Emile-Auguste Chartier, dit Alain (1858-1951), est un philosophe cité par l'épistémologie ludique sous forme de maximes plus pour fonder une démarche scientifique. Or celle d'Alain, si elle n'est guère philosophique, fonde l'approche pédagogique, comme celle de Karl Groos le fait à sa façon pour l'éthologie. Concernant le jeu, ses Propos sur l'éducation, écrits en 1932, sont sans doute les plus originaux et les plus riches : 6 des 87 propos lui sont consacrés contre une seule leçon sur 31 pour la Pédagogie enfantine (1963). En effet ceux-ci apparaissent en marge de la pédagogie traditionnelle, dotés d'une qualité d'écriture dont peu d'essais peuvent se revendiquer.
Les propos sur l'éducation associent le jeu à l'apprentissage sans les confondre. Pour Alain le jeu est champ privilégié d'expérience : "Ici l'erreur trouve sa place ; on lave l'ardoise, et il ne reste rien de la faute." (VIII, p. 25). Et si le jeu ne se confond pas avec le travail, le premier est une éducation à l'autre : "tous les jeux peuvent instruire là-dessus, car il faut s'y donner, et, en un sens, s'y soumettre et d'abord croire qu'on s'y plaira." (XXXII, p. 83) ; et le jeu apprend à aimer le processus plus que la fin, en résumé la vie : "Ce qui fait le plaisir en tous les cas peut-être, c'est un accord et comme un ajustement entre l'action que l'on fait et les conditions extérieures. La fonction vitale est une adaptation de chaque instant, un triomphe devant un problème nouveau ; nouveau, mais que l'on reconnaît assez avec confiance et sentir qu'on le surmontera." (ibid.).
La Pédagogie enfantine est davantage influencée par les recherches contemporaines, à l'instar de celle de Roger Caillois, Jean Chateau ou de Johann Huizinga, qui tentent de catégoriser et de définir le jeu. La classification binaire proposée est peu originale : jeu réglés / jeux libres, c'est-à-dire plus prosaïquement jeux / jouets ou game / play, tout comme la définition du jeu : "Les jeux des enfants sont des actions réglées, sans aucune contrainte, indépendantes de toute fin extérieure comme l'utilité, sans résultat donc, et qui ont leur intérêt en elles-mêmes." (p. 279). Plus intéressantes sont les comparaisons opérées avec le travail (Le jeu efface le résultat. Le jeu plaît par l'action même.) et l'art (L'action dévore tout et détruit ce qu'elle à fait.). (p. 281).
Une réflexion pertinente, exprimée avec art, qui reste largement d'actualité malgré son ancienneté.
Propos sur l'éducation (1932) suivis de Pédagogie enfantine (1963) d'Alain, Presses Universitaires de France 1986, 383 pages, 12 €.
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