Ce pensum avait pourtant bien commencé, croyant citer Corneille :
dimanche 30 décembre 2007
Sous couleur de jouer
jeudi 20 décembre 2007
Le tableau du maître flamand
Il peut paraître étonnant d’évoquer ici un roman, mais il se trouve que je l’ai découvert sur une bibliographie en ligne d’ouvrages consacrés au jeu. Ayant déjà eu l’occasion d’apprécier la trilogie du capitaine Alatriste, du même auteur, je me suis dit que c’était l’occasion de joindre l’utile à l’agréable. Je dois dire d’entrée que le roman, dont l’édition espagnole date de 1990, n’est pas le meilleur de l’auteur, qui a beaucoup progressé depuis. Il n’en reste que l’idée de base est excellente et rappellera à certains le thème du film Ce que mes yeux ont vu, en ce moment sur les écrans.
Ce tableau d’un maître imaginaire de la renaissance met en scène deux joueurs d’échec, dont l’un tient un cavalier blanc en main, observés dans le fond par une femme en noir. En restaurant le tableau, l’héroïne met au jour une inscription en latin « Qui a tué le chevalier ? » également traduisible par « Qui a pris le cavalier ? ». Détail troublant, le second joueur est mort deux ans avant l’exécution du tableau. Commence alors une enquête historique pour identifier les protagonistes du tableau et résoudre le mystère de cet assassinat vieux de cinq siècle, alors qu’un meurtre dans l’entourage de la restauratrice, lance une double partie d’échec, à l’envers et à l’endroit, à la fois réelle et métaphorique, avec l’assassin. Le suspens est haletant et à valu au livre le grand prix de la littérature policière en 1993.
En tant que joueur, je regrette en premier lieu que ce soit un roman sur les échecs, qui semble le seul jeu à même d’inspirer les auteurs de fiction. Mais l’identité de ce jeu et les symboles qu’il alimente sont parfaitement exploités. Reste que Perez-Reverte s’est senti obligé de tirer le sujet en longueur, notamment en lui ajoutant une histoire sentimentale qui n’apporte rien au roman. De plus, la volonté affichée de l’auteur de préparer soigneusement ses effets, fait qu’on devine souvent à l’avance ce qui va se passer. Inversement, les quelques retournements de situation sont un peu grotesques, avec l’inévitable long chapitre de conclusion pour vous expliquer une solution pour le moins abracadabrante. Je passe enfin sur certains détails vraiment irréalistes, comme la restauratrice qui fume comme un pompier en ôtant le vernis d’un tableau qui coûte des millions de dollars.
Mais ce qui nous intéresse réellement ici est le traitement original réservé au jeu et certaines pensées pénétrantes l’associant de manière astucieuse à l’art. En effet, parce que la réalité est à la fois opposée et complémentaire au jeu, l’auteur applique simultanément l’analyse des échecs à la réalité, et l’anthropologie au jeu, faisant entrer le lecteur dans l’esprit du joueur en composant une partie complète depuis un point milieu : comment remonter le cours du partie juste à partir des pièces prises, comment finir cette partie en anticipant coup par coup ce que va jouer l’adversaire. Un bel éloge du jeu qui fait des échecs un reflet de la vie, et du jeu le but ultime de celle-ci. On y trouve même un hommage au graveur M. C. Escher, qui a su mêler mieux que quiconque le jeu et l’art.
Un roman ludique et plaisant, qui vaut un long discours sur le jeu.
Le tableau du maître flamand d’Arturo Perez-Reverte, JC Lattès 1993, 350 pages, 6 €
jeudi 13 décembre 2007
Ecrire pour le jeu, techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo
Le livre d’Emmanuel Guardiola, est très justement sous-titré Techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo alors qu’on aurait pu de prime abord le prendre pour un livre de game design. En effet, si le livre détaille bien comment « écrire pour le jeu », c’est-à-dire les techniques de la narration vidéoludique, on n’y trouve à peu près rien sur le gameplay. Du moins dans son acception de mécanique de jeu et non comme écriture de l’interactivité.
C’est sa principale qualité, car en se concentrant sur le scénario, l’auteur, même s’il fait de nombreuses références au cinéma, montre bien les spécificités du support informatique, et tout le caractère « potentiel » de l’exercice. Ce faisant, il s’attache en outre à décomposer le processus d’écriture en méthodes plutôt qu’en recettes toutes faites, ce qui me semble judicieux. Mais c’est aussi la principale faiblesse d’un livre qui rappelle sans cesse la nécessité de la cohérence ludique tout en faisant l’économie de l’analyse de ce qui constitue l’essence d’un jeu. Pour reprendre la métaphore cinématographique chère à l’auteur, ce serait comme parler de l’écriture de scénario sans évoquer la conception des dialogues : c’est possible, mais cela offre un résultat quelque peu tronqué. Bref, on a davantage l’impression d’être devant un livre de level design (élaboration du background, cartographie de niveaux, schéma des interactions, courbes de progression…), que de game design.
C’est en soi intéressant, clair et instructif, mais parcellaire. Il est vrai qu’aborder la naissance d’un concept ludique, parce que cela reste du domaine créatif, est assez risqué, et le seul livre de game design qui s’y livre, à savoir Conception et architecture des jeux vidéo, s’y est cassé les dents. Autre lacune : la production est elle aussi presque complètement délaissée. Reste qu’à choisir entre la martingale de Jean-Yves Kerbrat, certes plus complète, et cette initiation à la scénarisation vidéoludique, je choisis immédiatement la seconde. Une référence efficace et accessible sur la question, mais rien de plus. Ce n’est déjà pas si mal.
Ecrire pour le jeu : techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo d’Emmanuel Guardiola, Dixit 2000, 256 pages, 20 €
vendredi 7 décembre 2007
Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : Les faiseurs de monde
La première chose qui frappe à la lecture du titre c’est que l’on ne voit pas bien ce que vient faire le multimédia entre les jeux vidéo et les jeux de rôle. J’ai eu un élément de réponse récemment lorsque un agent de l’administration, me questionnant sur ma formation vidéoludique, m’a dit : « Ah, vous faites une formation multimédia »… croyant sans doute reformuler de manière plus sérieuse, donc plus valorisante, l’intitulé de ma spécialité. Ce à quoi j’ai répondu par la négative. Au contraire, je trouvais a priori pertinent de rapprocher les jeux vidéo des jeux de rôle (sans « s », merci) sous le principe de la création d’univers, et c’est bien ce qui m’a fait acheté ce livre. Hélas, le titre est totalement usurpé et aucun élément du livre ne fait allusion au sous-titre…Le contenu est donc à l’image du titre : bancal. Je crois que la dernière phrase de la conclusion résume parfaitement le livre: « Mais peut-être s’écarte-t-on là un peu du jeu ? » En effet, il n’est question ni des jeux de rôle, malgré un historique, ni des jeux vidéo, en dépit de l’absence d’historique, mais de la pratique de ceux-ci par les joueurs, et plus précisément du profil sociologique de ces derniers. Donc en définitive il n’est pas plus question des jeux de rôle, que des jeux vidéo, que du multimédia ou des faiseurs de monde.
D’abord conçu comme une thèse de 3e cycle, l’ouvrage suinte la langue scolaire et les références universitaires par tous les pores : je ne compte plus les guillemets et les parenthèses qui gangrènent le discours. En outre, on peut avoir 3 pages de résumé de la pensée de tel sociologue fameux qui n’a aucun rapport avec le sujet, simplement pour dire que les joueurs sont des « héritiers » au sens donné par Bourdieu, et prouver que l’auteur a bien potassé ses cours. Or, ces références brouillonnes éloignent l’analyse de l’essentiel : en quoi ces « jeunes, ces bourgeois, ces héritiers » pour reprendre la terminologie très marxiste et pour le moins datée de l’ouvrage, sont différents des autres adolescents de leur âge ? Je pense qu’en commençant par là, l’auteur se serait aperçu que les joueurs sont simplement des adolescents comme les autres, qui se montrent critiques face à la société parce qu’ils sont adolescents et non parce qu’ils sont joueurs, et que cela ne valait pas un ouvrage sur les "refaiseurs de monde".
De même, plutôt que de se demander si le club de tel patelin est représentatif, n’aurait-il pas été préférable de se demander si la population des clubs de jeux de rôle est représentative de sa pratique dans la société ? Par exemple, si l’auteur avait voulu analyser l’importance du football dans notre société, serait-il allé chercher des clubs de supporters, plutôt que le spectateur/pratiquant moyen ? Peut être en aurait-il alors déduit que les clubs conduisent à une échelle de valeurs et un communautarisme en marge de la société, et donc une distanciation critique ? N’est-ce pas en outre les attaques de circonstances à l’encontre de leur passion qui rendent les joueurs hostiles aux médias, et davantage critiques vis-à-vis de la société ? En permanence le sociologue questionne sa démarche, ce qui revient à nier la capacité critique du lecteur, tout en se posant les mauvaises questions. En outre, est-il sage de publier un livre en 2001 fondé sur des études sociologiques datant du milieu des années 90, marqué par la « diabolisation » de la pratique des jeux de rôle ? On se sent ainsi étranger à un discours de justification désormais totalement dépassé, qu’alimente malgré lui l’auteur.
On espérait être affranchi de ce biais pour la partie consacrée aux jeux vidéo, mais c’est au contraire l’absence de polémique qui pilote l’analyse, l’auteur s’inquiétant que le jeu vidéo impose une idéologie capitaliste et ethnocentrée, implicitement acceptée par les joueurs. Et c’est là le reproche principal qu’on peut faire à l’ouvrage : jamais l’auteur ne considère que l’individu qui joue est dans une position cathartique. Pourtant, les Echecs exaltent la guerre, le Monopoly le capitalisme, le Trivial Pursuit l’élitisme, le Risk l’impérialisme… En refusant de considérer ce qui fait les caractéristiques du jeu, il passe à côté de l’essentiel : un jeu sans enjeu, sans mécanisme de compétition, de pouvoir, de dépassement, sans principe de réussite et d’échec, de sanction et de récompense n’est tout simplement pas un jeu. Et si Civilization ou Colonization font référence à l’histoire, c’est qu’elle est un moyen d’accrocher l’imaginaire du joueur, plus que la conquête de Mars qui n’a jamais eu lieu… C’est ce principe d’univers référentiel qui fait qu’un joueur préfère généralement faire exploser des têtes dans Doom, qualifié par l’auteur de militariste, que sauter sur des champignons dans Mario. Et pourtant les champignons de Mario sont éliminés comme les aliens de Doom.
Enfin, certaines erreurs patentes questionnent la légitimité de l’auteur par rapport à son sujet : Sony serait le fabricant de la Dreamcast, le multimédia une métaphore du jeu (monter son propre ordinateur c’est comme réussir un jeu…), les jeux de rôle auraient périclité à cause de la fin des affaires comme celle de la profanation du cimetière de Carprentras (alors que ces jeux ont connu une baisse de la pratique à cause de l’investissement personnel qu’ils requièrent en comparaison de celui nécessaire pour les jeux de cartes à collectionner du type Magic et les jeux vidéo, dont l’avènement pour les premiers et le bond technologique associé à la démocratisation des plate-formes pour le second date de la fin des années 90)…. Bref, un ouvrage novateur par son approche sociologique sur notre passion, plutôt plaisant à lire, mais au contenu dépassé, mal maîtrisé et inabouti.
Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : Les faiseurs de monde de Laurent Trémel, PUF 2001, 310 pages, 23 €
vendredi 30 novembre 2007
Le jeu vidéo est-il un art ?
Dernier jeu commercial réalisé de A à Z (à l'exception de la musique) par un auteur unique, Another World (Delphine Software 1991), est un jeu d'aventure/action sans dialogue ni indicateur d'aucune sorte à l'écran, qui confine au chef d'œuvre. L'univers onirique de l"'autre monde" est particulièrement envoutant, et la personnalité de l'auteur, Eric Chahi, transparaît jusque dans les moindre détails. Mais combien de jeux peuvent en dire autant ?
samedi 24 novembre 2007
La morphologie du conte
On sera peut être surpris de trouver ici une critique d’une analyse structuraliste du conte, ouvrage ancien s’il en est puisque l’édition originale remonte à 1928, mais ce petit livre, par la taille, est grand par le contenu. Abondamment cité en bibliographie des travaux sur la narration, cette œuvre est un peu le pendant sérieux de l’Oulipo (qui a fait une référence directe au conte avec Un conte à votre façon de Queneau) et de l’Oubapo, opposant l’analyse de la tradition narrative orale à la fantaisie de la prospective et des ‘exercices de style’
La morphologie du conte de Vladimir Propp, Seuil 1970, 255 pages, 7.50 €
vendredi 16 novembre 2007
Oubapo 2
On trouve parfois cité en référence d’articles sur le game design les travaux de l’Oulipo (Ouvroir de LIttérature Potentielle), en particulier Mille milliard de poèmes et Le conte à ma façon de Raymond Queneau qui a exploré la génération automatiques d’histoires et de poésie. L’Oubapo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle) est son pendant dans le 9e art. Or, contrairement à ce qu’on pourrait penser au premier abord, il s’agit essentiellement des trouvailles concernant la narration et plus particulièrement l’agencement des vignettes, qu’une recherche graphique particulière. Le contenu intéresse donc tout spécialement les jeux vidéo, qui mêlent comme la bande dessinée images et texte.
mardi 6 novembre 2007
La violence et les jeux vidéo
S’il est une évidence que de nombreux jeux vidéo sont violents, ce n’est qu’une évidence journalistique que tous les jeux vidéo sont violents et rendent violents. En effet, l’Allemagne a été le premier pays à interdire certains jeux vidéo pour leur violence, comme Doom, sans aucun effet palpable sur la violence des adolescents. Enfin, cela n’est qu’un reflet de la perception de la violence par le politique, car aux USA, c’est une séquence interactive cachée à caractère sexuel qui a entraîné la colère de la Maison blanche, dans le jeu Grand Theft Auto 3 ou l’on incarne un mafieux qui écrase les piétons sur la route de son bolide. Mais aux Etats-Unis, il n’y a pas de limite à la violence à l’écran, alors que la sexualité est tabou. Un noir qui embrasse une blanche dans le cinéma américain n’existe que dans les films de Spike Lee, en revanche le spectacle de la torture est accepté. On a à peu près la position inverse en Europe, particulièrement en France.
Le fusil à pompe est un grand succès des FPS pour ses effets visuels éloquents (recul de l'arme, puissance de perforation, arrosage sanguinolent des alentours...), qui participent pleinement à la dimension de défoulement graphique du jeu. Un pistolet, qui ne fait qu'abattre l'adversaire, est en comparaison bien ennuyeux (Resident Evil 4 de Capcom sur Gamecube).
mardi 30 octobre 2007
Les jeux et les hommes : le masque et le vertige
A la suite d'Homo Ludens de Johann Huizinga, Roger Caillois publie un essai sur le jeu en 1958. Il ne cache pas son inspiration faisant un résumé du livre de l’auteur hollandais en introduction. Sauf que ce résumé, au demeurant pertinent, oublie consciencieusement la position de Huizinga sur les jeux de hasard, qui pour le premier, et avec raison ne sont pas des jeux, et pour le second en sont un archétype. Cette évidence proposée par Huizinga, Caillois la balaye d’un argument totalement spécieux qui biaise d’entrée l’un des quatre fondements de son livre. On peut ainsi lire en première page de son introduction : « [Le jeu] repose et amuse. Il évoque une activité sans contrainte mais aussi sans conséquence pour la vie réelle. Il s’oppose au sérieux de celle-ci et se voit ainsi qualifié de frivole. Il s’oppose d’autre part au travail comme le temps perdu par rapport au temps bien employé (…) En effet, le jeu ne produit rien, ni biens ni œuvres. Il est essentiellement stérile. A chaque nouvelle partie, et joueraient-ils toute leur vie, les joueurs se retrouvent à zéro et dans les mêmes conditions qu’au premier début. Les jeux d’argent, paris ou loterie, ne font pas exception : ils ne créent pas de richesse, ils les déplacent seulement. Cette gratuité fondamentale du jeu est bien le caractère qui le discrédite le plus. »
Les jeux et les hommes : le masque et le vertige de Roger Caillois, Gallimard 1967, 370 pages, 7.20 €
mercredi 24 octobre 2007
Grim Fandango
A sa sortie en 1998, pourtant fan de Day of the Tentacle (DOTT), j’avais boudé le nouveau jeu de Tim Schafer car il était en 3D et que je trouvais sacrilège que Lucas Arts ait répondu aux sirènes de la 3D sur un genre qui ne l’exige pas du tout. En y jouant pour la première fois aujourd’hui, je dois malheureusement dire que je n’avais que trop raison. En effet, le jeu ne se manipule plus à la souris (!) mais à la manette ou au pavé numérique. Ainsi, au lieu de pointer et de cliquer pour faire se déplacer le personnage, on est obligé de bien comprendre comment est réalisé le décor sinon on butte comme un aveugle dans le premier obstacle venu, et on échoue à résoudre une énigme simplement parce que le personnage est mal positionné. C’est fastidieux au possible et vraiment agaçant. Rétrospectivement, les graphismes de DOTT ont moins vieillis que ceux de Grim Fandango, mêmes s’ils restent attachants, alors qu’ils sont de 4 ans plus anciens. Enfin, ces graphismes dépouillés et inanimés sont très lourds et obligent à des chargements intempestifs qui coupent l’action et font planter le jeu si on titille le clavier pendant ce temps. Génial…
C'est beau, on y retrouve malgré la 3D la patte de Lucas Art, les personnages sont habilement stylisés, mais c'est bien vide et... mort.
mercredi 17 octobre 2007
Les éléments constitutifs du jeu
Johan Huizinga affirme : « Le jeu est une activité volontaire accomplie dans certaines limites fixées de temps et de lieu, suivant une règle librement consentie, mais complètement impérieuse, pourvue d’une fin en soi, accompagnée d’un sentiment de tension et de joie, et d’une conscience d’être autrement que dans la vie courante. »
La différence entre un passe-temps et un jeu vient que le premier est subi, le second est désiré, que le premier n’a pas d’enjeu sinon de « tuer le temps », alors que le second crée une tension, et dans le cas d’un jeu de société, une compétition entre les joueurs. L’enjeu d’une partie, à comprendre ici comme son but, sa finalité, et surtout pas comme ‘une mise’, est ce qui doit motiver le joueur à participer, donc à entrer dans le jeu et qui va provoquer une tension tout au long de la partie, alors que pourtant le jeu est sans conséquence. Aussi, en matière de jeu, l’important n’est pas seulement de participer, et si l’un des joueurs n’adhère pas à l’enjeu (étymologiquement, ce qui fait que le joueur est dans le jeu), il est immédiatement « hors jeu », puisque toutes les règles concourent à équilibrer les chances de gagner, ce qui fait de chaque joueur l’adversaire à surmonter pour les autres. Or, un joueur qui ne jouerait plus le jeu serait l’adversaire de personne et « brouillerait la donne ».
Le principe même de simulacre (« c’est pour jouer/rire ») vient du fait que le joueur à toujours quelque part à l’esprit qu’il n’affronte pas véritablement ses adversaires. Ainsi, un « mauvais joueur » est seulement quelqu’un qui s’est laissé prendre au jeu et qui oublie que celui-ci est futile, c'est-à-dire sans conséquence dans la réalité. C’est pour cette raison que les jeux d’argent sont opposés au concept de jeu, car la tension qu’ils induisent est inscrite dans la réalité, par l’appât du gain et la peur de se ruiner. Il ne s’agit que d’un goût du risque, comme celui de rouler à 200 km/heure, qui n’a rien à voir avec le jeu et élimine même tout aspect ludique. Les joueurs de Casino ne sont pour ainsi dire jamais des joueurs, et inversement. A noter que le film Tron (de Steven Lisberger, Disney 1982), montre de façon assez convaincante qu’un joueur qui joue pour sa survie ne joue plus.
Comme Alice avant lui, le héros de King Quest 6 (Sierra 1992) est sur l'île du jeu... Une façon de jouer et de se jouer de cette conscience de l'illusion.
Le célèbre auteur de jeux américain Alan Moon affirme : « Un jeu c’est d’abord des règles ». En effet, sans règles, qui définissent l’espace de jeu, son univers, il ne peut y avoir d’existence pratique de celui-ci. Les règles définissent le cadre de la partie, et à ce titre ne restreignent pas la liberté du joueur mais sont au contraire le cadre qui fixe l’espace du simulacre ludique, qui permettent l’exercice de la liberté du joueur, « la suite de choix intéressants » tels que la conçoit le game designer Sid Meier. Même les jeux prétendument invasifs, appelés aussi contingents ou pro-actifs, comme le sont les « killers », sorte de jeu à partie non délimitée où chaque joueur joue lui-même dans la vie de tous les jours, obéissent à des règles précises et possèdent donc un cadre de jeu.
Autrement dit, le concept de partie implique un temps limité. Pour plonger dans la partie et se prendre au jeu, il faut une concentration, une tension, qui va entraîner l’immersion du joueur qui se trouve dès lors dans la situation paradoxale de savoir qu’il joue tout en éprouvant les émotions réelles des actions qu’il effectue. Exactement comme un spectateur au cinéma sait qu’il est devant une fiction et pleure ou rit devant les malheurs des personnages. Mais cette immersion, et cette identification du joueur et du personnage qu’il incarne, est brisée si la partie dure trop longtemps, comme un film trop long ennuie. La participation active du joueur l’oblige à un effort de concentration, lié à la réflexion que le jeu exige, qui est plus important que celui demandé par un divertissement passif. Les jeux en ligne ou les jeux de rôle sur table ont, malgré les apparences, des parties finies (les sessions de jeu que constituent une quête, un objectif que se fixe le joueur) mais la progression des personnages est le fil qui entretient une continuité de façade aux yeux des aficionados.
Cette notion, complètement absente de la définition de Huizinga, est nécessaire à l’existence du jeu, car elle définit la relation faite d’action et de réaction du joueur avec les éléments du jeu, et des joueurs entre eux. En effet, qu’on se figure un jeu de société où les joueurs n’ont pas les mêmes chances de gagner, ou un jeu vidéo où les joueurs n’auraient aucun moyen d’anticiper les événements et d’opérer les « choix intéressants » qui matérialisent l’intérêt d’un jeu, celui-ci n’en serait plus un. Un jeu qui aurait une stratégie dominante, c’est-à-dire gagnante à tous les coups, impliquerait l’abolition des choix et donc du jeu, alors qu’un jeu avec des stratégies dominées impliquerait leur inutilité et le risque pour le joueur de ne pas pouvoir exercer les choix nécessaires à son plaisir. Les wargames, qui reposent sur la simulation d’une situation réelle et souvent déséquilibrée, peuvent être des jeux si les capacités des joueurs compensent le déséquilibre. Dans le cas inverse, le jeu s’arrête dès que l’un des joueurs n’a plus de prise sur le sort de la partie. Enfin, l’équilibre interne des éléments du jeu, entre hasard et tactique, permet de surprendre ce qu’il faut le joueur, de mettre à égalité le joueur expérimenté et débutant, et en dernier lieu de renouveler les parties.
En récapitulant : un jeu est un divertissement motivé par un enjeu futile, dont le déroulement est encadré par des règles équilibrées qui le limite dans le temps. Le jeu nécessite de la part du joueur la volonté et l'aptitude à jouer, ainsi qu'à la fois la conscience et l'illusion de jouer, et exige de sa part une interaction continue avec l'environnement et les autres joueurs. Ces caractéristiques sont toutes nécessaires pour être en présence d’un jeu. Qu’il en manque une seule, et l’aspect ludique s’étiole. Je donnerai donc du jeu la définition suivante : Divertissement sans conséquence qui ne vise que le plaisir des joueurs qui s'y livrent. Activité futile encadrée par des règles équitables, qui définissent une session, des ressources et un enjeu que les joueurs cherchent à s'attribuer par une succession de choix pertinents.
lundi 8 octobre 2007
Jeux vidéo : l’art du XXIe siècle
A l’instar de l’ouvrage de Morris et Hartas, voici encore un livre qui affirme que le jeu vidéo est un art au moyen d’un livre en papier glacé et cartonné truffé d’écrans et d’artwork de jeux vidéo. Si son format traditionnel est peu conforme à son aspiration d’ouvrage d’art, il faut lui accorder qu’il a tendance à considérer le jeu vidéo tout entier comme un art, et pas seulement par son aspect graphique. Son contenu est donc une sorte de compromis entre de L’empire des jeux, panégyrique de la production, et Game Art, qui nous dévoile les ‘secrets’ des graphistes.
samedi 29 septembre 2007
Homo Ludens : essai sur la fonction sociale du jeu
L’homo ludens est pour Huizinga, un historien hollandais spécialiste du Moyen-âge tardif (et essayiste à ses heures), un qualificatif plus approprié pour définir l’homo sapiens, tant l’homme passe son temps à jouer. Il faut dire que pour Huizinga, tout est matière à jouer : les compétitions, le droit, la guerre, le sacré, le potlatch, les énigmes, la poésie, la philosophie, la sagesse, l’art, etc. Si bien qu’on finit par se demander qu’est-ce qui n’est pas un jeu. Jesper Juul faisait très justement la remarque que ceux qui définissent le jeu ont tendance à tirer la couverture à lui en considérant que tout est jeu, ou inversement qu’il n’est que ‘telle’ chose, suivant l’œilleton au travers duquel ils l’examinent. Pourtant, après un premier chapitre particulièrement brillant, où l’historien hollandais examine avec un œil neuf toutes les traces de jeu dans notre civilisation en faisant remarquer judicieusement que le jeu précède la culture puisque les animaux jouent, j’espérais beaucoup des pages suivantes. Hélas, à part nous assommer avec son érudition, par ailleurs assez contestable, on comprend que tout est perdu dès qu’il conclut à la page 40 que le culte est un jeu.
dimanche 23 septembre 2007
Game Art : le graphisme des jeux vidéo
Le jeu vidéo est un art. C’est du moins ce qu’affirme ce « beau livre » au format à l’italienne en introduction de l’ouvrage. Si ce qualificatif est douteux concernant un art collectif comme les jeux vidéo, il peut se comprendre aisément dans un livre dédié au graphisme. Il ne reste qu’à le prouver en cours d’ouvrage par une sélection minutieuse des écrans de jeu, un rendu de grande qualité, et une mise en page digne d’une galerie. Hélas, ce livre ne possède rien de tout ça : le rendu des écrans pixelisés dans ce livre en papier glacé est indigne d’un livre sur l’art graphique, la mise en page est horrible, voire totalement inadaptée, se permettant de placer le commentaire et les écrans sur des pages séparées, handicapant la lecture, et enfin le commentaire n’a souvent rien à voir avec l’écran sélectionné, voire le texte n’est pas du tout un commentaire du graphisme mais par exemple une considération générale sur le space opéra et les livres qui ont inspiré ce courant. A d’autres endroits les auteurs se lancent dans un panégyrique ludique et non artistique des jeux présentés, sans qu’on comprenne en quoi ils offrent un graphisme exceptionnel, ou encore des graphistes interviewés décrivent leurs choix de représentation sans aucune distanciation sur ce qui aurait été souhaitable, ce qui a été atteint et en quoi ils sont fiers de leurs graphismes.
samedi 15 septembre 2007
L’Empire des jeux
Paru dans la collection ‘Les 50 plus belles histoires’ le livre de Vincent Montagnana est un catalogue d’anecdotes relatives à 50 jeux vidéo. Vu le titre on s’attendrait à ce qu’on nous détaille les 50 plus gros succès du jeu vidéo, ou tout au moins les 50 jeux les plus marquants. Eh bien non, ce serait plutôt les 50 jeux pour lesquels l’auteur a une anecdote, savoureuse ou non, à nous raconter. En effet, 50 c’est une somme, alors pour certains l’anecdote est ridicule voire inexistante : Bionic Commando est un jeu japonais dont on a caché les croix nazies pour la diffusion américaine mais dont on a oublié d’enlever le visage d’Hitler pour le boss final. Sinon le jeu n’a pas laissé de traces… c’est tout ? Euh oui, et il y aussi Jeff Minter qui adore les lamas. Et ? Eh bien il n’a pas fait un seul hit mais il adore les lamas. Ah ok ! Et ce n’est pas fini : les japonaises utiliseraient Rez comme sex toy. Super… Bref, le livre est à l’image de son sujet, anecdotique et parfaitement dispensable.
samedi 8 septembre 2007
Zelda : The Wind Waker
Les défauts récurrents chez Nintendo sont, au-delà d’un scénario stupide et de dialogues insupportables dont vous devez valider chaque réplique, alors que votre personnage ne prononce jamais un seul mot ( !), une réapparition continuelle des monstres, et une hésitation pénible entre le RPG et le jeu d’aventure. Vous pouvez donc combattre et mourir sans que cela ne rajoute quoi que ce soit au jeu ni ne fasse progresser le héros. La maniabilité du combat n’est pas bonne et les monstres n’ayant pas de tactique d’attaque claire, vous enchaînez les techniques au petit bonheur la chance. Le seul intérêt des affrontements étant d’obtenir de l’argent et de regagner un peu de votre vie… perdue en combattant. On retrouve les niveaux immenses traditionnels à la série, dans lesquels vous aurez tôt fait de vous perdre malgré la carte et la boussole… qu’il vous faudra déjà trouver dans ces niveaux très vastes ! Comme il n’y a pas de destination sur la carte, au contraire d’un Resident Evil 4 par exemple, vous tournez des heures, combattant sans cesse les monstres que vous venez de tuer quand vous rebroussez chemin. Le niveau de l’île maudite, en ajoutant une dimension d’infiltration, vous permet de recommencer 15 fois le niveau depuis le début grâce à une construction en tour dont la prison constitue bien sûr le souterrain, aussi chaque fois qu’on vous découvre, vous n’avez plus qu’à recommencer votre ascension par le début : très frustrant et horriblement répétitif. Les sauvegardes vous ramenant toujours au début du niveau, vous n’avez aucun salut de ce côté-là.
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