vendredi 28 mars 2008

Citizen game


Avant même d’ouvrir le livre de Nicolas Gaume, on est frappé par l’épaisseur de cette autobiographie pour un auteur de 36 ans. Plus de 400 pages pour une aventure de 12 ans, alors que le livre de Daniel Ichbiah brosse en un peu moins de pages le portrait des principaux acteurs mondiaux du jeu vidéo sur 30 ans…

A l’ouverture, le parti pris de l’auteur, qui commence par la fin de l’aventure, apparaît d’emblée être la justification de l’échec de son entreprise. L’option descriptive, probablement pour éviter tout pathos, est paradoxale pour un livre à la première personne, qu’on attendait vivant et subjectif. Loin de rentrer dans le sujet Nicolas Gaume, ou ne serait-ce que dans l’objet jeux vidéo, on se trouve trimballé en permanence entre les avions, les contrats et les doutes, parfois entre les doutes, les avions les contrats, ou encore les contrats, les avions, les doutes. Or, quand Nicolas doute, il le dit, il le répète même : « je doute ». Mais encore ?

Tout n’est effleuré quand on s’attendrait à une réflexion avec le recul et l’ironie nécessaires. Ainsi l’équipe ou les collaborateurs ne sont que des gens « géniaux, déterminés, exigeants », dont on a du mal percevoir pourquoi ils le sont, sinon qu’ils produisent des jeux « de qualité », aux « images magnifiques et au scénario séduisant », grâce à la « méthode Kalisto » dont on ne saura presque rien. Qualités qui permettent à N. Gaume de concrétiser de « belle opportunités » et de « beaux accords de prestation ». D’ailleurs tout est beau dans le livre, des filles qu’il rencontre, soit « belles » soit « incroyablement belles », aux méchants qui ont toujours « leurs raisons » et dont il a changé les noms pour éviter le règlement de compte.

Bref, tout est factuel, descriptif, lisse. Mais N. Gaume a beau signer des, forcément beaux, contrats « très lucratifs », on ne sait jamais ce qui l’a emporté. Apple, Ubisoft, NEC, Mindscape, Squaresoft, Electronic Arts disent oui, les premiers à l’étonnement général, de l’auteur au lecteur ; les suivants semble-t-il parce que les premiers ont dit oui. Du coup, chaque année N. Gaume se demande avec lucidité, le couteau sous la gorge, s’il va boucler son budget, faisant apparaître chaque nouveau contrat comme miraculeux. On n’est donc pas trop surpris quand, ayant décidé de tripler ses chaînes de production à l’occasion de l’entrée en bourse de Kalisto, son entreprise, le premier partenaire à lui dire non entraîne tous les autres en cascade, et par cela accule Kalisto à la faillite... à l’étonnement teinté d’amertume de l’auteur.

D’ailleurs, celui-ci plaide dans la dernière partie ne rien comprendre à la finance et à la comptabilité mais, généreux, nous en assène une bonne centaine de pages. Certains passages échappent cependant à ce ronron factuel, et aux formules toutes faites que l’auteur affectionne, comme « savoir faire et faire savoir », ce sont les pages les plus personnelles, consacrées à son mentor, Pierre Delaveyne, ou à certaines anecdotes désopilantes, pleines d’enseignement, comme le refus des banques d’accepter l’argent qu’il vient déposer pour créer son entreprise.

Au final ce livre, au demeurant intéressant, parle beaucoup de son auteur, pas mal de la nouvelle économie, pas assez de Kalisto, et encore moins des jeux vidéo. C’est dommage, car ce qui fait le caractère universel de son expérience unique se retrouve noyé par les innombrables faits sans intérêt qui nous sont rapportés. Un livre écrit simplement, séduisant, mais consensuel et trop souvent superficiel.

Citizen Game de Nicolas Gaume, Anne Carrière 2006, 410 pages, 21 €

vendredi 14 mars 2008

Les jeux des Grecs et des Romains

Publié pour la première fois en français en 1891 (l'original allemand est de 1887), Les jeux des grecs et des romains est le premier livre scientifique consacré entièrement au jeu (si on excepte les jardins d'enfants de Froebel), devançant même Les jeux des animaux du psychologue Karl Groos. Bien sûr ici de rien révolutionnaire, l'auteur ne s'interroge même pas pour savoir ce qu'on doit appeler jeu : il commence par les jeux des enfants, puis enchaîne avec les jeux sportifs, la chasse, les jeux de dé, de société, les jeux olympiques, du cirque, les combats de gladiateurs pour terminer son ouvrage sur les fêtes romaines. Etrangement, compte tenu de la vision assez ouverte que se fait l'auteur des jeux, pas un mot sur le théâtre ni la musique.

L'intérêt du livre est, qu'en dépit des apparences, il ne s'agit pas d'un catalogue mais plutôt d'un tableau vivant des activités ludiques des anciens. Le propos est ainsi émaillé de références aux textes antiques, malheureusement le plus souvent sans référence précise autre que l'auteur, qui disent autant à quoi on jouait que comment. Certes l'ensemble est plus descriptif qu'analytique mais Richter a en permanence la volonté de relier les informations entre elles, et de comparer les Grecs avec les Romains. Ses sources sont textuelles mais aussi architecturales et artistiques, et plusieurs dessins clarifient les descriptions. La langue très accessible et sans pédanterie rend la lecture très agréable.

Ainsi l'intérêt du livre réside surtout dans ses anecdotes qui donnent l'état d'esprit des anciens face au jeu, jugement loin d'être méprisant : "Dans les banquets on jouait beaucoup aux dés. "Quel roi Vénus va-t-elle élire au moment de boire ?" Après avoir prononcé cette formule qui précédait le tirage au sort d'un président, on se mettait à table et les coupes circulaient ; Horace ne trouve rien de mieux pour dépeindre la tristesse des Enfers que de nous rappeler que dans le royaume des ombres on ne joue pas aux osselets pour nommer le gagnant symposiarque." Et on se dit que la société antique ressemble finalement beaucoup à la nôtre, dans ses excès comme dans ses plaisirs. Un livre plaisant et agréable à défaut d'être indispensable. 

A noter la faute au prénom de l'auteur sur la couverture, de la part de Gallimard c'est inquiétant.

Les jeux des Grecs et des Romains de Wilhelm Richter, Gallimard 2000, 173 p., 15 €.

dimanche 9 mars 2008

L'enfant étranger

Publié pour la première fois en allemand en 1821, mais traduit de façon posthume en français en 1829 avec plus de succès, L'enfant étranger est un conte pour enfant, selon la définition de l'auteur : "C'est une lourde erreur, écrit Hoffmann, de croire que des enfants à l'imagination et à l'esprit vif puissent se satisfaire de radotages creux tels qu'on en rencontre souvent dans ce qu'on ose appeler des contes. Car ils ont certes de tout autres exigences. Et il est étonnant de voir avec quelle justesse, avec quel enthousiasme, leur esprit est capable de concevoir mainte chose qui échappe totalement à plus d'un papa fort avisé." (p. 10) Si on peut être suspicieux quant au jugement d'Hoffmann sur les contes traditionnels, celui-ci montre que la fantaisie et l'imagination qu'il déploie dans ses contes n'avait pas d'équivalent de son vivant.

Si cette imagination est teintée de romantisme avec les châteaux dans le ciel et des personnages manichéens, l'omniprésence de la nature et l'insistance sur l'innocence enfantine n'est pas sans rappeler l'influence classique de Rousseau. Les héros enfantins s'appellent ainsi Félix (heureux) et Christlieb (chant du Christ). Sinon le conte est dessiné à gros traits et n'échappe pas à la caricature, à l'instar de ceux de la comtesse de Ségur. Plus intéressant, le propos oppose le jouet, artifice de l'homme, au même titre que la science conçue pour occuper l'enfant, à la nature que l'adulte corrompu ne peut plus percevoir ayant perdu son lien originel avec elle : "Ces joujoux que tu as jetés n'étaient rien. Christlieb et toi, n'êtes-vous pas environnés des plus beaux jouets qu'on puisse voir ? (...) Felix et Christlieb virent, en effet, dans l'herbe épaisse et la mousse laineuse, mille fleurs merveilleuses les regarder comme des yeux étincelants, tandis que brillaient ça et là des pierres de toutes les couleurs, des coquillages à reflets de cristal et des hannetons d'or qui voltigeaient en fredonnant de doux airs." (p. 46)

Le jouet, jeu primordial, devient alors une extension de la fantaisie de l'enfant et de sa capacité à réenchanter le monde de son regard. Il est par cela la source d'une relation privilégiée avec la nature, fondée sur la proximité - la pureté respective - et la réciprocité, puisque c'est le regard autant que l'univers qui est source de cet enchantement.
 
Une histoire pour enfants certes moralisante et caricaturale, mais plutôt amusante. 

L'enfant étranger (1821/1829) de Ernst Theodor Wilhelm Hoffmann, Garnier Flammarion 1997, 112 pages, 2.70 €.