samedi 29 septembre 2007

Homo Ludens : essai sur la fonction sociale du jeu


L’homo ludens est pour Huizinga, un historien hollandais spécialiste du Moyen-âge tardif (et essayiste à ses heures), un qualificatif plus approprié pour définir l’homo sapiens, tant l’homme passe son temps à jouer. Il faut dire que pour Huizinga, tout est matière à jouer : les compétitions, le droit, la guerre, le sacré, le potlatch, les énigmes, la poésie, la philosophie, la sagesse, l’art, etc. Si bien qu’on finit par se demander qu’est-ce qui n’est pas un jeu. Jesper Juul faisait très justement la remarque que ceux qui définissent le jeu ont tendance à tirer la couverture à lui en considérant que tout est jeu, ou inversement qu’il n’est que ‘telle’ chose, suivant l’œilleton au travers duquel ils l’examinent. Pourtant, après un premier chapitre particulièrement brillant, où l’historien hollandais examine avec un œil neuf toutes les traces de jeu dans notre civilisation en faisant remarquer judicieusement que le jeu précède la culture puisque les animaux jouent, j’espérais beaucoup des pages suivantes. Hélas, à part nous assommer avec son érudition, par ailleurs assez contestable, on comprend que tout est perdu dès qu’il conclut à la page 40 que le culte est un jeu.

Refusant de circonscrire son sujet en le limitant à la définition du jeu qu'il a lui-même posée, Huizinga est tombé dans le piège du tout et du n’importe quoi. Se targuant d’un raisonnement cartésien inattaquable (p. 280 : « Ce point de vue admis - et il ne paraît guère possible de ne pas l’admettre… »), il ne s’aperçoit pas qu’il est dominé par une approche linguistique et anecdotique (un exemple n’est pas une règle, mais au contraire bien souvent une exception) qui le pousse à de dangereuses analogies, faute d’avoir respecté les frontières de son sujet. Ainsi, tout ce qui est réglé devient un jeu, alors que c’est vrai seulement s’il s’agit d’une activité consciente et libre. De même, pour lui, tout rituel est un jeu, confondant le simulacre ludique et sans but, avec la foi qui recherche l’élévation spirituelle et abolit l’aspect factice du décorum. Huizinga se contredit en outre souvent sur la notion de sérieux qui, une fois n’est pas opposé au jeu, et une autre fois est son contraire. Or le jeu n’exclut pas le sérieux, mais s’oppose absolument à la notion de réalité et de travail. Cependant, le pire demeure l’assimilation de la guerre et du jeu, comme quoi trop de réflexion nuit à la santé intellectuelle.

Ce livre, comme la majorité des livres de penseurs, pèche par trop d’érudition et par manque de pratique. Si Huizinga était un joueur, il n'aurait sans doute jamais écrit les ¾ de son ouvrage, car les pratiquants savent et n’ont pas besoin de définir la chose pour la connaître, ou tout au moins la ressentir. Ajoutez-y une passion toute historique pour la compilation de ‘faits’, et vous avez un livre particulièrement pénible à lire. Car, et cela semble échapper complètement à Huizinga, ici (comme bien souvent) ce ne sont pas les faits qui posent problème, mais bien leur sélection et leur interprétation. Et avoir à lire 10 cas particuliers pour voir l’auteur en déduire une règle générale, relève de l’escroquerie intellectuelle.

Maintenant, oubliez tout ce que je viens de dire et lisez absolument ce livre, même s’il vous faudra ne surtout pas dépasser les 35 premières pages, car elles restent ce qu’on a écrit de plus lumineux et de plus stimulant sur le jeu. Les pages suivantes sont en effet sans intérêt, voire nuisibles.

Homo ludens : essai sur la fonction sociale du jeu de Johan Huizinga, Gallimard 1951, 340 pages, 9 €

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