Pieter de Hooch (1629-1694?) peint en 1653 des joueurs de trictrac soit dix ans avant ses joueurs de cartes. Le choix de soldats montre que sa situation n'est pas encore celle des années suivantes. Ce peintre de genre réalise ici un tableau plus descriptif, où son style réaliste fait merveille : détail des habits, des postures, visages typés qui rendent la scène vivante, voire exotique. Il peint pour la bourgeoisie qui aime le détail vrai, fut-il caricatural. On porte l'épée au côté ou le plastron de cuirasse, en buvant, en fumant, en jouant au jeu à la mode, debout ou assis, tout en se racontant des histoires.
La situation de jeu n'est pas certaine, si ce n'est que le soldat est prêt à agiter ses dés pour les lancer, et qu'il semble que la femme, suspendue aux lèvres du conteur, en oublie de passer le cornet à dés à l'épéiste, qui pourrait être son mari. En effet, le trictrac se jouant à deux, il est évident que la femme ne joue pas, et que le conteur est assis à la place de l'invité. Elle est peut-être là pour remplir les verres des joueurs, en tout cas pour écouter l'histoire. La partie de jeu est donc secondaire, si ce n'est qu'elle est le centre d'un moment de détente et des plaisirs qui lui sont associés : vin, tabac, bavardages. Le peintre a pris plaisir à représenter la joie simple de la convivialité. La symbolique est pratiquement nulle.
C'est toute l'originalité de ce tableau, car le jeu est normalement un moment de tension qui permet de peindre une histoire, des émotions, des non-dits. Ici seul transperce la quiétude et la futilité du moment : les armes sont au fourreau, le vin au fond des verres, les mises absentes ; les visages sont joyeux, les postures amicales et franches. Aucun jugement moral sur la paresse, aucun mépris des humbles, mais l'opportunité d'assister à un moment de bonheur spontané et innocent : la réunion des hommes autour du jeu pour le plaisir d'être ensemble et de partager. Car au delà de la classe sociale, le plaisir, qu'il soit celui de fumer, de boire, de jouer ou d'échanger est profondément humain, donc fédérateur. Et pour le spectateur, le plaisir esthétique du beau rejoint ceux évoqués dans la scène, éveillant par résonance avec notre "je" la sensation d'être bien.
Les joueurs de trictrac de Pieter de Hooch, National Gallery of Ireland à Dublin, 1653.
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