Paru en 1954, Devenir le meilleur de soi-même
(Motivation and personality) détaille la fameuse « pyramide » de
Maslow (bien que celui-ci ne parle que de hiérarchie des besoins) et éclaire le
lecteur sur sa destinée controversée. En effet, bien que l’auteur appuie son
modèle sur ses consultations de psychanalyste, jamais il ne démontre comment il
a extrait de ses observations les cinq niveaux qui le constituent. De plus,
bien qu’il parle de motivation et de personnalité, le lien entre ces deux notions
est posé comme une évidence. Bref, on cherchera vainement dans les 350 pages de
l’ouvrage une justification du modèle.
La structure même de cet
essai, qui ressemble à un recueil d’articles, est l’aveu d’un échec. Renfermant des intuitions pertinentes, il
semble à chaque page que Maslow est dépassé par sa découverte. Par exemple, tout
en reconnaissant que l’on trouve chez les animaux les fondements de son modèle,
il se dépêche d’ajouter que l’on ne peut rien induire de scientifique d’une
comparaison avec l’animal. S’il ajoute que son modèle est holiste, puisqu’« En envisageant la satisfaction de la hiérarchie
des besoins émotionnels de base en terme de continuum linéaire, nous nous
dotons d’un outil puissant (bien qu’imparfait) de classement des types de
personnalités. » (p. 93), il n’oublie surtout pas de préciser que son
modèle ne saurait être parfait, parce qu’il est contestable (?), tout en
inférant que notre personnalité n’est autre que le produit de nos motivations. C’est
certes intéressant (quoique l'on pencherait plutôt pour un système de valeurs), en
tout ca cela mériterait sans doute un développement plus important qu’une
simple incise. Ses détracteurs n’ont ainsi eu qu’à le lire pour lui exposer
toute une liste de limites et de lacunes que lui-même avait par avance
validées.
Le bon sens de Maslow le
pousse si souvent à contredire, que ce soit par prudence ou par évidence, ce qu’il
vient d’exposer au terme d’une démonstration, qu’on finit par se demander quel
est l’objectif d’un ouvrage qui postule (puisque sa découverte s’appuie censément
sur des observations qu’il n’expose jamais), ne prouve rien puisque se contredisant
sans cesse, et finalement se montre impuissant dans tout ce qu’il entreprend. Incapable
de justifier son modèle Maslow finit, de guerre lasse, par s’attaquer au
système de pensée qui l’invalide : « Le centrage sur les moyens crée une hiérarchie des sciences dans
laquelle, de façon extrêmement pernicieuse, la physique est considérée « plus
scientifique » que la biologie, la biologie l’étant davantage que la
psychologie, et la psychologie que la sociologie. » (p. 289) Or, si
perspicace que soit son argumentation, elle trahit surtout la frustration d’un
auteur, qui en sapant lui-même son système à force de précautions et de
revirements, se désavoue.
Pire, certains de ses
exposés sont risibles, comme celui qui postule que les grands hommes du passé
(Washington, Goethe, Bach…) – qu’il psychanalyse on ne sait comment (par
spiritisme ?) – sont accomplis/sains de fait parce qu’ils sont des grands
hommes. Si les artistes étaient accomplis, d’où leur viendrait leur besoin incommensurable
de créer ? Si les hommes politiques l’étaient, d’où viendrait leur
ambition dévorante ? Bref... Bien mal (d)écrite, fleurtant avec l’ésotérisme,
la découverte de Maslow décidément le dépasse.
Pourtant, partir des besoins
fondamentaux pour comprendre la satisfaction, autrement dit le plaisir qui, en
tant que joueur, nous intéresse, était une promesse aussi passionnante que
novatrice. Promesse que cet ouvrage ne tient jamais. On retiendra donc
seulement de cet embrouillamini qu’on peut être un homme très normal et faire
une découverte géniale. Plutôt rassurant en somme.
Devenir
le meilleur de soi-même (1954) d’Abraham Maslow, Eyrolles
2008, 383 pages, 29 €.
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