Entreprise de 1405 à 1409 cette chronique de Paris est l’oeuvre non d’un
bourgeois mais d’un clerc, probablement docteur de l’université. Bourgeois, il
l’est au sens d’habitant d’une cité à laquelle il donne le premier rôle de son
oeuvre. L’édition en français moderne l’est peut-être d’un point de vue
technique, mais reste difficile d’accès pour le non spécialistes, faute d’une
francisation correcte. Heureusement les notes et les index de qualité
rattrapent quelque peu cette lacune. Comme d’habitude, notre critique ne
s’intéresse non à l’oeuvre complète mais aux passages qui mentionnent le jeu
dans cette oeuvre typique de la fin du Moyen Âge.
Sans surprise, le jeu est cité à la marge, mais d’une façon qui montre
qu’il a investi le quotidien : “Et si avait tant neigé avant que cette âpre
gelée commençât environ un jour ou de devant, comme on en avait vu trente ans ;
et, pour l’âpreté de cette gelée et de la neige, il faisait si froid que
personne ne faisait quelque labeur que souler, crocer, jouer à la pelote ou
autres jeux pour soi échauffer...” (p. 198) Le jeu règne à la morte saison,
comme il le faisait lors des Saturnales (décembre) pour les Romains. Mais notre
chroniqueur insiste sur la capacité du jeu à remplir un repos forcé, comme il
montre que l’activité qui est associé aux jeux de plein air, par l’exercice
auquel il soumet les corps, devenant le moyen privilégier de les préserver du
froid extrême.
De façon générale, c’est le caractère extraordinaire d’un fait qui lui vaut
d’être mentionné par notre Parisien, ainsi un joueur de talent, qui plus est
une femme, ne peut qu’exciter l’admiration : “…Vint à Paris une femme nommée
Margot, assez jeune, comme de 28 à 30 ans, qui était du pays de Hainaut,
laquelle jouait le mieux à la paume qu’oncques homme eût vu, et avec ce jouait
devant main derrière main très puissamment, très malicieusement, très
habilement, comme pouvait faire homme, et peu venait d’hommes à qui elle ne
gagnât, si ce n’était les plus puissants joueurs.” (p. 239) Amateur de jeux
physiques, le chroniqueur évoque à travers la vigueur de l’esprit et du corps,
c’est-à-dire la technique naissante qui fait son apparition dans le sport, mais
qui ne porte pas encore ce nom.
“...Au revenir dudit sermon, furent les gens de Paris tellement tournés
en dévotion et émus qu’en moins de trois heures ou de quatre eussiez vu plus de
cent feux, en quoi les hommes ardaient tables et tabliers, dés, cartes, billes,
billards, nurelis et toutes choses à quoi on se pouvait courcer à maugréer à
jeu convoiteux.” (p. 254). Le succès croissant des jeux d’argents ou sujets
à intéressement, parce que la mise pousse au blasphème contre la Providence,
provoque l’ire des prédicateurs qui les condamnent périodiquement. Il n’est
donc pas rare que des autodafés, de jeux mais aussi du matériel de leur
production, livre aux flammes purificatrices ces instruments de la tentation.
Cette chronique médiévale témoigne donc d’une époque où le jeu est depuis
longtemps entré dans les moeurs, mais où le jeu excessif et les réactions qu’il
entraîne, comme les joueurs exceptionnels, continuent de susciter la curiosité
et l’intérêt général, terreau de la généralisation des jeux d’argent à toutes
les couches de la société sous l’Ancien Régime.
Journal d’un bourgeois de Paris par un anonyme (1449), Librairie Générale Française 1990, 539 pages, 8.50 €.
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