A peine achevé le Manuel d’écriture de jeux vidéo de Jean-Yves Kerbrat (L’Harmattan 2005), je ne résiste pas à vous en faire la critique. Qualifié pourtant de ‘professionnel de l’industrie vidéoludique’ et de ‘professeur d’art numérique’, l’auteur biaise son discours dès le postulat de départ de l’ouvrage : ‘Tout comme au cinéma, le drame est le moteur de l’interaction’. Emmanuel Forsans, président de l’Agence Française pour les Jeux Vidéo, enfonce même le clou dans l’introduction programmatique de l’ouvrage : « Qu’est-ce qui fait aujourd’hui la différence entre deux simulations de courses automobiles, deux jeux de combats, entre deux « FPS » : le scénario ! ….je le disais précédemment : la technologie constitue le strict minimum. »
C’est un peu le résumé du livre, pour J.-Y. Kerbrat on ‘écrit’ un jeu vidéo comme un film. A partir de ce biais, il prend l’exemple de jeux vidéo à succès : Zelda, Myst ou Tomb Raider, un peu comme s’il prenait comme exemple scénaristiques Godzilla ou Les Visiteurs parce qu’ils ont été des succès publics. En premier lieu, prendre des jeux de type puzzle (Myst) ou action/plateforme (Tomb Raider), ou aventure/plate-forme (Zelda) pour démontrer que le scénario est la pierre angulaire de la création vidéoludique, me semble une très mauvaise idée. On ne cesse donc de plaindre l’auteur quand il s’efforce de faire entrer à coups de marteau des éléments de pur gameplay en tant que composants scénaristiques. Mais surtout, c’est qu’avec de si mauvais exemples, voir l’auteur s’extasier sur le scénario « génial » (d’une rare sottise pour ceux qui connaissent) de L’Ocarina du temps, confine au grotesque. Celui-ci n’est en effet que prétexte à un gameplay très intéressant, comme souvent chez Nintendo : le fait de pouvoir sans fin ‘revenir en arrière’ afin d’optimiser son parcours et de compléter l’aventure en moins de 3 jours jeu.
Pour voir apparaitre véritablement ce mot de gameplay, ‘mécanisme ludique’ central de la création d’un jeu, il faut attendre la page 228… qui définit le terme dans son ancienne acception de « maniabilité/jouabilité ». Alors que je voyais plutôt le gameplay comme la réunion des principes d’accessibilité et de profondeur, l’affrontement du dirigisme et de la liberté. On cherchera en outre en vain, dans les 350 pages que compte l’ouvrage, une prise en compte de la nature technologique spécifique des jeux vidéo, qui malheureusement, comme annoncé en introduction, semble « constituer le strict minimum » et est reléguée au glossaire. Rien non plus, ou presque, concernant les jeux en ligne.
Empilement de fiches pleines de coquilles orthographiques, ce livre bavard s’emmêle entre elles et arrive à raconter sept ou huit fois le scénario de L’Ocarina du temps, à nous répéter environ 60 fois qu’il est de ‘Shigeru Miyamoto (sur Nintendo)’, à confondre les mots ‘cinétique’ et ‘cinématique’, les jeux Counter Strike et Team Fortress, à user et abuser de tautologies comme ‘fatal game over’ ou ‘utilisateur/joueur’ et, plus grave pour un livre dédié à un loisir ludique, à nous ennuyer ferme. S’adressant en permanence au novice en jeu vidéo, qu’il serait souhaitable de dissuader de se lancer dans la création d’un jeu, ce manuel institue la copie des poncifs du genre comme méthode de création.
Il est regrettable que cette approche très pratique, qui aurait dû être louable, manque à ce point de recul et de théorisation. La création apparaît comme une sorte de recette en sachet, à appliquer à la lettre, sans réfléchir. Et pour cause, collant à ses « modèles » rois du box office, il n’y a jamais de remise en cause ni même d’interrogation sur leurs choix ludiques. Ils sont forcément parfaits puisqu’ils se sont vendus à des millions d’exemplaires. Si, aujourd’hui, deux de ces trois titres ont sombré dans l’oubli, on n’évoquera surtout pas leur avance technologique à l’époque, et l’excellence marketing dont ils ont bénéficié, bien périssables face à leur scénario prétendument ‘indémodable’.
Mais ce livre, et c’est sans doute son principal intérêt, est aussi le reflet d’un pan de la création actuelle, qui se contente simplement de faire du neuf avec du vieux, sans se poser de question. Enfin, on appréciera, même en l’absence de leur appellation technique, l’initiation aux principes essentiels de courbe de progression et aux méthodologies d’évaluation de sa création. C’est aussi la force de ce manuel, le vocabulaire simple de J.-Y. Kerbrat changeant agréablement du jargon universitaire. A lire, avec les précautions de rigueur, comme seul ‘manuel de création’ disponible.
Manuel d’écriture de jeux vidéo de Jean-Yves Kerbrat, L'Harmattan 2006, 348 pages, 29 €
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