jeudi 21 octobre 2010

Jeu et philosophie


En 1979 paraissait pour la première fois, dans la Revue de métaphysique et de morale l'article d'un philosophe québécois intitulé "Jeu et philosophie". Bien que dépourvu de bibliographie, on y retrouve l'influence évidente de Huizinga, de Caillois et de Fink. Ainsi la comparaison, comme si elle allait de soi, du jeu et de la chasse, de la magie ou du combat, sans se poser les limites de la sphère du jeu, est typique du premier. Quant aux suivants, cités nommément, leur thèse est discutée dans l'article.

Postulant une définition poreuse à partir de celle de Caillois, le jeu est une "activité réglée autonome", cet essai ne fait qu'établir le jeu dans ses caractéristiques mais non dans son essence (où est le plaisir ?). Ainsi la promenade est un jeu pour Gilbert Boss... même si on a du mal à percevoir en quoi il s'agit d'une activité réglée. D'autre part, si le point de départ de la réflexion du philosophe est l'épistémologie ludique, il semble que celui-ci n'ait pas poussé bien loin ses investigations et le sérieux est ainsi posé comme l'opposé du jeu sans plus de justification, si ce n'est que c'est quelque chose d'évident.

Et c'est sans doute le principal reproche qu'on peut faire à la réflexion philosophique et à celle-ci en particulier : reposant sur la seule progression de la pensée de l'auteur, que l'une des étapes de ce questionnement soit fausse, surtout lorsque celle-ci arrive tôt dans l'argumentaire, et toute la réflexion qui en découle en est affectée. Or le manque de rigueur d'une pensée, qui tour à tour balaie d'autorité l'opinion étayée d'un prédécesseur, ou ignore crânement ce qui a été écrit sur le sujet pour fonder un raisonnement à l'emporte-pièce, tout en se présentant comme une vérité objective et indubitable, agace autant qu'il ennuie.

Pourtant, comme le livre plus récent de Colas Duflo Jouer et philosopher, l'article a les qualités de ses défauts. Il interpelle le lecteur par une pensée originale, même si c'est parfois au prix d'insuffisances dans le raisonnement et de lacunes dans la documentation : "...le jeu vient se fondre dans la magie. Outre la présence possible du vertige, combien de caractères se révèlent communs aux rites et aux jeux ! Dans les deux l'action est refermée sur elle-même, souvent précisément limitée dans le temps et l'espace, liée à la fiction et prête à accorder à l'imagination une importance que le sérieux ne lui laisserait pas. Dans la magie comme dans le jeu, chaque acte dépend de règles particulières, dont la transgression annihilerait aussitôt l'atmosphère spécifique, ludique ou magique, de l'action." Ce qui est une intuition philosophique joliment exprimée, que corrobore en outre l'origine sacrée du jeu... même si le mot réel semblerait plus approprié ici que celui de sérieux.

Réédité en 2006, l'ensemble aurait mérité d'être amendé, même s'il n'en reste pas moins digne d'intérêt.

"Jeu et philosophie" de Gilbert Boss in Explorations et inventions : I. Lieux philosophiques, Editions du Grand Midi 2006, p. 8-42. Lisible en ligne sur http://books.google.fr/books?id=dSX0EDEIJ5UC&printsec=frontcover&dq=gilbert+boss+lieux+philosophiques&hl=fr&ei=DJS6TKeUDMyfOuqY5dYM&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CC0Q6AEwAA#v=onepage&q&f=false

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