Plusieurs oeuvres portent un titre similaire. Il s'agit ici d'une pièce de théâtre de Carlo Goldoni représentée en 1750. Traduite pour la première fois en français en 1992, il s'agit d'une oeuvre programmatique, Goldoni s'étant enfin libéré du démon du jeu, il décide de faire oeuvre de moraliste : "Ceci dit, je ne prétends pas que toutes des comédies soient l'école des hommes, mais celle-ci oui, je voudrais bien qu'elle le soit, et autant que j'ai pu, là, j'ai essayé d'être un professeur, parce que, en ayant besoin moi-même autrefois, j'aurais désiré voir au théâtre un exemple qui m'eut secoué et corrigé. Mais, au contraire, je n'ai vu représenter que des joueurs qui, menant une vie confortable et joyeuse par les moyens du jeu, ne faisaient que flatter ma passion." (p. 13)
Malheureusement Goldoni oublie en chemin que l'objectif d'une comédie est de faire rire. Or celle-ci est aussi dénuée d'humour que de surprises, les dédits et les revirements interminables du héros, portés par des dialogues qui n'ont rien à envier à la faiblesse de ceux de nos feuilletons télévisuels, achevant de nous rendre indifférents à l'action. Représentée seulement deux fois l'année de son écriture, la pièce fut un échec, et si la traductrice vante "une pièce éminemment moderne et forte de nos jours", on lui laisse la responsabilité de ses propos.
Si on oublie souvent que les nanars méconnus côtoient les chefs-d'oeuvre chez les grands auteurs : tragédies de Voltaire et de Molière, Traité sur le beau et le sublime de Kant, etc. On reste cependant surpris du manque de discernement de Goldoni en ce qui concerne son genre de prédilection, et surtout l'ignorance dont il semble faire preuve à l'égard des ressorts de la comédie. Comment peut-il croire intéresser le public traditionnel de ses comédies avec une pièce sans humour qui commente sentencieusement une action outrageusement étirée et prévisible ? Quant à ses propos sur le jeu - accusé de tous les maux - ils sont exclusivement moralisateurs et dignes d'un catéchisme. On est loin de l'humour et de l'élégance du Joueur de Jean-François Regnard, qui pourtant porte un morale tout à fait semblable sur le jeu.
On en retira donc un enseignement bien différent de celui que veut maladroitement nous vendre Goldoni : c'est en remplissant son statut cathartique d'art et de bouffonnerie que la fiction, à fortiori la comédie, peut nous toucher et se faire ainsi "l'école des hommes". De même le jeu amuse et instruit parce qu'il est jeu, à savoir qu'il constitue une transgression de la réalité, de ses contraintes autant que de sa morale.
Le joueur de Carlo Goldoni (1750), Actes Sud 1992, 120 pages, 17 €
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