samedi 21 janvier 2012

Des jouets et des hommes


Dans les galeries nationales du Grand palais, une exposition qui prend le contrepied de la précédente. Autant Game Story est faite par des passionnés qui ne connaissent rien à la muséographie, autant Des jouets et des hommes l’est par des muséologues qui ne connaissent pas le jouet. En premier lieu, ici, c’est sérieux, on ne joue pas : les jouets sont enfermés dans des vitrines à peine éclairées pour ne pas nuire à leur conservation, et gêner autant que faire se peut la lecture d'étiquettes minuscules qui nous apprennent, sans rire, sans doute dans une tradition naturaliste qui nous vient en droite ligne du XVIIIe siècle, que telle poupée est constituée de porcelaine, tissu et métal, comme si la composition pouvait rehausser l’intérêt d’un jouet et éclairer son usage.

L’ensemble est tellement sombre et lugubre que l’on a fait appel à un artiste contemporain chargé de donner vie à cet inventaire à la Prévert par l’utilisation systématique de théâtres optiques. Malheureusement, en comparaison, ce musée qui aurait dû être vivant n’en paraît qu’encore plus inerte. De-ci de-là des vidéos de jeux viennent en renfort, et l'on s’aperçoit avec consternation que les commissaires de l’exposition n’ont même pas su se poser la question de la frontière entre le jouet et le jeu. Par contre cela ne les a pas empêchés de tricher sciemment, présentant comme jouets une maquette d’un navire de guerre, prêtée par le musée de la Marine, ou des automates du Conservatoire National des Arts et Métiers, valeur qu’ils n’ont jamais eue. De là à nous interroger sur ce qui différencie le soldat de plomb de son homologue utilisé dans les Kriegspielen, il y a un pas que cette exposition ne franchit pas.

Si on ajoute que les rares commentaires sont souvent maladroits voire faux, on atteint le fond. Par exemple Alexandra Ledermann serait un jeu inspiré par la célèbre cavalière, alors qu’il porte un nom différent dans chaque pays où il est commercialisé. Plus grave : le costume d’enfant serait d’abord une façon pour les parents de conditionner leurs rejetons, alors que, comme par hasard, il n’existe pas de costume de banquier, d’épicier, de bijoutier ou même d’instituteur, et seulement de policier, pompier, cow-boy, princesse et magicien. Bref, plutôt que d’ignorer qu’un jouet ne peut avoir de succès sans la complicité des enfants, peut-être eût-il été plus judicieux de considérer la nécessité pour l’enfant d’apprivoiser à travers ses jouets le monde angoissant des adultes.

Il y a bien quelques efforts d’explicitation : le rite de passage à l’âge adulte qui consiste à se défaire de ses jouets, où le rapprochement avec Citizen Kane, qui fait d’un jouet la clef d’une existence humaine. Fort heureusement, en quittant l’exposition,  j’ai eu la bonne idée de passer aux toilettes où je suis tombé sur un Dyson Airblade dont la valeur ludique, dissimulée sous une utilité strictement contingente, démontre que le jouet est partout où l’on veut bien lui prêter cette valeur. Et plus encore, celui-ci m’a convaincu que le jouet est définitivement une chose trop sérieuse pour la laisser aux adultes.

Des jouets et des hommes, Paris, Grand Palais, exposition du 14 septembre au 23 janvier, plein tarif 9 €.

mercredi 11 janvier 2012

Game story : une histoire du jeu vidéo

Exposition novatrice consacrée aux jeux vidéo, de décembre à janvier, dans le cadre somptueux du Grand palais, la culture pop s’invite sous les ors de la République. Après les installations digitales de la gaieté lyrique en novembre 2011, qui fut la première structure à consacrer l’art digital, le Grand palais  fait entrer le jeu vidéo commercial au musée.

Premier contact : la queue. L’attente s’allonge à n’en plus finir puisqu’il faut que les visiteurs précédents sortent pour permettre aux suivants d’entrer. En effet l’exposition n’est pas vaste et ressemble plus à une salle d’arcade qu’à un musée, et en tant que telle, toutes les machines présentées sont squattées par des joueurs compulsifs. Le classement, chronologique, s’étend de Pong à Kinect. A l’exception du panneau de présentation, on cherchera en vain une explication des choix qui ont présidé à élire un jeu plutôt qu’un autre, et aucun effort n’a été fait pour replacer le jeu dans le contexte de l’époque qui lui a donné vie.

Si les jeux retenus sont plutôt louables : Pong, Space Invader, Arkanoid, Turrican II, Monkey Island Vroom, Street Fighter II, Alone in the Dark, Resident Evil 4, Dance dance Revolution, World of Warcraft… On s’étonne en revanche de curiosités comme les Schtroumpfs. L’ensemble, sans aucune explication, ressemble plus au paradis du geek qu’à un musée. Une fois n’est pas coutume pour un musée, l’ intérêt premier est de pouvoir jouer à tous les jeux présentés… et c’est tout. On ressort donc de cette exposition avec la désagréable impression que l’occasion immanquable de consacrer enfin le jeu vidéo comme objet culturel a été ratée, et que les geeks aiment rester entre eux.

Si l’on ne connaît rien au jeu, on n’en sortira pas plus savant. Si l’on connaît déjà les jeux présentés, puisqu’il s’agit pour 80% de grands classiques, on n’apprendra rien, sinon que la nostalgie et les contrôleurs d’origine ont une bonne part dans le plaisir de jouer. Pourtant il y avait matière à souligner le réglage vicieux d’un Pong, la musique dynamique de Chris Ülsbeck dans Turrican 2 et les sauts impossibles du personnage, les subtiles accélérations de la version turbo de Street fighter II ou encore la naissance involontaire d’un genre avec Resident Evil 4. Le niveau 0 de la muséographie :  rien n’est mis en avant, et le joueur joue ignorant, comme il le ferait chez lui. Une belle occasion ratée de prouver enfin la valeur culturelle du jeu vidéo.


Game Story : une histoire du jeu vidéo, Paris, Grand Palais, exposition du 10 novembre 2011 au 9 janvier 2012, plein tarif 8 €.

dimanche 1 janvier 2012

La vie quotidienne des joueurs sous l’ancien régime à Paris et à la cour


Le “beau” siècle (le XVIIIe) est réputé être celui du jeu, même s’il le fut sans doute moins que le nôtre. L’effet de loupe est dû entre autres à la fin des grandes guerres et famines, à l’émergence d’une classe bourgeoise et citadine, à l’apparition du papier monnaie de Law, au modèle décadent de la Cour et, enfin, à la suprématie écrasante du jeu d’argent - dont il est exclusivement question ici - qui cherche pendant plusieurs siècles un cadre et un frein à son développement.

Bien que cet essai soit l’adaptation d’une thèse de troisième cycle, il se lit comme un roman, émaillé de citations d’époque. Publié par un auteur d’à peine 25 ans, le propos est parfaitement maîtrisé et bien plus digeste que celui des Jeux au royaume de France de Jean-Michel Mehl, avec lequel il rivalise d’érudition. En effet, plutôt que de citer à la queue leu leu des dizaines d’exemples rassemblés dans des chapitres tiroirs (l’économie, la religion, le pouvoir...), Olivier Grussi les mets en perspective à travers un plan astucieux, transversal : jeux et joueurs, le joueur et sa passion, le dérèglement, devenir fripon, échapper à la police, la réussite : l’exception, le déclin de la vie intellectuelle, complaisance ou impuissance,etc. Comme quoi il est possible de faire un ouvrage historique avec un plan pertinent sans tomber forcément dans l’anthropologie, en usant des sources avec à propos plutôt qu’en laissant primer l’exemplum et l’anecdotique.

L’essai résume la pensée de l’époque en citant le Traité de la police de Nicolas Delamare : “la fin que l’on se propose dans le jeu, est encore une circonstance qui ne peut-être négligée, si l’on veut y remplir tous ses devoirs : le jeu est un remède et un repos que l’on donne à son esprit pour le délasser, en rétablir les forces, et en même temps celles du corps : cela vient d’être prouvé ; donc le gain n’en peut être le principal objet ; alors ce n’est plus jeu, c’est une espèce de commerce que les Pères de l’Eglise et les Théologiens estiment être également honteux et criminel.” (p. 12). Or cette opinion du XVIIIe siècle reste peu ou prou le reflet inconscient de celle d’aujourd’hui : intéressé, le jeu est (moralement) condamnable, pratiqué avec modération et sans gage, il est un ciment social et une récréation.

Socialement, le jeu n’est donc pas condamnable en soi, par nature, mais sa pratique peut l’être si elle trouble l’ordre public. Ainsi “le législateur ne reconnut jamais l’existence juridique du jeu d’argent, mais ne l’interdit jamais non plus. Le gagnant peut conserver les sommes que le perdant lui a versées, mais ne peut traîner ce dernier en justice pour lui faire payer ses dettes. Le droit fait comme si le jeu d’argent et le contrat ludique n’existaient pas, c’est-à-dire comme si les transferts d’argent liés au jeu étaient de simples dons : le donateur ne peut revenir sur sa décision, mais personne ne peut l’obliger à donner davantage qu’il ne le veut.” (p. 223). Plutôt que de nier la réalité du jeu - et ainsi de permettre à tout joueur de se pourvoir en justice pour récupérer les sommes qu’il a perdues, ou au contraire de reconnaître la validité du contrat ludique, - et de permettre du même coup au gagnant de faire appel à la justice pour contraindre le perdant à payer, l’Etat moderne a renoncé à choisir, instituant de fait l’ambiguité séductrice d’un jeu condamné par devant, mais entériné de fait. Depuis le XVIIe siècle, le jeu est ainsi érigé en tabou au même titre que le sexe, le consacrant finalement comme tout aussi essentiel.

La vie quotidienne des joueurs sous l’ancien régime à Paris et à la cour d’Olivier Grussi, Hachette 1985, 257 pages, épuisé.