Le jeu est souvent traité
philosophiquement, artistiquement, psychologiquement, historiquement mais au
final les exemples sont supposés connus du lecteur y compris lorsqu’on fait
allusion à des jeux dont la règle ne nous est pas parvenue. Ce n’est pas grave,
de toute façon « cette bêtise des enfants », comme la qualifie
ironiquement Eugen Fink, est intéressante lorsqu’elle mobilise des concepts, de
l’art ou des enseignements qui peuvent être réutilisés pour des matières plus
utiles. Avec Jeux et jouets à travers les
âges, voici enfin un ouvrage qui donne à mieux connaître les jeux pour
eux-mêmes avec une démarche ludologique qui s’attache à recréer les règles
pour permettre de jouer enfin aux jeux du passé : Mehen (jeu du serpent), Senet,
Jeu royal d’Ur (jeu des vingt cases),
Latroncules (ancêtre des échecs), Brandub (échecs avec des dés), Jeu du renard et des poules (marelle
asymétrique), Alquerque (ancêtre des
dames), etc. En outre les jeux sont replacés dans leur contexte historique, de
même que pour les jouets pour lesquels des indications d’usage sont également
fournies, le tout accompagné d’une très riche iconographie et de quelques
citations des textes qui ont servi de fondement à la reconstitution du jeu, le
tout dans une langue simple et didactique. L’ouvrage se clôt enfin de façon
amusante sur la liste des jeux de Gargantua et le tableau Jeux d’enfants de Pieter Bruegel.
Les réserves viendraient davantage de
l’objectif et de la méthode. On imagine mal le grand public acheter un ouvrage
où la règle de jeux équivalents est répétée à l’identique avec quelques variantes : Jeu des douze lignes / Jacquet
/ Tric trac / Jeu des dames rabattues / Revertier
/ Backgammon / Garanguet ou Brandub / Fidchell / Gwyddbwll / Tawlbwrdd / Tablut. Or le plus souvent la parenté de
ces jeux n’est même pas examinée pour justifier l’existence parallèle, les
évolutions ou les divergences de chacun, voire simplement pour déduire de l’un
les informations qui manquent à l’autre. Si les textes fondateurs sont cités à
titre d’illustration, la différenciation entre la partie reconstituée et la
partie attestée des règles n’est jamais soulignée (à l’exception d’une fois
concernant le fait d’obtenir un chiffre exact pour l’arrivée du pion), de même
que les sources précises ayant servi à la reconstitution, comme par exemple la
règle des Latroncules, clairement
empruntée aux Jeux des Anciens de
Louis Becq de Fouquières. Faire appel à deux associations (Jocari, Archeolo-J)
pour tester et suggérer les règles est une très bonne idée, mais il semble que
l’intérêt ludique l’emporte trop souvent sur la logique archéologique malgré
les dénégations de l’auteur : « Le
but de cet ouvrage n’est pas de proposer des jeux nouveaux et forcément
excitants, mais bien de montrer comment les anciens considéraient les jeux et
de plonger les joueurs modernes dan un autre univers où le jeu est avant tout
un passe-temps, un loisir, une rencontre ou une confrontation ente joueurs. »
(p. 23).
Alors que Catherine Breyer est archéologue,
elle semble en outre parfois oublier que les joueurs de l’époque ne savaient bien
souvent ni lire, ni écrire, ni parfois compter, confinant les règles à ce que
nous appellerions des jeux pour enfants : « Des hypothèses probantes pour le déroulement de ce jeu ont donc pu être
émises, même si le manque d’informations complètes rend sans doute le jeu plus
simple à pratiquer que ce qu’il ne devait être à l’époque. » (p. 47). Or
l’absence de consignation écrite des règles ne peut qu’achever de les
simplifier, obligeant les joueurs à n’en retenir que l’indispensable. Or, si l’on
observe la liste des grands succès actuels du jeu de société : Uno (variante du Huit américain), Le jeu des
sept familles, Trivial Pursuit, Taboo ou Pictionary, les règles sont simplifiées à l’extrême. Ce qui laisse
supposer que les jeux anciens devaient l’être encore bien plus. Lorsque
l’auteur aborde le Mehen, on s’étonne
du manque de questionnement, voire d’observation des éléments à notre
disposition : alors que tous les tabliers de Mehen comportent à la fois des cases en creux et en relief et deux
types de pions, l’auteur ignore les secondes pour construire une règle qui fait
avancer les pions sur un seul et même
type de cases. Peut-être toutefois que ce point a été débattu par ses sources,
mais comme Catherine Breyer ne les cite pas précisément…
On regrette donc qu’un ouvrage aussi riche
historiquement ne se soit pas montré aussi rigoureux que l’on aurait pu s’y
attendre, ou a défaut n’ait pas débattu des questions que chaque jeu présenté
laisse en suspend. Mais il a au moins le mérite de démontrer par la pratique la
nécessité d’élaborer une méthode ludologique. Une lecture néanmoins amusante et
recommandée.
Jeux et jouets à travers les âges : histoire et
règles de jeux égyptiens, antiques et médiévaux de Catherine Breyer,
Safran 2010, 256 pages, 45 €.
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