dimanche 13 septembre 2009

Jouer et philosopher



La définition du jeu est la pierre angulaire de la ludologie. Colas Duflo, joueur lui-même, tente donc, au contraire de ses précédesseurs qui s'intéressent davantage à l'acte de jouer qu'au jeu, de définir le jeu à partir d'une observation des jeux. Or cette méthode pose directement problème, puisque le philosophe ne propose rien moins que de définir le jeu à partir de l'observation d'objets qu'il n'a pas encore définis... et dont il ignore si ce sont des jeux.

L'une de ses premières analyses est en cela édifiante : elle concerne le tennis. Nous sommes d'accord, on dit bien jouer au tennis, mais cela suffit à Duflo pour postuler que c'est un jeu. Pourtant, demandez à dix personnes de donner un terme et un seul pour définir le tennis, sport arrivera loin devant jeu. Et on dit bien les jeux de l'amour, le jeu d'un engrenage, un jeu de clefs, sans pour autant croire qu'il s'agit de jeux. Cela n'empêche pourtant pas le philosophe de resservir cette analogie pour donner raison à Caillois qui classe les jeux d'argent parmi les jeux, contre Huizinga, simplement parce qu'on les appelle jeux.

Malgré ce départ contestable, Duflo n'en a pas moins l'ambition de dégager une définition complète qui, à l'inverse des dictionnaires, "doit définir tout le défini et rien que le défini". Une sorte de point d'ancrage de la ludologie. Sur le modèle d'Henriot, il examine donc les constituants des différentes définitions des penseurs antérieurs en montrant que, pris séparément, ces éléments ne définissent rien de spécifique au jeu. Tout en objectant à Henriot que dire que quelque chose est à la fois plusieurs choses n'est pas dire que c'est aussi chacune d'elle prise séparément, Duflo souligne qu'une définition irréductible n'est pas accumulation. C'est bien beau, mais je défie quiconque de produire la définition d'un concept sans utiliser un ensemble d'autre concepts. On appelle cela le langage. Si un mot existe, il n'y qu'une solution pour le définir par un concept unique, c'est le définir par lui-même... ce qui n'a aucun intérêt.

La définition de Colas Duflo, au demeurant très belle par sa pureté : "L'invention d'une liberté dans et par une légalité", n'échappe donc pas à cette règle. Qu'est-ce que la liberté ? qu'est-ce que la légalité ? L'auteur essaie d'y répondre durant le reste de l'ouvrage. Le jeu n'est en aucun cas ou l'un ou l'autre, mais les deux à la fois. Plus grave, n'est-ce pas une définition tout aussi idéale pour la musique par exemple, alors que l'ambition de Duflo était de définir tout le jeu et rien que le jeu ? Et qui donc peut comprendre quand on donne abruptement cette définition qu'on veut parler d'un jeu ?

Au final donc, le plaisir, qui n'arrive qu'à la p. 246 d'un livre qui en compte 253 (alors même que jeu signifie joie) est bien le grand absent de cet ouvrage, malgré les dénégations maladroites du philosophe. Entre temps on aura eu eu un aperçu stimulant du jeu dans la littérature, malgré l'oubli du roman de Perez-Reverte, et un peu tardivement un essai de décomposition du jeu en éléments. Cela n'en constitue pas moins une réflexion savante sur le jeu, même si LE livre qui définira correctement le jeu, c'est-à-dire de façon accessible et utile, reste encore à écrire.

Colas Duflo, Jouer et philosopher, PUF 1997, épuisé, à lire en ligne en version intégrale sur Google Books : htttp://books.google.fr/

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