mercredi 25 juin 2008

Qu'est-ce qu'un bon film ?


Un livre sur le cinéma dans un blog sur les jeux. J'aime les livres qui enrichissent un sujet en empruntant un détour. Comme le précise la quatrième de couverture : "... ce livre jubilatoire ne concerne pas que le cinéma, il constitue, plus largement, une sorte d'introduction à un usage raisonné du jugement de goût." Programme tout à fait excitant à qui cherche à aborder un objet culturel par le plaisir qu'il procure.

Mais si Qu'est-ce qu'un bon film est amusant à lire, particulièrement dans son analyse de la critique Kantienne à la française, son principal défaut est cependant d'évoquer - voire carrément de participer - aux conversations de café de commerce sur le cinéma, l'anecdote l'emportant sur la méthode au point que j'ai passé mon temps à consulter les titres de chapitres, perdu que j'étais par la faconde de l'auteur.

Certes Laurent Jullier dégage bien six critères en usage dans le jugement de goût selon 3 types : ordinaires (succès, technique), communs (édifiant, émouvant), distingués (original, cohérent), sans qu'on sache jamais ce qui lui a fait les retenir parmi d'autres possibles. Si l'auteur s'attache toujours à démontrer que le critère est bien en usage chez la critique et le public, il ne questionne jamais leur validité effective. On ne sait ainsi pas si les critères retenus le sont parce qu'ils sont véritablement recherchés par ceux qui vont voir les films, sont conscient ou inconscient, admis ou non, pertinents ou non, objectifs ou non, etc. Pire, les critères ne semblent même pas sur le même plan : le succès d'un film n'est important que comme moteur de choix, pas d'appréciation ; la technique n'est le plus souvent citée que lorsqu'elle fait défaut, sinon est oubliée face à l'art ; l'originalité est un critère subjectif et périssable et qui n'a de sens qu'en fonction de la culture du spectateur, un film étant original tant qu'on n'en a pas vu de semblable, etc. On assiste même dérouté à l'utilisation, par la critique établie, d'un même argument pour et contre un même film. Bref il est assez frustrant de constater qu'une fois ces six critères dégagés, le lecteur ne sait absolument pas quoi en faire, et qu'on est loin de "l'usage raisonné du jugement de goût" annoncé par l'éditeur.

Au final Qu'est-ce qu'un bon film laisse un arrière goût étrange de confusion : par son écriture bavarde tout en analogies et en anecdotes et surtout parce que l'auteur ne fait que dresser un constat descriptif des usages, sans analyse, sans synthèse, sans clefs d'utilisation. Parce que les critères dédagés sont éminemment relatifs, parce qu'ils ne sont jamais discutés et loin d'être applicables simultanément à tous les films, parce qu'on peut citer des films dont l'intérêt ne se situe principalement dans aucun des six critères définis : Nuit d'été en ville de Michel Deville ou Exotica d'Atom Egoyan ont par exemple une atmosphère hypnotique que j'aurais du mal à rattacher à l'un des six critères...

Le plus déroutant sans doute restant que l'auteur, qui se targue d'être un cogniticien, n'aborde jamais la question du plaisir induit par ces critères, mais bien de leur importance dans un discours de justification à posteriori. Or le secret du goût, en tout cas celui du public, ne se situe-t-il justement dans le plaisir ressenti, à la différence de celui de la critique kantienne remise en cause par l'auteur ? On ne sait donc toujours pas en refermant ce livre, si un bon film l'est parce qu'on y a pris du plaisir ou parce qu'il faudrait "raisonnablement" l'aimer. Exactement ce que prétendait dénoncer l'auteur en début d'ouvrage en évoquant les soi disant "chefs-d'oeuvre" dont la vision est insupportable.

Un livre amusant et original, plus pertinent par les questions qu'il pose que par les réponses qu'il apporte.

Qu'est-ce qu'un bon film ? de Laurent Jullier, La Dispute 2002, 251 p., 15 €.

jeudi 19 juin 2008

Le loup


Marcel Aymé est connu pour ses contes pour enfants publiés dans des éditions imagées. Pourtant, si ceux-ci font référence aux classiques enfantins, comme par exemple Le loup fait référence au Petit chaperon rouge, et bien qu’ils aient la simplicité du langage de l’enfance, leur thématique est plus sombre et leur humour grinçant sera surtout apprécié des adultes. A priori l’histoire qui nous intéresse ici, extraite des Contes bleus du chat perché, ne fait pas référence au jeu, et pourtant : jeu des enfants avec le loup, jeu de l’auteur avec le lecteur. D’entrée de jeu, si j’ose dire, le jeu est ce qui pousse les petites filles à faire entrer le loup, avant qu’il n’emporte le morceau en leur jouant la comédie de l'animal blessé. Une fois en présence des petites filles, et malgré la référence lancinante au Petit chaperon rouge, le loup, plein du désir de s’amender et bon camarade de jeu, finit par se convaincre lui-même en même temps que le lecteur qu’il n’est plus un loup.

Sauf que le lecteur, ne participant pas directement aux jeux, ne peut s’y laisser prendre, regardant d’un œil suspicieux cette complicité improbable, il s’attend donc logiquement à un coup de théâtre. Marcel Aymé joue ainsi du poncif du loup dévoreur de marmots pour mettre mal à l’aise le lecteur : celui-ci est en effet prévenu du danger du loup, de l’innocence des enfants, de la séduction du jeu et de tous les fâcheux précédents... Il n’y a donc aucun lien entre le Petit chaperon rouge, conte féminin et initiatique selon Bettelheim, et le conte cruel, pessimiste et moralisateur de Marcel Aymé, où le jeu, parenthèse enchantée masque un temps la vraie nature de chacun avant de la révéler au grand jour avec plus de violence. Au contraire du conte traditionnel, la transgression n’est pas un facteur d’émancipation, et ici ce sont les parents qui sont dans le vrai, dans les deux sens du terme. Le jeu n’y représente plus qu’une dangereuse illusion, malgré la conclusion où la réalité prend des accents ludiques, en s’autorisant à rejouer la dernière scène, comme dans Le petit chaperon rouge.

« _ Loup, si on jouait au loup ?
Le jeu était nouveau pour lui, on lui expliqua les règles, et tout naturellement, il fut désigné pour être le loup. Tandis qu’il était caché sous la table, les petites passaient et repassaient devant lui en chantant le refrain :
“Promenons- nous le long du bois, pendant que le loup y est pas. Loup y es-tu ? M’entends-tu ? quoi fais-tu ?”
Le loup répondait en se tenant les côtes, la voix étranglée par le rire :
_ Je mets mon caleçon.
Toujours riant, il disait qu’il mettait sa culotte, puis ses bretelles, son faux col, son gilet… Quand il en vint à enfiler ses bottes, il commença d’être sérieux.
_ Je boucle mon ceinturon, dit le loup, et il éclata d’un rire bref. Il se sentait mal à l’aise, une angoisse lui étreignait la gorge, ses ongles grattèrent le carrelage de la cuisine.
Devant ses yeux luisants, passaient et repassaient les jambes des deux petites. Un frémissement lui courut sur l’échine, les babines se froncèrent.
-… Loup y es-tu ? m’entends-tu ? quoi fais-tu ?
- Je prends mon grand sabre ! dit-il d’une voix menaçante, et déjà les idées se brouillaient dans sa tête. Il ne voyait plus les jambes des petites, il les humait.
_… Loup y es-tu ? m’entends-tu ? quoi fais-tu ?
_ Je monte à cheval et je sors du bois !
Alors le loup, poussant un grand hurlement, fit un bond hors de sa cachette, la gueule béante et les griffes dehors. » (pp. 26-27)

Conte désenchanté, si Le loup est une initiation, elle est celle de la dure réalité, de la loi des adultes, de l’obéissance. Le jeu n’en apparaît alors que plus pernicieux, à moins qu’il ne permette a contrario d’échapper, ne serait-ce quelques instants, à l’empire des précédents. Cynique mais amusant.

Le loup (1934) in Les contes bleus du chat perché de Marcel Aymé, Gallimard 1981, pp. 9-28, épuisé.

vendredi 6 juin 2008

Jeux et jouets : essai d'ethnotechnologie

Sous-titré "essai d'ethnotechnologie", cet ouvrage commandé par le Ministère de l'industrie en 1979 analyse en quoi le jouet, ici rapproché du jeu en ce qu'il est l'expression tangible et industrielle des jeux potentiels qu'il porte en lui, dicte l'usage, est désiré, est manipulé ou manipule. La première partie, consacrée aux fonctions du jeu, est sans doute la plus intéressante, avec par exemple une observation qualitative tout en finesse de Roger Renaud, qui montre combien l'enfant peut réinventer ses jouets ou même investir par le jeu des objets de la vie courante. L'observation des ludothèques par Pierre-Noël Deneuil est quant à elle humoristique et pertinente, et dans la dernière partie, l'analyse de la rationalisation du jouet par Gilles Brougère est intéressante, même si elle n'évite pas les préjugés. 

Mais comme dans tout recueil d'articles, il y a à boire et à manger, et certaines études, comme celles de Juliette Grange et de françois Portet, sont réellement faibles. La faute sans doute à une méthodologie que l'introduction du recueil avoue rechercher et à une direction d'ouvrage inexistante. Ainsi on peut avoir une simple transcription d'entretiens ou l'observation de récréations dans une cour d'école sans aucune distanciation, où encore une analyse d'une inquiétante naïveté de la signification de jeux de société, à partir du marketing de l'éditeur, sans effort de compréhension des mécaniques internes. S'ajoute à cela l'absence de toute bibliographie et, semble-t-il, de supervision puisque Robert Jaulin n'a pas rédigé l'introduction, oublie des auteurs et orthographie mal plusieurs noms, y compris dans la table des matière. Quant à la conclusion de l'ouvrage elle est si courte qu'elle est reproduite en quatrième de couverture, alors même que la longueur de certaines contributions, près de 60 pages pour les plus longues, semble n'obéir à aucun cadre.

Des communications hétéroclites et hétérogènes donc, mais qui, pour certaines, grâce à cette volonté de poser les bases de l'ethnotechnologie, proposent une démarche originale et pleine de fraîcheur, qui privilégie l'usage sur la fonction. Un ouvrage certes bien long, inabouti, mais pas inintéressant.

Jeux et jouets sous la direction de Robert Jaulin, Aubier 1992, 339 pages, 13 €.