samedi 21 mai 2011

L'éducation de l'homme

Friedrich froebel (1782-1852), est un pédagogue allemand qui a initié, sous l'influence de Rousseau et de Schiller, une pédagogie fondée sur le jeu, où l'enfant n'est plus considéré comme un animal à dresser mais, dans une perspective chrétienne, un être bon et innocent dont il faut retrouver la spontanéité qu'il a en lui par essence et fortifier l'inclinaison naturelle contre la perversion de la société. Cependant, dans un ouvrage de près de 400 pages qui ne compte qu'un chapitre de 8 pages sur le jeu (chapitre dont les deux tiers sont consacrés aux contes), la place du jeu dans la pédagogie de Froebel apparaît davantage comme une réinterprétation postérieure de ses écrits. S'il est logique en effet que celui-ci, qui fait la part belle à l'initiative, soit fondé sur le jeu, il est moins évident de le lire chez son auteur.

Il est vrai que l'écriture de l'ouvrage est relativement fumeuse et assez éloignée des critères scientifiques : tout est postulé, rien n'est prouvé, et l'ensemble a vocation programmatique : "L'éducation de l'homme n'est autre chose que la voie ou le moyen qui conduit l'homme, être intelligent, raisonnable et conscient, à exercer, à développer et à manifester l'élément de vie qu'il possède en lui. Elle a pour but d'amener, par la connaissance de cette loi éternelle et des préceptes qu'elle renferme, tout être intelligent, raisonnable et conscient, à connaître sa véritable vocation et à la remplir spontanément et librement." (p. 6) On comprendra donc que le jeu n'est pas, comme on le prétend, l'origine de la pédagogie fröbelienne, mais un moyen pour l'enfant d'accéder et d'alimenter l'étincelle divine qu'il porte en lui.

Pour Froebel le jeu est un pont entre le monde intérieur et la réalité extérieure : "Les jeux, ordinaires à l'écolier, révèlent la vie intérieure, l'activité de la vie, la puissance de la vie, et dénotent en même temps une vie réelle et extérieure." (p. 326). Le jeu est donc révélateur et formateur à la fois : "tous devront être dirigés de façon à répondre à l'esprit du jeu même, et aux besoins du jeune garçon." (p. 327) Cet esprit du jeu est donc joie de l'esprit puisque celle-ci lui donne accès à la meilleure part de lui-même. Sa valeur éducative n'est pas extérieure mais  intimement liée chez l'enfant à la jouissance et aux déploiement des facultés dont Dieu a l'a doté en tant qu'être fait à son image. Suit enfin un rapprochement entre le conte et le jeu, dont Bruno Bettelheim a prouvé depuis la pertinence.

Un essai un peu maigre en ce qui concerne le jeu, dont la valeur est plus historique qu'intrinsèque, même s'il résout de manière stimulante l'équation entre jeu et éducation.

L'éducation de l'homme (1826) de Friedrich Fröbel, Ferdinand Claassen 1861, 396 pages, épuisé, disponible gratuitement en ligne sur Google Livres.

mercredi 11 mai 2011

Propos sur l'éducation suivis de Pédagogie enfantine

Emile-Auguste Chartier, dit Alain (1858-1951), est un philosophe cité par l'épistémologie ludique  sous forme de maximes plus pour fonder une démarche scientifique. Or celle d'Alain, si elle n'est guère philosophique, fonde l'approche pédagogique, comme celle de Karl Groos le fait à sa façon pour l'éthologie. Concernant le jeu, ses Propos sur l'éducation, écrits en 1932, sont sans doute les plus originaux et les plus riches : 6 des 87 propos lui sont consacrés contre une seule leçon sur 31 pour la Pédagogie enfantine (1963). En effet ceux-ci apparaissent en marge de la pédagogie traditionnelle, dotés d'une qualité d'écriture dont peu d'essais peuvent se revendiquer.

Les propos sur l'éducation associent le jeu à l'apprentissage sans les confondre. Pour Alain le jeu est champ privilégié d'expérience : "Ici l'erreur trouve sa place ; on lave l'ardoise, et il ne reste rien de la faute." (VIII, p. 25). Et si le jeu ne se confond pas avec le travail, le premier est une éducation à l'autre : "tous les jeux  peuvent instruire là-dessus, car il faut s'y donner, et, en un sens, s'y soumettre et d'abord croire qu'on s'y plaira." (XXXII, p. 83) ; et le jeu apprend à aimer le processus plus que la fin, en résumé la vie : "Ce qui fait le plaisir en tous les cas peut-être, c'est un accord et comme un ajustement entre l'action que l'on fait et les conditions extérieures.  La fonction vitale est une adaptation de chaque instant, un triomphe devant un problème nouveau ; nouveau, mais que l'on reconnaît assez avec confiance et sentir qu'on le surmontera." (ibid.).

La Pédagogie enfantine est davantage influencée par les recherches contemporaines, à l'instar de celle de Roger Caillois, Jean Chateau ou de Johann Huizinga, qui tentent de catégoriser et de définir le jeu. La classification binaire proposée est peu originale : jeu réglés / jeux libres, c'est-à-dire plus prosaïquement jeux / jouets ou game / play, tout comme la définition du jeu : "Les jeux des enfants sont des actions réglées, sans aucune contrainte, indépendantes de toute fin extérieure comme l'utilité, sans résultat donc, et qui ont leur intérêt en elles-mêmes." (p. 279). Plus intéressantes sont les comparaisons opérées avec le travail (Le jeu efface le résultat. Le jeu plaît par l'action même.) et l'art (L'action dévore tout et détruit ce qu'elle à fait.). (p. 281).

Une réflexion pertinente, exprimée avec art, qui reste largement d'actualité malgré son ancienneté.

Propos sur l'éducation (1932) suivis de Pédagogie enfantine (1963) d'Alain, Presses Universitaires de France 1986, 383 pages, 12 €.

dimanche 1 mai 2011

A propos du latin ludus

Ludus, le jeu physique, qui a donné notre français "ludique", est l'une des deux racines latines du jeu, avec celle de iocus (jeu), le jeu d'esprit. Or en latin, ludus est aussi l'école. Ernout explique donc qu'on serait passé du jeu à l'école par antinomie, ce qui est peut convaincant sur un terme aussi fondamental et courant que le mot jeu. A. Yon, propose donc de lever l'antinomie en expliquant simplement que, de même que la classe signifie le lieu d'un enseignement et l'enseignement lui-même, ludus serait le lieu d'exercice (la classe) et par extension l'exercice. Il donne des citations chez les auteurs latins accréditant le terme comme entraînement ou répétition d'un acte, c'est-à-dire une imitation sans conséquence de l'acte réel, ce qui est une définition acceptable du jeu. 

Si cette version est corroborée par l'étymologie comparée du terme jeu dans d'autres langues, comme le norrois ou le gaélique qui font du jeu physique le sens premier du mot (d'autant que dans l'antiquité les ludi désignent particulièrement les jeux du cirque, physiques et violents), l'auteur expédie sans doute un peu vite une autre piste. C'est celle de scholè, le loisir, qui a donné notre français scolaire, et que A. Yon rapproche d'otium, non pas le désoeuvrement mais plutôt "les loisirs que confère l'absence ou l'interruptin de l'activité politique" (p. 390). Or si l'on considère que la société latine n'avait pas généralisé l'éducation pour tous, on peut considérer qu'un enfant qui est à l'école est d'abord un enfant qui n'aide pas ses parents au travail, il n'est donc pas en train de travailler, c'est donc qu'il joue, tout au moins qu'il occupe son temps à une activité de substitution, autre définition acceptable du jeu.

Loin de s'exclure, ces deux pistes se renforcent l'une l'autre. Et le mérite de ce court article est de poser une hypothèse, étayée par les textes anciens, qui ouvre la réflexion et le débat. On regrettera seulement que, sous prétexte qu'il s'agit d'étymologie latine, toutes les citations, grecques et latines, soient citées sans traduction. C'est sans doute aujourd'hui ce qui joue contre sa diffusion auprès des spécialistes du jeu. 

"A propos de [sic] latin ludus" de A. Yon in Mélanges de philologie, de littérature et d'histoire anciennes offerts à Alfred Ernout, Klincksieck 1940, p. 389-395, épuisé.