Bruno Bettelheim (1903-1990) est aussi critiqué comme psychanalyste qu'il est ignoré par l'épistémologie du jeu. De façon amusante, cette psychanalyse du jeu cite beaucoup Freud et Piaget qui sont tout aussi critiqués que lui. Pourtant, plus de 20 ans après sa mort, Bettelheim reste connu et célébré. C'est sans doute le sort des plus grands penseurs, quels que soient le leurs erreurs et leurs lacunes, d'être enviés des "meilleurs" inconnus. Et comme ceux de ses illustres et critiqués prédécesseurs, j'ai apprécié cet essai brillant et (toujours) moderne.
Car Bettelheim est l'un des seuls auteurs à s'être intéressé à l'explication substantifique de notre motivation à jouer : Le jeu est une activité au contenu symbolique utilisée par les enfants pour résoudre au niveau de l'inconscient des problèmes qui leur échappent dans la réalité ; ils acquièrent par le jeu un sentiment de contrôle de soi qu'il sont loin de vraiment posséder. Ils ne savent qu'une chose : s'ils jouent c'est simplement parce que c'est amusant. Ils ne sont pas conscients de leur besoin de jouer - besoin qui a son origine dans la pression exercée par les problèmes non résolus. Ils ne savent pas non plus que leur plaisir de jouer vient d'un profond bien-être résultant du sentiment qu'ils sont capables de maîtriser les choses, alors que le reste de leur vie est manipulé par leurs parents ou d'autres adultes.” (p. 227) C'est avec celle de Freud, l'explication à la fois la plus simple et la plus profonde qui m'ait été donné de lire. En effet, elle dit presque tout : le besoin de jouer, l'importance du jeu pour l'équilibre psychique et le développement, et le lien du jeu avec l'apprentissage, la réalité, le sérieux, le plaisir... et cette explication fait écho à celle de Winnicott, de Piaget, de Freud, voire de Groos.
Bien sûr on regrettera l'absence de notes et de bibliographie, imputable probablement à l'éditeur, et surtout le mélange des genres entre la synthèse des recherches scientifiques de l'auteur, et des supputations qui n'ont pour tout appui que le bon sens, c'est-à-dire l'erreur. Par exemple quand Bettelheim se fait moraliste pour expliquer que la meilleure réponse à un enfant qui tire sur ses parents avec un pistolet en plastique est de le raisonner en lui demandant qui s'occupera désormais de lui, au lieu de comprendre que c'est ainsi répondre par la réalité à la liberté de l'imaginaire, et prendre la transgression pour une agression. Mais lui reprocher pareille erreur serait en commettre une à notre tour, et oublier que quelques insuffisances et raccourcis ne diminuent en rien la pertinence des autres analyses, puisque aucun ouvrage n'est tout faux ni tout juste.
Je dirais même que si un essai apporte sa pierre, aussi modeste soit-elle, alors il mérite d'exister, et si les pierres sont nombreuses au point de constituer un pan de mur, alors il faut le louer. Cette Psychanalyse du jeu est indéniablement de la seconde catégorie. Simple, agréable à lire (si ce n'est la petitesse des caractères de la version de poche), intelligent et inspiré, je ne saurais trop vous en recommander la lecture si vous vous demandez à quoi peut bien servir le jeu.
Pour être des parents acceptables : une psychanalyse du jeu de Bruno Bettelheim, Robert Laffont (1987) 1988, 401 pages, €.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire