Le titre de l'ouvrage de Winnicott écrit en 1971, classique à la fois de la psychanalyse et de l'épistémologie ludique, fait référence à la citation de Freud dans Le créateur littéraire et la fantaisie : "L'opposé du jeu n'est pas le sérieux, mais... la réalité." Contrairement aux apparences, Winnicott ne contredit pas Freud, dont il se réclame, mais approfondit sa pensée : le jeu est espace potentiel, sous-titre de l'ouvrage. Le jeu est donc un objet transitionnel entre le moi et le non-moi, entre l'enfant et sa mère ou sa famille, l'individu et la société, entre le rêve, le fantasme et la réalité, mais aussi la culture, le monde... Cet objet potentiel et transitionnel sert donc d'aire d'expérience à la construction de l'identité. Cette vision très permissive du jeu fait du jeu notre interface privilégiée voire exclusive avec l'environnement : "A ce stade le sujet de mon étude s'élargit, acquiert des dimensions nouvelles englobant le jeu, la création artistique et le goût pour l'art, le sentiment religieux, le rêve et aussi le fétichisme, le mensonge et le vol, l'origine et la perte du sentiment affectueux, la toxicomanie, le talisman des rituels obsessionnels, etc."... avec le risque que le jeu total soit tout et ne signifie donc plus rien.
C'est aussi donner la plus haute place au jeu, qui seul permet la rencontre de la subjectivité et de l'objectivité, et donc Winnicott d'y insérer la psychanalyse : "La psychothérapie se situe en ce lieu où deux aires de jeu se chevauchent, celle du patient et celle du thérapeute. En psychothérapie à qui a-t-on affaire ? A deux personnes en train de jouer ensemble." En effet, le rôle du thérapeute est de rendre compréhensibles la réalité et le fantasme dans une aire intermédiaire où le patient peut apprivoiser ses pulsions comme la réalité crue de sa maladie. C'est aussi en décalque expliquer l'attrait du jeu sur tout un chacun : la résolution des problèmes inconscients qui provoquent à la fois le besoin de jouer et le plaisir par la satisfaction de ce besoin, ce que déjà Freud pressentait. Or c'est peut-être là la principale critique à la démarche de Winnnicott : selon sa perspective le jeu n'existe que par dans et pour la psychanalyse, et le jeu de l'individu équilibré n'est en rien explicité. Pourtant en poussant son raisonnement cela signifierait que c'est le jeu qui nous empêche de devenir fou. Hypothèse très soutenable en somme.
Un livre un peu déconcertant par sa construction sous forme de thème et variations :l'article fondamental se situant en ouverture, le reste n'étant qu'une illustration, une mise en situation voire un commentaire possible de l'article originel. Or le résumé qui clôture chaque chapitre aurait tendance à confirmer l'impression qu'en dépit d'une langue simple et accessible, le contenu l'est beaucoup moins.
Jeu et réalité de Donald Winnicott, Gallimard 1975, 278 p., 7.10 €
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