourage de la restauratrice, lance une double partie d’échec, à l’envers et à l’endroit, à la fois réelle et métaphorique, avec l’assassin. Le suspens est haletant et à valu au livre le grand prix de la littérature policière en 1993.
En tant que joueur, je regrette en premier lieu que ce soit un roman sur les échecs, qui semble le seul jeu à même d’inspirer les auteurs de fiction. Mais l’identité de ce jeu et les symboles qu’il alimente sont parfaitement exploités. Reste que Perez-Reverte s’est senti obligé de tirer le sujet en longueur, notamment en lui ajoutant une histoire sentimentale qui n’apporte rien au roman. De plus, la volonté affichée de l’auteur de préparer soigneusement ses effets, fait qu’on devine souvent à l’avance ce qui va se passer. Inversement, les quelques retournements de situation sont un peu grotesques, avec l’inévitable long chapitre de conclusion pour vous expliquer une solution pour le moins abracadabrante. Je passe enfin sur certains détails vraiment irréalistes, comme la restauratrice qui fume comme un pompier en ôtant le vernis d’un tableau qui coûte des millions de dollars.
Mais ce qui nous intéresse réellement ici est le traitement original réservé au jeu et certaines pensées pénétrantes l’associant de manière astucieuse à l’art. En effet, parce que la réalité est à la fois opposée et complémentaire au jeu, l’auteur applique simultanément l’analyse des échecs à la réalité, et l’anthropologie au jeu, faisant entrer le lecteur dans l’esprit du joueur en composant une partie complète depuis un point milieu : comment remonter le cours du partie juste à partir des pièces prises, comment finir cette partie en anticipant coup par coup ce que va jouer l’adversaire. Un bel éloge du jeu qui fait des échecs un reflet de la vie, et du jeu le but ultime de celle-ci. On y trouve même un hommage au graveur M. C. Escher, qui a su mêler mieux que quiconque le jeu et l’art.
Un roman ludique et plaisant, qui vaut un long discours sur le jeu.
Le tableau du maître flamand d’Arturo Perez-Reverte, JC Lattès 1993, 350 pages, 6 €
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