dimanche 30 décembre 2007

Sous couleur de jouer



Ce pensum avait pourtant bien commencé, croyant citer Corneille :

Et je dirais que vous aime,
Seigneur, si je savais ce que c’est que d’aimer.

En effet, comment dire que l’on joue sans savoir que ce que c’est que jouer ? Puisqu’il faut en avoir conscience. Malheureusement, n’est pas Descartes qui veut, et lorsque celui-ci s’attache à douter et à remettre en cause le « bon sens », le philosophe trouve un point de gravité et construit son Discours de la méthode autour. J. Henriot, en laissant vagabonder sa pensée, s’affranchit de la rigueur nécessaire à l'exercice, et considère pour acquis des choses bien discutables (le jeu est l’opposé du sérieux), et discute l’indiscutable, démontré par Huizinga : le jeu précède la culture, puisque les animaux jouent spontanément, comme les enfants, sans qu’on le leur ait appris. La belle citation de Molière, et non de Corneille comme le prétend l’auteur, posée comme une évidence, contient d’emblée son antithèse : puisque Psyché est par cette citation en train d’avouer son amour… Qu’on conteste la position de Huizinga, tout évidente qu’elle me paraît, on est forcé d’admettre que l’homme, comme n’importe quel être pensant, n’a pas attendu de savoir définir l’amour pour le faire, la faim pour chasser, la vie pour survivre, le jeu pour jouer… Ce sont choses qui nous sont impérieuses et que nous faisons par instinct.

Quiconque à observé un jeune enfant ou un animal jouer : un chat avec une ficelle, un chien qui rapporte un bâton ou qui court après sa queue, sera donc passablement effaré de voir qu’en 1989 il existe encore des psychologues pour mettre en doute que les animaux jouent ou rêvent. D’autre part, démonter la définition du jeu de Huizinga en prenant des contrexemples, qui par définition illustrent mais ne démontrent rien, pour dénoncer que le jeu n’est pas libre, pas plus que gratuit ou improductif, est un sophisme hallucinant. En effet, Huizinga ne dit pas que le jeu est gratuit ou libre ou en dehors de la réalité, mais ET libre, ET gratuit, ET situé en dehors de la réalité. Dès lors, suivre une pensée bavarde, écrite en corps 8 sans saut de ligne sur 300 pages, qui touche à tout sauf à l’essentiel, est par moments un véritable cauchemar. Seul le début de l’ouvrage aborde franchement le sujet, avant de prendre des chemins de traverse qui perdent sans cesse le lecteur au cours de chapitres interminables aux titres cryptiques : relativité du relativisme, un impératif hypothétique, des schèmes aléatoires, un procès métaphorique…

On a souvent l’impression que l’auteur lui-même perd le fil, et ivre de son propre raisonnement, arrive à se convaincre lui-seul que le jeu n’est pas l’opposé du travail ni même en dehors de la vie courante. Quoique pour ce second point, comme pour la majorité des questions soulevées dans cet ouvrage, je dirais même qu’on n’arrive pas à savoir clairement sa position. Souvent l’auteur, à l’instar des prédécesseurs qui se sont attaché à définir le jeu, s’enferre à considérer des cas particuliers sans comprendre qu’il peut y avoir du jeu dans une activité sans que celle-ci ne soit qualifiable pour autant de jeu, comme il peut y avoir de l’art dans la nature, du travail dans le jeu, du sérieux dans l’humour…

Mais je dois avouer que le lecteur consciencieux et obstiné, qui tient coûte que coûte à terminer le livre commencé, sera récompensé en conclusion par un grand éclat de rire qui confine au grotesque. Je ne résiste pas à vous le livrer, vu que c’est à vous que l’auteur s’adresse :

« Enfin Bref… Il me revient que certains lecteurs n’on pas la patience de lire un livre en accompagnant l’auteur dans tous ses développements. L’essentiel est pour eux de savoir comment cela finit. Ils aiment qu’on leur résume l’ouvrage en une phrase [NdC : les imbéciles !]. A leur intention, je vais rassembler les éléments de la définition que d’autres auront lue, au fil des pages, par dessus mon épaule. On appelle jeu tout procès métaphorique résultant de la décision prise et maintenue de mettre en œuvre un ensemble plus ou moins coordonné de schèmes consciemment perçus comme aléatoire pour la réalisation d’un thème délibérément posé comme arbitraire. »

Enfin bref… Il me revient tout à coup qu’au milieu de ce fatras d’emprunts hétéroclites à deux mille ans de pensée occidentale, subsiste une lacune, l’oubli essentiel de cette sentence de Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire vous viennent aisément. » Amen.

Sous couleur de jouer de Jacques Henriot, José Corti 1989, 320 pages, 22 €

jeudi 20 décembre 2007

Le tableau du maître flamand


Il peut paraître étonnant d’évoquer ici un roman, mais il se trouve que je l’ai découvert sur une bibliographie en ligne d’ouvrages consacrés au jeu. Ayant déjà eu l’occasion d’apprécier la trilogie du capitaine Alatriste, du même auteur, je me suis dit que c’était l’occasion de joindre l’utile à l’agréable. Je dois dire d’entrée que le roman, dont l’édition espagnole date de 1990, n’est pas le meilleur de l’auteur, qui a beaucoup progressé depuis. Il n’en reste que l’idée de base est excellente et rappellera à certains le thème du film Ce que mes yeux ont vu, en ce moment sur les écrans.

Ce tableau d’un maître imaginaire de la renaissance met en scène deux joueurs d’échec, dont l’un tient un cavalier blanc en main, observés dans le fond par une femme en noir. En restaurant le tableau, l’héroïne met au jour une inscription en latin « Qui a tué le chevalier ? » également traduisible par « Qui a pris le cavalier ? ». Détail troublant, le second joueur est mort deux ans avant l’exécution du tableau. Commence alors une enquête historique pour identifier les protagonistes du tableau et résoudre le mystère de cet assassinat vieux de cinq siècle, alors qu’un meurtre dans l’entourage de la restauratrice, lance une double partie d’échec, à l’envers et à l’endroit, à la fois réelle et métaphorique, avec l’assassin. Le suspens est haletant et à valu au livre le grand prix de la littérature policière en 1993.

En tant que joueur, je regrette en premier lieu que ce soit un roman sur les échecs, qui semble le seul jeu à même d’inspirer les auteurs de fiction. Mais l’identité de ce jeu et les symboles qu’il alimente sont parfaitement exploités. Reste que Perez-Reverte s’est senti obligé de tirer le sujet en longueur, notamment en lui ajoutant une histoire sentimentale qui n’apporte rien au roman. De plus, la volonté affichée de l’auteur de préparer soigneusement ses effets, fait qu’on devine souvent à l’avance ce qui va se passer. Inversement, les quelques retournements de situation sont un peu grotesques, avec l’inévitable long chapitre de conclusion pour vous expliquer une solution pour le moins abracadabrante. Je passe enfin sur certains détails vraiment irréalistes, comme la restauratrice qui fume comme un pompier en ôtant le vernis d’un tableau qui coûte des millions de dollars.

Mais ce qui nous intéresse réellement ici est le traitement original réservé au jeu et certaines pensées pénétrantes l’associant de manière astucieuse à l’art. En effet, parce que la réalité est à la fois opposée et complémentaire au jeu, l’auteur applique simultanément l’analyse des échecs à la réalité, et l’anthropologie au jeu, faisant entrer le lecteur dans l’esprit du joueur en composant une partie complète depuis un point milieu : comment remonter le cours du partie juste à partir des pièces prises, comment finir cette partie en anticipant coup par coup ce que va jouer l’adversaire. Un bel éloge du jeu qui fait des échecs un reflet de la vie, et du jeu le but ultime de celle-ci. On y trouve même un hommage au graveur M. C. Escher, qui a su mêler mieux que quiconque le jeu et l’art.

Un roman ludique et plaisant, qui vaut un long discours sur le jeu.

Le tableau du maître flamand d’Arturo Perez-Reverte, JC Lattès 1993, 350 pages, 6 €

jeudi 13 décembre 2007

Ecrire pour le jeu, techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo


Le livre d’Emmanuel Guardiola, est très justement sous-titré Techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo alors qu’on aurait pu de prime abord le prendre pour un livre de game design. En effet, si le livre détaille bien comment « écrire pour le jeu », c’est-à-dire les techniques de la narration vidéoludique, on n’y trouve à peu près rien sur le gameplay. Du moins dans son acception de mécanique de jeu et non comme écriture de l’interactivité.

C’est sa principale qualité, car en se concentrant sur le scénario, l’auteur, même s’il fait de nombreuses références au cinéma, montre bien les spécificités du support informatique, et tout le caractère « potentiel » de l’exercice. Ce faisant, il s’attache en outre à décomposer le processus d’écriture en méthodes plutôt qu’en recettes toutes faites, ce qui me semble judicieux. Mais c’est aussi la principale faiblesse d’un livre qui rappelle sans cesse la nécessité de la cohérence ludique tout en faisant l’économie de l’analyse de ce qui constitue l’essence d’un jeu. Pour reprendre la métaphore cinématographique chère à l’auteur, ce serait comme parler de l’écriture de scénario sans évoquer la conception des dialogues : c’est possible, mais cela offre un résultat quelque peu tronqué. Bref, on a davantage l’impression d’être devant un livre de level design (élaboration du background, cartographie de niveaux, schéma des interactions, courbes de progression…), que de game design.

C’est en soi intéressant, clair et instructif, mais parcellaire. Il est vrai qu’aborder la naissance d’un concept ludique, parce que cela reste du domaine créatif, est assez risqué, et le seul livre de game design qui s’y livre, à savoir Conception et architecture des jeux vidéo, s’y est cassé les dents. Autre lacune : la production est elle aussi presque complètement délaissée. Reste qu’à choisir entre la martingale de Jean-Yves Kerbrat, certes plus complète, et cette initiation à la scénarisation vidéoludique, je choisis immédiatement la seconde. Une référence efficace et accessible sur la question, mais rien de plus. Ce n’est déjà pas si mal.

Ecrire pour le jeu : techniques scénaristiques du jeu informatique et vidéo d’Emmanuel Guardiola, Dixit 2000, 256 pages, 20 €

vendredi 7 décembre 2007

Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : Les faiseurs de monde



La première chose qui frappe à la lecture du titre c’est que l’on ne voit pas bien ce que vient faire le multimédia entre les jeux vidéo et les jeux de rôle. J’ai eu un élément de réponse récemment lorsque un agent de l’administration, me questionnant sur ma formation vidéoludique, m’a dit : « Ah, vous faites une formation multimédia »… croyant sans doute reformuler de manière plus sérieuse, donc plus valorisante, l’intitulé de ma spécialité. Ce à quoi j’ai répondu par la négative. Au contraire, je trouvais a priori pertinent de rapprocher les jeux vidéo des jeux de rôle (sans « s », merci) sous le principe de la création d’univers, et c’est bien ce qui m’a fait acheté ce livre. Hélas, le titre est totalement usurpé et aucun élément du livre ne fait allusion au sous-titre…Le contenu est donc à l’image du titre : bancal. Je crois que la dernière phrase de la conclusion résume parfaitement le livre: « Mais peut-être s’écarte-t-on là un peu du jeu ? » En effet, il n’est question ni des jeux de rôle, malgré un historique, ni des jeux vidéo, en dépit de l’absence d’historique, mais de la pratique de ceux-ci par les joueurs, et plus précisément du profil sociologique de ces derniers. Donc en définitive il n’est pas plus question des jeux de rôle, que des jeux vidéo, que du multimédia ou des faiseurs de monde.

D’abord conçu comme une thèse de 3e cycle, l’ouvrage suinte la langue scolaire et les références universitaires par tous les pores : je ne compte plus les guillemets et les parenthèses qui gangrènent le discours. En outre, on peut avoir 3 pages de résumé de la pensée de tel sociologue fameux qui n’a aucun rapport avec le sujet, simplement pour dire que les joueurs sont des « héritiers » au sens donné par Bourdieu, et prouver que l’auteur a bien potassé ses cours. Or, ces références brouillonnes éloignent l’analyse de l’essentiel : en quoi ces « jeunes, ces bourgeois, ces héritiers » pour reprendre la terminologie très marxiste et pour le moins datée de l’ouvrage, sont différents des autres adolescents de leur âge ? Je pense qu’en commençant par là, l’auteur se serait aperçu que les joueurs sont simplement des adolescents comme les autres, qui se montrent critiques face à la société parce qu’ils sont adolescents et non parce qu’ils sont joueurs, et que cela ne valait pas un ouvrage sur les "refaiseurs de monde".

De même, plutôt que de se demander si le club de tel patelin est représentatif, n’aurait-il pas été préférable de se demander si la population des clubs de jeux de rôle est représentative de sa pratique dans la société ? Par exemple, si l’auteur avait voulu analyser l’importance du football dans notre société, serait-il allé chercher des clubs de supporters, plutôt que le spectateur/pratiquant moyen ? Peut être en aurait-il alors déduit que les clubs conduisent à une échelle de valeurs et un communautarisme en marge de la société, et donc une distanciation critique ? N’est-ce pas en outre les attaques de circonstances à l’encontre de leur passion qui rendent les joueurs hostiles aux médias, et davantage critiques vis-à-vis de la société ? En permanence le sociologue questionne sa démarche, ce qui revient à nier la capacité critique du lecteur, tout en se posant les mauvaises questions. En outre, est-il sage de publier un livre en 2001 fondé sur des études sociologiques datant du milieu des années 90, marqué par la « diabolisation » de la pratique des jeux de rôle ? On se sent ainsi étranger à un discours de justification désormais totalement dépassé, qu’alimente malgré lui l’auteur.

On espérait être affranchi de ce biais pour la partie consacrée aux jeux vidéo, mais c’est au contraire l’absence de polémique qui pilote l’analyse, l’auteur s’inquiétant que le jeu vidéo impose une idéologie capitaliste et ethnocentrée, implicitement acceptée par les joueurs. Et c’est là le reproche principal qu’on peut faire à l’ouvrage : jamais l’auteur ne considère que l’individu qui joue est dans une position cathartique. Pourtant, les Echecs exaltent la guerre, le Monopoly le capitalisme, le Trivial Pursuit l’élitisme, le Risk l’impérialisme… En refusant de considérer ce qui fait les caractéristiques du jeu, il passe à côté de l’essentiel : un jeu sans enjeu, sans mécanisme de compétition, de pouvoir, de dépassement, sans principe de réussite et d’échec, de sanction et de récompense n’est tout simplement pas un jeu. Et si Civilization ou Colonization font référence à l’histoire, c’est qu’elle est un moyen d’accrocher l’imaginaire du joueur, plus que la conquête de Mars qui n’a jamais eu lieu… C’est ce principe d’univers référentiel qui fait qu’un joueur préfère généralement faire exploser des têtes dans Doom, qualifié par l’auteur de militariste, que sauter sur des champignons dans Mario. Et pourtant les champignons de Mario sont éliminés comme les aliens de Doom.

Enfin, certaines erreurs patentes questionnent la légitimité de l’auteur par rapport à son sujet : Sony serait le fabricant de la Dreamcast, le multimédia une métaphore du jeu (monter son propre ordinateur c’est comme réussir un jeu…), les jeux de rôle auraient périclité à cause de la fin des affaires comme celle de la profanation du cimetière de Carprentras (alors que ces jeux ont connu une baisse de la pratique à cause de l’investissement personnel qu’ils requièrent en comparaison de celui nécessaire pour les jeux de cartes à collectionner du type Magic et les jeux vidéo, dont l’avènement pour les premiers et le bond technologique associé à la démocratisation des plate-formes pour le second date de la fin des années 90)…. Bref, un ouvrage novateur par son approche sociologique sur notre passion, plutôt plaisant à lire, mais au contenu dépassé, mal maîtrisé et inabouti.

Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : Les faiseurs de monde de Laurent Trémel, PUF 2001, 310 pages, 23 €

vendredi 30 novembre 2007

Le jeu vidéo est-il un art ?


A peu près tous les livres sur la création de jeu vidéo l’affirment. En même temps, s’il est tant besoin de le rabâcher c’est que les choses ne sont sans doute pas si évidentes. En effet, le droit d’auteur n’existe pas dans les jeux vidéo et l’industrie ne veut pas en entendre parler. De ce point de vue, il ne peut donc y avoir d’artiste sans droit d’auteur. En parallèle, l’Etat ne taxe pas les jeux en tant qu’objets culturels, comme les livres par exemple, mais en tant que produits de consommation. Aussi, en pratique, si l’industrie qui le produit ne reconnaît pas le jeu vidéo comme art, et que l’Etat n’en fait même pas un produit culturel, alors force est de constater qu’il n’en est pas un.

Mais au-delà de cette réalité pragmatique, est-il possible d’attribuer une essence artistique au jeu vidéo ? En premier lieu, il est frappant de constater que seuls les jeux vidéo réclament ce statut, et non les autres types de jeux (de société, de plein air…). Ce n’est donc pas l’aspect ludique qui leur ferait accéder au rang d’œuvre artistique, et c’est même ce qui les en empêcherait. En effet, l’art n’a d’autre but que d’élever spirituellement l’homme en exprimant, autant comme un jus que comme un acte de communication, ce qui caractérise sa culture, c'est-à-dire ce qui sépare l’homme de l’animal, son humanité dans le double sens latin de sensible (qui relève à la fois des sens et des sentiments) et de civilisé. Le jeu a pour but premier le plaisir, le divertissement, et non l’émotion ou l’élévation spirituelle.

L’autre difficulté est celui du statut de l’œuvre collective. Comment imaginer une expression artistique d’un média qui naît de la collaboration de 150 personnes ? Le cinéma a résolu cette équation en désignant un seul créateur, entouré de collaborateurs intermittents : le réalisateur. Lorsque Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture, a remis les insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Michel Ancel, Shigeru Miyamoto et Frédérick Raynal, il a procédé de même en désignant comme seul artiste le game designer. Reste que combien de jeux ont une réelle approche artistique, dans laquelle transparaît la personnalité du game designer ? Probablement une proportion comparable à celle des films du box office…
Dernier jeu commercial réalisé de A à Z (à l'exception de la musique) par un auteur unique, Another World (Delphine Software 1991), est un jeu d'aventure/action sans dialogue ni indicateur d'aucune sorte à l'écran, qui confine au chef d'œuvre. L'univers onirique de l"'autre monde" est particulièrement envoutant, et la personnalité de l'auteur, Eric Chahi, transparaît jusque dans les moindre détails. Mais combien de jeux peuvent en dire autant ?

Le problème est que faire du jeu vidéo un art, est aux yeux de ce qui le produisent une façon de se crédibiliser en rendant leur activité plus sérieuse et donc plus recommandable, d’élever le jeu vidéo au rang de 10e art à la suite prestigieuse de l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la danse, la poésie ou plus récemment du cinéma, du théâtre ou de la bande dessinée. En effet, jouer est depuis Pascal un divertissement, du latin divertere = qui détourne de l’essentiel : Dieu, la vie, la réalité, le travail, etc. Mais c’est aussi refuser d’accorder un intérêt au jeu pour lui-même, fait très visible dans une production conventionnelle qui privilégie la forme sur le fond, la technologie et les graphismes au dépend du gameplay, et du même coup nier le caractère essentiel du jeu à l’homme. Caractère qu’il partage avec l’animal et qui ne montre en rien une infériorité au statut artistique, mais prouve au contraire qu’il s’agit d’une activité essentielle, vitale, indispensable à tout être évolué, activité qui précède la culture et l’a fait naître.

Le jeu vidéo est avant tout un jeu, avant d’être un art vidéo : c’est tout et rien à la fois. Ce qui me satisfait pleinement, car c’est précisément parce qu’il est futile que le jeu nous est essentiel. Et je reste convaincu e que plus le jeu vidéo s’approche de l’art, plus il s’éloigne du jeu. Au contraire de l’art, le jeu n’est pas un acte de communication mais de plaisir. Le jeu est donné à l’homme pour le consoler d’être devenu adulte.

samedi 24 novembre 2007

La morphologie du conte



On sera peut être surpris de trouver ici une critique d’une analyse structuraliste du conte, ouvrage ancien s’il en est puisque l’édition originale remonte à 1928, mais ce petit livre, par la taille, est grand par le contenu. Abondamment cité en bibliographie des travaux sur la narration, cette œuvre est un peu le pendant sérieux de l’Oulipo (qui a fait une référence directe au conte avec Un conte à votre façon de Queneau) et de l’Oubapo, opposant l’analyse de la tradition narrative orale à la fantaisie de la prospective et des ‘exercices de style’

La structure même du conte, qui détaille la quête d’un individu obscur, ses mises à l’épreuve, sa transfiguration en héros, son combat contre le mal puis sa récompense, est le schéma de base dans lequel s’inscrivent sans le savoir la plupart des jeux vidéo. Le grand nombre de contes existant au regard de cette structure très simple est une leçon d’imagination. Mais ce n’est qu’en connaissance de ses fondamentaux : 7 personnages, 31 situations possibles, qu’il est non seulement possible de développer les ressources psychanalytiques du conte, qui me paraissent une façon très pertinente de susciter l’émotion, que d’innover à partir du cadre énoncé par Propp pour donner naissance à des contes interactifs inédits.

Mon seul regret est le couplage du livre de Propp avec un article nettement moins inspiré et plus que daté sur une hypothétique origine unique mythique du conte, assez contestable, et son rapprochement selon cette thèse du Rigveda, la plus ancienne épopée écrite connue, oubliant ainsi que la forme orale du conte est certainement fondamentale dans la fixation de sa structure et de ses motifs, comme l’a finement analysé Bettelheim par la suite. L’histoire du structuralisme, brossée en fin d’ouvrage par Meletinski, est aussi inutile qu’éprouvante à lire, ne faisant que répéter en la compliquant la thèse de Propp.

Mais cela n’en fait pas moins un ouvrage dense, à la langue simple, essentiel, qui n’a rien perdu de sa modernité. En effet, par son caractère épique, plein de rebondissements, d’épreuves et de combats, la morphologie du conte devrait être au cœur de la narration vidéoludique, et consacrer l’ouvrage de Propp comme méthode d’analyse et d’inspiration pour les game designers.
La morphologie du conte de Vladimir Propp, Seuil 1970, 255 pages, 7.50 €

vendredi 16 novembre 2007

Oubapo 2



On trouve parfois cité en référence d’articles sur le game design les travaux de l’Oulipo (Ouvroir de LIttérature Potentielle), en particulier Mille milliard de poèmes et Le conte à ma façon de Raymond Queneau qui a exploré la génération automatiques d’histoires et de poésie. L’Oubapo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle) est son pendant dans le 9e art. Or, contrairement à ce qu’on pourrait penser au premier abord, il s’agit essentiellement des trouvailles concernant la narration et plus particulièrement l’agencement des vignettes, qu’une recherche graphique particulière. Le contenu intéresse donc tout spécialement les jeux vidéo, qui mêlent comme la bande dessinée images et texte.


J’ai choisi le volume 2 car Daniel Blancou me l’avait recommandé concernant mes recherches sur le carré magique, et je l’ai consulté récemment pour un exercice sur la multiplicité d’écrans simultanés. En résumé, un groupe de dessinateurs s’inflige les contraintes les plus tordues avec comme objectifs d’explorer des domaines narratifs ignorés comme l’expansion qui propose développer une bande dessinée à partir d’une planche dont on réutilise des vignettes à des emplacements imposés, le hors-champ où le sujet de l’histoire n’apparaît pas dans l’image, la réinterprétation consécutive qui est la composition d’une histoire en réutilisant des vignettes d’autres bandes dessinées, l’hybridation qui mélange deux bandes dessinées pour en faire une troisième, l’exercice de style autour d’un règlement de bibliothèque, un cadavre exquis qui prend la forme d’une conception aléatoire et collective en temps limitée, etc.

Mais ce que j’ai le plus apprécié est la conception d’exercices autour du « carré magique » : planche qu’on peut lire dans tous les sens, histoire graphique dont la seconde partie se lit à rebours de la fin au commencement ou en tournant la BD à 90°, bande dessinée qu’il faut plier pour faire apparaître une nouvelle histoire, narration aléatoire ou itération iconique réglée, etc. Le contenu ludique y est évident et est un excellent tremplin pour notre réflexion.

Je regrette simplement que ce vent d’anticonformisme narratif, qui ne se prend jamais au sérieux, s’accompagne le plus souvent d’un graphisme bâclé portant des thématiques assez vulgaires. Du coup, ces recherches formelles apparaissent comme des brouillons potaches, ce qui diminue un peu leur portée. Dommage.

Une réflexion néanmoins passionnante sur la narration graphique, qui stimule l’imagination et nous invite à l’étendre au multimédia. En effet, plusieurs des idées proposées proposent un sens de lecture interactif, qui est une invitation à la concevoir différemment. Alors, à quand un Ouinpo (OUvroir d’INteractivité POtentielle) ou un Oulupo (OUvroir de LUdicité POtentielle) ?

Oubapo volume 2, de collectif, L’association 2003, 130 pages, 26

mardi 6 novembre 2007

La violence et les jeux vidéo

S’il est une évidence que de nombreux jeux vidéo sont violents, ce n’est qu’une évidence journalistique que tous les jeux vidéo sont violents et rendent violents. En effet, l’Allemagne a été le premier pays à interdire certains jeux vidéo pour leur violence, comme Doom, sans aucun effet palpable sur la violence des adolescents. Enfin, cela n’est qu’un reflet de la perception de la violence par le politique, car aux USA, c’est une séquence interactive cachée à caractère sexuel qui a entraîné la colère de la Maison blanche, dans le jeu Grand Theft Auto 3 ou l’on incarne un mafieux qui écrase les piétons sur la route de son bolide. Mais aux Etats-Unis, il n’y a pas de limite à la violence à l’écran, alors que la sexualité est tabou. Un noir qui embrasse une blanche dans le cinéma américain n’existe que dans les films de Spike Lee, en revanche le spectacle de la torture est accepté. On a à peu près la position inverse en Europe, particulièrement en France.

Dès la prise de la maternelle de Neuilly par un ‘human bomb’ en 1993, un journaliste avait mentionné les jeux vidéo comme possible cause de la psychose du preneur d’otage. Mais les jeux de rôle (bien qu’innocentés par la suite) étant alors le bouc émissaire affiché des journalistes depuis l’affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990, la thèse n’avait rencontré aucun succès. Cependant, depuis que les jeux de rôles ont perdu de leur superbe face à la montée en charge du jeu vidéo, c’est le massacre du lycée de Colombine en Californie en 1999 qui va pointer le nouveaux le loisir de masse des jeunes. En effet, les deux adolescents responsables du drame ont commencé par faire un site web qui fournissait des niveaux pour le jeu Doom, avant de le faire dévier vers la fabrication de bombes et le pamphlet idéologiste.

Reprocher à un jeu vidéo de mettre en scène le meurtre, ce serait comme critiquer que les Echecs, l’un des plus anciens jeux, fasse l’apologie de la guerre, de l’ostracisme et de l'inégalité sociale : des rangs féodaux qui déterminent l’importance des pièces, les noirs contre les blancs, un seul but : écraser l’adversaire. Le principe même de jeu est de mettre en compétition les joueurs, l’élimination de l’adversaire étant souvent la seule solution à la confrontation. Ironiquement, ce sont les jeux de rôle qui les premiers ont proposé d’abolir la compétition entre les joueurs au profit de la collaboration et de l’imagination… on voit combien cela a été mis à leur crédit par les médias. Ensuite, la critique s’est durcie autour de l’aspect de mise en scène virtuelle du meurtre, puisque le joueur est le sujet de l’action. Mais un jeu vidéo sans action n’est pas possible, au contraire d’un livre ou d’un film comme le Désert des Tartares ou le Christ s’est arrêté à Eboli. En effet, tout principe ludique repose sur l’action, quelle qu’elle soit. Dès que le joueur devient spectateur de celle-ci, il cesse de jouer. Enfin, c’est le réalisme qui a été pointé, alors que ce réalisme participe à l’immersion du joueur, de même que l’action mimétique participe à la catharsis de son pendant réel : c’est la fonction de ‘défouloir’ propre au jeu vidéo. Qu’une flèche détruise un carré à l’écran n’a rien d’excitant, en revanche lorsque vous tirez une roquette qui fait exploser deux ou trois têtes, c’est déjà plus jouissif. Et cela ne l’est seulement que parce que c’est à la fois très réaliste et « pour de faux », l’un des grands plaisirs du jeu étant l’illusion du réel : se prendre pour ce qu’on n’est pas, faire ce qui est impossible ou interdit dans la réalité.


Le fusil à pompe est un grand succès des FPS pour ses effets visuels éloquents (recul de l'arme, puissance de perforation, arrosage sanguinolent des alentours...), qui participent pleinement à la dimension de défoulement graphique du jeu. Un pistolet, qui ne fait qu'abattre l'adversaire, est en comparaison bien ennuyeux (Resident Evil 4 de Capcom sur Gamecube).

Cela me rappelle une comptine, La légende de saint Nicolas, que je réclamais à ma mère étant petit : « Ils étaient trois petits enfants Qui s'en allaient glaner aux champs. Tant sont allés tant sont venus, Que sur le soir se sont perdus. S'en sont allés chez le boucher: Boucher voudrais-tu nous loger? Entrez, entrez petits enfants, il y a d'la place assurément. Ils n’étaient pas sitôt entrés Que le boucher les a tués, Les a coupés en p’tits morceaux, Mis au saloir comme pourceaux. » J’attendais sans bruit ce moment, et j’éclatais de rire à cet endroit, ce qui effrayait assez ma mère. Ça me fait toujours rire aujourd’hui, particulièrement quand ma mère le raconte. Je ne pense pas être plus sadique qu’un autre. En revanche, que les enfants, et les adultes qu’ils deviennent plus tard, aiment à se faire peur pour paradoxalement se rassurer, est une évidence. Le succès des films d’horreur le prouve assez en suscitant une peur fictive pour, par opposition, éprouver la réelle sécurité dont on jouit.

Les deux adolescents s’intéressaient à Doom car ils y trouvaient une réponse à leurs besoins de violence, et ne sont pas devenus violent parce qu’ils jouaient à Doom. Cette réponse, est devenue petit à petit insuffisante, ce qui les a poussés à passer à l’acte dans la réalité. Si les deux jeunes n’avaient pas eu les jeux vidéo, ils auraient peut être fait leur passage à l’acte avant, en tout ce qu’on peut dire, c’est qu’ils l’auraient fait. Le récit des événements par les témoins du drame est éclairant à ce sujet : « Au bout de plusieurs minutes, visiblement lassés [de tirer sur les élèves], Harris et Klebold se concertèrent sur les actions alors à mener (tuer aux armes à feu ne les excitait plus, ils évoquèrent l'idée de se servir de couteaux) ». Et si depuis Colombine, le massacre dans les lycées a fait des petits, c’est le principe d’entraînement des médias (comme ce fut le cas de la grève de la faim « inventée » par Gandhi dans les années 30, le suicide par immolation par le feu d’un moine tibétain dans les années 60, ou le « suicide by cops » dont la prise de la maternelle est un cas reconnu) qui en est responsable, en offrant un modèle d’autodestruction à des individus à la dérive. Mais cette responsabilité des médias, et plus largement celle de la société tout entière qui engendre la frustration et le rejet d’elle-même, est inacceptable pour le peuple qui veut toujours un responsable désigné à ses malheurs, sans quoi ceux-ci n’auraient pas de sens, et des médias qui se chargent de leur trouver systématiquement un bouc émissaire. La violence à toujours existé et existera toujours, inutile de pointer du doigt les jeux vidéo, ou un quelconque loisir.

Si les jeux ont un rôle social, c’est bien celui de libérer temporairement les joueurs de leurs frustrations et du poids que la société fait peser sur eux, en leur faisant échapper à leur quotidien. C’est un peu de rêve nécessaire dans la vie de tous les jours, particulièrement si le vôtre est d’arracher la tête d’un voisin à la tronçonneuse.

mardi 30 octobre 2007

Les jeux et les hommes : le masque et le vertige



A la suite d'Homo Ludens de Johann Huizinga, Roger Caillois publie un essai sur le jeu en 1958. Il ne cache pas son inspiration faisant un résumé du livre de l’auteur hollandais en introduction. Sauf que ce résumé, au demeurant pertinent, oublie consciencieusement la position de Huizinga sur les jeux de hasard, qui pour le premier, et avec raison ne sont pas des jeux, et pour le second en sont un archétype. Cette évidence proposée par Huizinga, Caillois la balaye d’un argument totalement spécieux qui biaise d’entrée l’un des quatre fondements de son livre. On peut ainsi lire en première page de son introduction : « [Le jeu] repose et amuse. Il évoque une activité sans contrainte mais aussi sans conséquence pour la vie réelle. Il s’oppose au sérieux de celle-ci et se voit ainsi qualifié de frivole. Il s’oppose d’autre part au travail comme le temps perdu par rapport au temps bien employé (…) En effet, le jeu ne produit rien, ni biens ni œuvres. Il est essentiellement stérile. A chaque nouvelle partie, et joueraient-ils toute leur vie, les joueurs se retrouvent à zéro et dans les mêmes conditions qu’au premier début. Les jeux d’argent, paris ou loterie, ne font pas exception : ils ne créent pas de richesse, ils les déplacent seulement. Cette gratuité fondamentale du jeu est bien le caractère qui le discrédite le plus. »

Je m’interroge : comment peut-on parler d’« absence de conséquence pour la vie réelle », de « stérilité », de « gratuité », de remise à « zéro » et inclure les jeux d’argent dans la définition du jeu ? L’argument que cela déplace des richesses et ne les crée pas, est valable pour n’importe quelle activité commerciale… qui est un « travail bien employé » et qui s’oppose donc selon la définition même de Caillois résolument au jeu. Enfin, quiconque a joué aux jeux de Casino peut affirmer qu’ils provoquent une tension nerveuse incroyable, et absolument pas dire « qu’ils reposent et amusent. » Et ce n’est pas fini : prétendre que le jeu « se voit qualifié de frivole » est une absurdité. Huizinga le qualifie de futile, ce qui, précise-t-il, n’exclut pas du tout le sérieux… mais qui en l’occurrence arrange bien les affaires de Caillois concernant les jeux d’argent qui sont bien sûr « frivoles » mais pas « futiles ». Inversement les Echecs, qui sont un jeu emblématique, peuvent être qualifiés de « futiles » mais sûrement pas de « frivoles ». Bref, autant de contradictions et de contre- vérités, affirmées de but en blanc avec le poids de l’homme de lettres, laissent songeur.

La suite du livre est une reproduction du schéma très contestable initié par Huizinga : 70 pages sur le jeu et 300 sur son influence dans la société. En 70 pages, rien n’est démontré et tout est affirmé, mais ce sont pourtant ces affirmations qui vont justifier les 300 pages d’analogies spécieuses qui vont suivre. Caillois n’a pas l’érudition de Huizinga et cela se sent : un exemple en Grèce dans le passé, un autre en Chine médiévale, un autre tiré d’un fait divers en France dans le présent, et voilà qu’il vient de démontrer le bien fondé d’une ses théories. Des illustrations soumises à interprétation, prises à 3 époques différentes, dans 3 lieux différents ne peuvent gouverner une démarche scientifique !

Pourtant, rechercher un système universel pour désigner les différentes catégories de jeu est un problème sur lequel butent encore les ludologues d’aujourd’hui. Caillois en propose quatre : la compétition (Agôn), le hasard (Alea), le simulacre (Mimicry) et le vertige (Ilinx, produit par exemple par les manèges) qui respectent les six caractéristiques essentielles du jeu selon lui : la liberté, le cadre spatial et temporel, l’incertitude, l’improductivité, les règles, la fiction. Caillois nous donne alors des exemples de jeux « purs » qui incarnent ces 4 piliers : compétition : les sports ; hasard : les comptines, la roulette ou la loterie ; simulacre : le théâtre et les arts ; vertige : la valse ou la voltige. Ah, parce que ce sont des jeux ? Et où se trouve la fiction dans le sport ? Où est l’improductivité dans la roulette ? Où la liberté dans le théâtre ? Où peut-on lire la règle de la voltige ? L’incertitude dans les comptines ? Bref, rien ne vaut de se fixer des définitions et des règles si c’est pour ne pas les respecter…

Voici un livre qui est toujours cité en référence par la ludologie actuelle, probablement parce qu’il permet de citer un mot de grec et deux de latin, ce qui vous pose un chercheur dans un article sur le jeu. Un doublon inutile et inférieur à l’ouvrage de Huizinga.

Les jeux et les hommes : le masque et le vertige de Roger Caillois, Gallimard 1967, 370 pages, 7.20 €

mercredi 24 octobre 2007

Grim Fandango


A sa sortie en 1998, pourtant fan de Day of the Tentacle (DOTT), j’avais boudé le nouveau jeu de Tim Schafer car il était en 3D et que je trouvais sacrilège que Lucas Arts ait répondu aux sirènes de la 3D sur un genre qui ne l’exige pas du tout. En y jouant pour la première fois aujourd’hui, je dois malheureusement dire que je n’avais que trop raison. En effet, le jeu ne se manipule plus à la souris (!) mais à la manette ou au pavé numérique. Ainsi, au lieu de pointer et de cliquer pour faire se déplacer le personnage, on est obligé de bien comprendre comment est réalisé le décor sinon on butte comme un aveugle dans le premier obstacle venu, et on échoue à résoudre une énigme simplement parce que le personnage est mal positionné. C’est fastidieux au possible et vraiment agaçant. Rétrospectivement, les graphismes de DOTT ont moins vieillis que ceux de Grim Fandango, mêmes s’ils restent attachants, alors qu’ils sont de 4 ans plus anciens. Enfin, ces graphismes dépouillés et inanimés sont très lourds et obligent à des chargements intempestifs qui coupent l’action et font planter le jeu si on titille le clavier pendant ce temps. Génial…



C'est beau, on y retrouve malgré la 3D la patte de Lucas Art, les personnages sont habilement stylisés, mais c'est bien vide et... mort.

Ce ne serait pas si grave si le jeu était du niveau de DOTT, mais on a la désagréable impression que son concepteur n’a pas saisi ce qui faisait la qualité exceptionnelle de l’opus précédent, à savoir le scénario et l’implication du joueur. Autant l’univers et les situations de DOTT étaient (délicieusement) absurdes, autant les énigmes étaient d’une logique implacable … dans l’absurde, avec un personnage qui aidait le joueur quand il n’effectuait pas la bonne action au bon endroit. Dans Grim Fandango c’est tout le contraire : le monde est original mais très proche du nôtre (la mort est contrôlée par une corporation de VRP) alors que les énigmes sont parfaitement farfelues et sortent de nulle part : remplir deux fois un ballon en forme de vers de deux types différents de mousse expansée avant de les expédier dans un tuyau de courrier, afin de casser la machine d’aiguillage et récupérer ainsi un client important… Et tout ça complètement par hasard. Autre point désagréable, Manny Calavera, le personnage que vous contrôlez, ne vous aide presque jamais, ou pire vous induit en erreur. Plusieurs actions ou mini jeux ont été ajoutés pour tirer parti de la 3D, mais comme celle-ci n’est pas du tout lisible, ils sont non seulement incompréhensibles (j’ai pris les tuyaux de la machine à sève pour des marches, et je n’arrive toujours pas à voir la direction indiquée par la pancarte dans la forêt tellement elle est petite) mais nécessitent en outre des manipulations horripilantes car totalement aléatoires.

Si l’on excepte la musique exceptionnelle de Peter McConnell, bénéficiant d’effets d’ambiance (la musique s’éloigne ou se rapproche en fonction de la proximité du héros avec la source), et la voix excellente du personnage principal, la grande majorité des voix des personnages secondaires sont surjouées. C’est le seul jeu d’aventure de Lucas Art pour lequel j’ai déclaré forfait à la moitié, tellement il m’a ennuyé. C’est d’autant plus dommage que l’univers et le héros sont très attachants, et les dialogues de qualité. Mais passer une heure à manipuler le burritos (la voiture du héros) ou une %@0)$# de brouette afin de poser la roue sur le bon tuyau, ont douché ma bonne volonté.

Un Schafer bien décevant, dont la mauvaise jouabilité et les énigmes incohérentes ont plombé, en dépit d’une critique élogieuse, le fonds de commerce de Lucas Art, à savoir le bouche à oreille.

Grim Fandango sur PC CD-ROM, Lucas Art 1998, 2 CD, indisponible.

mercredi 17 octobre 2007

Les éléments constitutifs du jeu

Johan Huizinga affirme : « Le jeu est une activité volontaire accomplie dans certaines limites fixées de temps et de lieu, suivant une règle librement consentie, mais complètement impérieuse, pourvue d’une fin en soi, accompagnée d’un sentiment de tension et de joie, et d’une conscience d’être autrement que dans la vie courante. »

On remarquera que cette définition mêle des éléments qui concernent le joueur, que les anglais attribuent au ‘play’, l’action de jouer, aux éléments qui relèvent du jeu, le ’game’. En fait, il faut regrouper ces éléments par paire car chaque élément de ‘play’ a un pendant dans le ‘game’ :

1) La volonté de jouer (play) implique l’existence d’un enjeu (game).
La différence entre un passe-temps et un jeu vient que le premier est subi, le second est désiré, que le premier n’a pas d’enjeu sinon de « tuer le temps », alors que le second crée une tension, et dans le cas d’un jeu de société, une compétition entre les joueurs. L’enjeu d’une partie, à comprendre ici comme son but, sa finalité, et surtout pas comme ‘une mise’, est ce qui doit motiver le joueur à participer, donc à entrer dans le jeu et qui va provoquer une tension tout au long de la partie, alors que pourtant le jeu est sans conséquence. Aussi, en matière de jeu, l’important n’est pas seulement de participer, et si l’un des joueurs n’adhère pas à l’enjeu (étymologiquement, ce qui fait que le joueur est dans le jeu), il est immédiatement « hors jeu », puisque toutes les règles concourent à équilibrer les chances de gagner, ce qui fait de chaque joueur l’adversaire à surmonter pour les autres. Or, un joueur qui ne jouerait plus le jeu serait l’adversaire de personne et « brouillerait la donne ».

2) La conscience de jouer (play) implique l’absence de conséquences (game).
Le principe même de simulacre (« c’est pour jouer/rire ») vient du fait que le joueur à toujours quelque part à l’esprit qu’il n’affronte pas véritablement ses adversaires. Ainsi, un « mauvais joueur » est seulement quelqu’un qui s’est laissé prendre au jeu et qui oublie que celui-ci est futile, c'est-à-dire sans conséquence dans la réalité. C’est pour cette raison que les jeux d’argent sont opposés au concept de jeu, car la tension qu’ils induisent est inscrite dans la réalité, par l’appât du gain et la peur de se ruiner. Il ne s’agit que d’un goût du risque, comme celui de rouler à 200 km/heure, qui n’a rien à voir avec le jeu et élimine même tout aspect ludique. Les joueurs de Casino ne sont pour ainsi dire jamais des joueurs, et inversement. A noter que le film Tron (de Steven Lisberger, Disney 1982), montre de façon assez convaincante qu’un joueur qui joue pour sa survie ne joue plus.

Comme Alice avant lui, le héros de King Quest 6 (Sierra 1992) est sur l'île du jeu... Une façon de jouer et de se jouer de cette conscience de l'illusion.

3) Les moyens de jouer (play) implique une règle (game) qui définit le cadre du jeu.
Le célèbre auteur de jeux américain Alan Moon affirme : « Un jeu c’est d’abord des règles ». En effet, sans règles, qui définissent l’espace de jeu, son univers, il ne peut y avoir d’existence pratique de celui-ci. Les règles définissent le cadre de la partie, et à ce titre ne restreignent pas la liberté du joueur mais sont au contraire le cadre qui fixe l’espace du simulacre ludique, qui permettent l’exercice de la liberté du joueur, « la suite de choix intéressants » tels que la conçoit le game designer Sid Meier. Même les jeux prétendument invasifs, appelés aussi contingents ou pro-actifs, comme le sont les « killers », sorte de jeu à partie non délimitée où chaque joueur joue lui-même dans la vie de tous les jours, obéissent à des règles précises et possèdent donc un cadre de jeu.

4) L’illusion de jouer (play) implique une partie délimitée (game) dans le temps.
Autrement dit, le concept de partie implique un temps limité. Pour plonger dans la partie et se prendre au jeu, il faut une concentration, une tension, qui va entraîner l’immersion du joueur qui se trouve dès lors dans la situation paradoxale de savoir qu’il joue tout en éprouvant les émotions réelles des actions qu’il effectue. Exactement comme un spectateur au cinéma sait qu’il est devant une fiction et pleure ou rit devant les malheurs des personnages. Mais cette immersion, et cette identification du joueur et du personnage qu’il incarne, est brisée si la partie dure trop longtemps, comme un film trop long ennuie. La participation active du joueur l’oblige à un effort de concentration, lié à la réflexion que le jeu exige, qui est plus important que celui demandé par un divertissement passif. Les jeux en ligne ou les jeux de rôle sur table ont, malgré les apparences, des parties finies (les sessions de jeu que constituent une quête, un objectif que se fixe le joueur) mais la progression des personnages est le fil qui entretient une continuité de façade aux yeux des aficionados.

5) L’interaction des joueurs (play) implique un équilibre des éléments du jeu (game).
Cette notion, complètement absente de la définition de Huizinga, est nécessaire à l’existence du jeu, car elle définit la relation faite d’action et de réaction du joueur avec les éléments du jeu, et des joueurs entre eux. En effet, qu’on se figure un jeu de société où les joueurs n’ont pas les mêmes chances de gagner, ou un jeu vidéo où les joueurs n’auraient aucun moyen d’anticiper les événements et d’opérer les « choix intéressants » qui matérialisent l’intérêt d’un jeu, celui-ci n’en serait plus un. Un jeu qui aurait une stratégie dominante, c’est-à-dire gagnante à tous les coups, impliquerait l’abolition des choix et donc du jeu, alors qu’un jeu avec des stratégies dominées impliquerait leur inutilité et le risque pour le joueur de ne pas pouvoir exercer les choix nécessaires à son plaisir. Les wargames, qui reposent sur la simulation d’une situation réelle et souvent déséquilibrée, peuvent être des jeux si les capacités des joueurs compensent le déséquilibre. Dans le cas inverse, le jeu s’arrête dès que l’un des joueurs n’a plus de prise sur le sort de la partie. Enfin, l’équilibre interne des éléments du jeu, entre hasard et tactique, permet de surprendre ce qu’il faut le joueur, de mettre à égalité le joueur expérimenté et débutant, et en dernier lieu de renouveler les parties.

En récapitulant : un jeu est un divertissement motivé par un enjeu futile, dont le déroulement est encadré par des règles équilibrées qui le limite dans le temps. Le jeu nécessite de la part du joueur la volonté et l'aptitude à jouer, ainsi qu'à la fois la conscience et l'illusion de jouer, et exige de sa part une interaction continue avec l'environnement et les autres joueurs. Ces caractéristiques sont toutes nécessaires pour être en présence d’un jeu. Qu’il en manque une seule, et l’aspect ludique s’étiole. Je donnerai donc du jeu la définition suivante : Divertissement sans conséquence qui ne vise que le plaisir des joueurs qui s'y livrent. Activité futile encadrée par des règles équitables, qui définissent une session, des ressources et un enjeu que les joueurs cherchent à s'attribuer par une succession de choix pertinents.

lundi 8 octobre 2007

Jeux vidéo : l’art du XXIe siècle


A l’instar de l’ouvrage de Morris et Hartas, voici encore un livre qui affirme que le jeu vidéo est un art au moyen d’un livre en papier glacé et cartonné truffé d’écrans et d’artwork de jeux vidéo. Si son format traditionnel est peu conforme à son aspiration d’ouvrage d’art, il faut lui accorder qu’il a tendance à considérer le jeu vidéo tout entier comme un art, et pas seulement par son aspect graphique. Son contenu est donc une sorte de compromis entre de L’empire des jeux, panégyrique de la production, et Game Art, qui nous dévoile les ‘secrets’ des graphistes.

En effet, la dissertation, développée en 5 ‘niveaux’, aborde les protagonistes, les environnements, les créatures, les objets, l’imitation du réel… du moins en théorie car l’auteur s’attache davantage à faire découvrir l’univers du jeu vidéo (qu’est-ce qu’un protagoniste, la nécessité du héros dans une histoire, quels sont les héros vidéoludiques les plus connus, etc.) qu’à exposer la spécificité du traitement graphique pour les catégories précitées et en quoi le jeu vidéo renouvelle leur traitement… Ainsi, en s’adressant au grand public, l’auteur délaisse une analyse fine qui aurait davantage étayé sa thèse.

Techniquement, le rendu des écrans de jeu est bien supérieur à celui du livre de Morris et Hartas, tant par leur qualité d’impression que par le choix des jeux dont ils sont tirés, ainsi que le cadrage des écrans choisis. Un véritable effort artistique a été effectué par l’éditeur, ce qui soutient bien le propos. En revanche la mise en page, étouffée par le petit format, est encore plus catastrophique que celle de Game Art : les images n’ont le plus souvent pas le moindre rapport avec l’exposé, voire n’illustrent pas tous les jeux auquel celui-ci fait allusion et, cerise sur le gâteau, coupent le cours du développement pendant plusieurs pages pour faire admirer des illustrations en double page, souvent sans rapport direct. De surcroît, il faut généralement lire la légende d’une illustration, faute de place, sur une page qui n’est pas en regard. Enfin, le contenu des légendes est d’une rare indigence : p. 133 : « cette série décline le thème de l’apocalypse sur des modes très divers » ou encore p.202 : « le chef de la résistance indigène est un allié de l’étranger ».

Le reproche principal que je fais à cet ouvrage est justement la volonté de démontrer que le jeu est un art (affirmé en introduction et conclusion) donc une distance critique nulle avec son sujet, qui est évidemment « inventif », « magnifique » et « supérieur » à ce qui a été fait dans les autres arts. Or, si le jeu vidéo est tellement artistique, et de façon si évidente, quel besoin de le marteler à longueur d’ouvrage ? Si cela est vrai, les illustrations, étayées par un discours analytique et critique, plutôt que servile, rendrait davantage service au propos de l’auteur.

En résumé : une présentation honnête de l’univers des jeux vidéo, abondamment et avantageusement illustrée, mais bien loin de démontrer que celui-ci est un art. Mais un réservoir d’images de qualité qui ne concentre pas sur les titres les plus connus, et dont la sélection est toujours pertinente.

Jeux vidéo : l’art du XXIe siècle de Nic Kelman, Assouline 2005, 320 pages, 30 €.

samedi 29 septembre 2007

Homo Ludens : essai sur la fonction sociale du jeu


L’homo ludens est pour Huizinga, un historien hollandais spécialiste du Moyen-âge tardif (et essayiste à ses heures), un qualificatif plus approprié pour définir l’homo sapiens, tant l’homme passe son temps à jouer. Il faut dire que pour Huizinga, tout est matière à jouer : les compétitions, le droit, la guerre, le sacré, le potlatch, les énigmes, la poésie, la philosophie, la sagesse, l’art, etc. Si bien qu’on finit par se demander qu’est-ce qui n’est pas un jeu. Jesper Juul faisait très justement la remarque que ceux qui définissent le jeu ont tendance à tirer la couverture à lui en considérant que tout est jeu, ou inversement qu’il n’est que ‘telle’ chose, suivant l’œilleton au travers duquel ils l’examinent. Pourtant, après un premier chapitre particulièrement brillant, où l’historien hollandais examine avec un œil neuf toutes les traces de jeu dans notre civilisation en faisant remarquer judicieusement que le jeu précède la culture puisque les animaux jouent, j’espérais beaucoup des pages suivantes. Hélas, à part nous assommer avec son érudition, par ailleurs assez contestable, on comprend que tout est perdu dès qu’il conclut à la page 40 que le culte est un jeu.

Refusant de circonscrire son sujet en le limitant à la définition du jeu qu'il a lui-même posée, Huizinga est tombé dans le piège du tout et du n’importe quoi. Se targuant d’un raisonnement cartésien inattaquable (p. 280 : « Ce point de vue admis - et il ne paraît guère possible de ne pas l’admettre… »), il ne s’aperçoit pas qu’il est dominé par une approche linguistique et anecdotique (un exemple n’est pas une règle, mais au contraire bien souvent une exception) qui le pousse à de dangereuses analogies, faute d’avoir respecté les frontières de son sujet. Ainsi, tout ce qui est réglé devient un jeu, alors que c’est vrai seulement s’il s’agit d’une activité consciente et libre. De même, pour lui, tout rituel est un jeu, confondant le simulacre ludique et sans but, avec la foi qui recherche l’élévation spirituelle et abolit l’aspect factice du décorum. Huizinga se contredit en outre souvent sur la notion de sérieux qui, une fois n’est pas opposé au jeu, et une autre fois est son contraire. Or le jeu n’exclut pas le sérieux, mais s’oppose absolument à la notion de réalité et de travail. Cependant, le pire demeure l’assimilation de la guerre et du jeu, comme quoi trop de réflexion nuit à la santé intellectuelle.

Ce livre, comme la majorité des livres de penseurs, pèche par trop d’érudition et par manque de pratique. Si Huizinga était un joueur, il n'aurait sans doute jamais écrit les ¾ de son ouvrage, car les pratiquants savent et n’ont pas besoin de définir la chose pour la connaître, ou tout au moins la ressentir. Ajoutez-y une passion toute historique pour la compilation de ‘faits’, et vous avez un livre particulièrement pénible à lire. Car, et cela semble échapper complètement à Huizinga, ici (comme bien souvent) ce ne sont pas les faits qui posent problème, mais bien leur sélection et leur interprétation. Et avoir à lire 10 cas particuliers pour voir l’auteur en déduire une règle générale, relève de l’escroquerie intellectuelle.

Maintenant, oubliez tout ce que je viens de dire et lisez absolument ce livre, même s’il vous faudra ne surtout pas dépasser les 35 premières pages, car elles restent ce qu’on a écrit de plus lumineux et de plus stimulant sur le jeu. Les pages suivantes sont en effet sans intérêt, voire nuisibles.

Homo ludens : essai sur la fonction sociale du jeu de Johan Huizinga, Gallimard 1951, 340 pages, 9 €

dimanche 23 septembre 2007

Game Art : le graphisme des jeux vidéo


Le jeu vidéo est un art. C’est du moins ce qu’affirme ce « beau livre » au format à l’italienne en introduction de l’ouvrage. Si ce qualificatif est douteux concernant un art collectif comme les jeux vidéo, il peut se comprendre aisément dans un livre dédié au graphisme. Il ne reste qu’à le prouver en cours d’ouvrage par une sélection minutieuse des écrans de jeu, un rendu de grande qualité, et une mise en page digne d’une galerie. Hélas, ce livre ne possède rien de tout ça : le rendu des écrans pixelisés dans ce livre en papier glacé est indigne d’un livre sur l’art graphique, la mise en page est horrible, voire totalement inadaptée, se permettant de placer le commentaire et les écrans sur des pages séparées, handicapant la lecture, et enfin le commentaire n’a souvent rien à voir avec l’écran sélectionné, voire le texte n’est pas du tout un commentaire du graphisme mais par exemple une considération générale sur le space opéra et les livres qui ont inspiré ce courant. A d’autres endroits les auteurs se lancent dans un panégyrique ludique et non artistique des jeux présentés, sans qu’on comprenne en quoi ils offrent un graphisme exceptionnel, ou encore des graphistes interviewés décrivent leurs choix de représentation sans aucune distanciation sur ce qui aurait été souhaitable, ce qui a été atteint et en quoi ils sont fiers de leurs graphismes.

C’est d’autant plus dommage que tous les sujets sont abordés : les personnages, l’univers, les courants graphiques (gothique, space opéra…), l’architecture des décors, les animations, les modèles 3D, les cinématiques, le style, l’interface, la direction artistique… mais aussi, et c’est plus discutable : comment créer un jeu… En dépit de nombreux témoignages, et peut-être à cause d’eux, le livre reste toujours descriptif et jamais critique, et c’est donc au lecteur qu’il revient la tâche ardue d’analyser les travaux présentés. Peut-être s’agit-il d’une volonté d’élargir le lectorat potentiel au grand public et pas seulement aux graphistes professionnels, même si on doute franchement que le grand public préfère s’acheter ce livre plutôt qu’un jeu vidéo.

Mais malgré tout, ce livre de lecture très facile lève un coin du voile sur le travail de conception graphique et constitue l’un des rares livres disponible sur le sujet. A lire donc, particulièrement si vous vous voulez mieux connaître les contraintes des hommes du métier.

Game Art : le graphisme des jeux vidéo de Dave Morris et Leo Hartas, Bloc notes publishing 2003, 192 pages, 38

samedi 15 septembre 2007

L’Empire des jeux

Paru dans la collection ‘Les 50 plus belles histoires’ le livre de Vincent Montagnana est un catalogue d’anecdotes relatives à 50 jeux vidéo. Vu le titre on s’attendrait à ce qu’on nous détaille les 50 plus gros succès du jeu vidéo, ou tout au moins les 50 jeux les plus marquants. Eh bien non, ce serait plutôt les 50 jeux pour lesquels l’auteur a une anecdote, savoureuse ou non, à nous raconter. En effet, 50 c’est une somme, alors pour certains l’anecdote est ridicule voire inexistante : Bionic Commando est un jeu japonais dont on a caché les croix nazies pour la diffusion américaine mais dont on a oublié d’enlever le visage d’Hitler pour le boss final. Sinon le jeu n’a pas laissé de traces… c’est tout ? Euh oui, et il y aussi Jeff Minter qui adore les lamas. Et ? Eh bien il n’a pas fait un seul hit mais il adore les lamas. Ah ok ! Et ce n’est pas fini : les japonaises utiliseraient Rez comme sex toy. Super… Bref, le livre est à l’image de son sujet, anecdotique et parfaitement dispensable.

Pire, certaines anecdotes apparaissent plus que douteuses : Frédéric Raynal a par exemple failli devenir aveugle à force de coder alors qu’on n’a jamais pu établir à ce jour de lien entre l’usage prolongé d’un ordinateur et la baisse de la vision (outre que je ne vois aucun intérêt à cette anecdote) ; ailleurs Will Wright est présenté comme ayant eu l’idée de Sim City en lisant La Cybériade de Stanislas Lem, alors que j’ai vu récemment une interview de lui où il dit avoir eu l’idée du jeu de façon fortuite en travaillant sur un éditeur de niveau qu’il trouvait plus amusant que le jeu pour lequel il était destiné… En outre, V. Montagnana donne la légende de l’origine du nom Mario, pour désigner le héros moustachu de Nintendo, alors qu’il en existe au moins 3 ou 4 sur Wikipedia. Bref, le contenu des anecdotes semble souvent tenir de la rumeur infondée et les quelques approximations que je viens de citer jettent le discrédit sur les autres anecdotes.

Enfin, ce livre très graphique agace car l’essentiel des illustrations ne correspond pas du tout au sujet, et provient presque systématiquement de versions postérieures aux jeux cités, et non des jeux originaux. Ainsi Prince of Persia, qui est un panégyrique de Mechner, se trouve affublé d’artworks exclusivement tirés du dernier épisode made in Ubisoft… seul épisode auquel Mechner n’a pas participé, ni de près, ni de loin ! C’est dommage, et finalement la partie la plus intéressante de ce catalogue reste la petite histoire des consoles présentée en fin d’ouvrage.

L’Empire des jeux de Vincent Montagnana, Timée-Editions 2005, 142 pages, 13,50 €

samedi 8 septembre 2007

Zelda : The Wind Waker

La série des Zelda est emblématique du gameplay de Nintendo, qui se joue des modes et innove sur des produits apparemment enfantins. Avec un graphisme 3D faces pleines, ce jeu détonne en comparaison de la tendance photoréaliste des jeux en 3D, ce qui donne paradoxalement beaucoup de charme et de fantaisie à son univers. Comme toujours chez Nintendo, le scénario est parfaitement stupide (on a kidnappé la sœur du héros qui vient d’avoir 12 ans) et n’est qu’un prétexte à un gameplay ‘prétendument’ novateur. Cette fois, on peut commander aux vents et influer sur le jeu grâce à une baguette à l’aide de laquelle on doit jouer des airs que l’on doit apprendre dans le jeu… comme dans Loom (Lucasart 1990 !)


Votre héros, Link, en pleine séance de contrôle des vents. La manette ne laisse passer aucun à peu près... la difficulté tranchant singulièrement avec le graphisme et la cible enfantine.

Les défauts récurrents chez Nintendo sont, au-delà d’un scénario stupide et de dialogues insupportables dont vous devez valider chaque réplique, alors que votre personnage ne prononce jamais un seul mot ( !), une réapparition continuelle des monstres, et une hésitation pénible entre le RPG et le jeu d’aventure. Vous pouvez donc combattre et mourir sans que cela ne rajoute quoi que ce soit au jeu ni ne fasse progresser le héros. La maniabilité du combat n’est pas bonne et les monstres n’ayant pas de tactique d’attaque claire, vous enchaînez les techniques au petit bonheur la chance. Le seul intérêt des affrontements étant d’obtenir de l’argent et de regagner un peu de votre vie… perdue en combattant. On retrouve les niveaux immenses traditionnels à la série, dans lesquels vous aurez tôt fait de vous perdre malgré la carte et la boussole… qu’il vous faudra déjà trouver dans ces niveaux très vastes ! Comme il n’y a pas de destination sur la carte, au contraire d’un Resident Evil 4 par exemple, vous tournez des heures, combattant sans cesse les monstres que vous venez de tuer quand vous rebroussez chemin. Le niveau de l’île maudite, en ajoutant une dimension d’infiltration, vous permet de recommencer 15 fois le niveau depuis le début grâce à une construction en tour dont la prison constitue bien sûr le souterrain, aussi chaque fois qu’on vous découvre, vous n’avez plus qu’à recommencer votre ascension par le début : très frustrant et horriblement répétitif. Les sauvegardes vous ramenant toujours au début du niveau, vous n’avez aucun salut de ce côté-là.

De nouveaux défauts apparaissent aussi. Nintendo a eu l’idée de donner la possibilité d’attribuer un objet à 3 des boutons de la manette. En clair, cela signifie que pour accéder à l’inventaire, qui compte bien plus de 3 objets, c’est chaque fois un bouton différent, du coup en s’embrouille et cette innovation se révèle plus gênante qu’utile. Autre souci : la détection des actions à un temps de latence qui vous conduit à répéter l'action avant de vous apercevoir que vous l'avez faite trois fois, avec le plus souvent des conséquences fâcheuses. Enfin, les énigmes tournent presque toujours autour d’une clef à trouver, d’un objet à rapporter, et ne fait pas assez souvent appel à l’esprit logique du joueur, comme lorsque il vous faut couper les câbles d’une nacelle d’un coup d’épée circulaire, enflammer les cordes d’une passerelle, ou utiliser opportunément les pouvoir de la baguette. La boussole est en outre mal fichue, et se révèle d’une utilisation malcommode puisqu’elle n’apparaît pas sur l’écran principal du jeu. Enfin la baguette, ‘the wind waker’, à la différence d’un Loom qui faisait appel avec beaucoup de poésie à la mémoire harmonique, est devenu ici un pur exercice d’adresse bien agaçant. Les nombreux mini-jeux sans lien avec l’intrigue et sans intérêt (reconnaissance de formes, jeu de bataille navale…) ne traduisent qu’un objectif : tromper l’ennui… J’ai déclaré forfait au cours du combat contre le premier boss de fin de niveau, tant je me sentais étranger au jeu.

Etrangement, j’ai accroché immédiatement en jouant quelques minutes, grâce aux graphismes et au gameplay sympathiques. J’avais d’abord beaucoup apprécié l’idée d’un héros muet, ce qui lui donne une candeur enfantine bienvenue, mais il ne vous aide aussi jamais pour vous dire ‘je devrais peut-être essayer plus tard’, lorsqu’il vous manque un objet. Après une quinzaine d’heures de jeu, la répétitivité extrême des actions, impression renforcée par une musique unique pour l’ensemble d’un niveau et des bruitages identiques à chaque action, est tout à fait horripilante. Mais le pire reste ce mépris avoué de Nintendo pour tout ce qui touche au scénario et aux dialogues, qui empêche pour ma part une quelconque immersion dans le jeu, et m’a fait succomber à l’ennui bien avant le game over final. Dommage !

Zelda : The Wind Waker sur Nintendo Gamecube, Nintendo 2003, 29,95 €