Borges est obsédé par des thèmes récurrents comme la culture et l'absurde qu'il décline en de multiples fictions qui sont autant de variations de notre monde, miroirs déformants ou négatifs de celui-ci. Sa nouvelle la plus connue, La bibliothèque de Babel décrit ainsi un univers qui ne serait qu'une bibliothèque infinie, Borges s'interrogeant alors sur ce que serait les pouvoirs spirituel et temporel de cet univers, ou encore les espoirs et les craintes de ses habitants.
La loterie de Babylone imagine que la capitale du monde antique serait régie par le jeu, et les conséquences qu'aurait celui-ci sur la vie de ses citoyens. Que devient le jeu quand il échange sa place avec la réalité ? Ne devient-il pas son contraire ? Si le monde n'était qu'un jeu, ne ressemblerait-il pas finalement au nôtre ? Le jeu n'est-il pas une façon de vivre la réalité ?
Ces réflexions, certes toutes relativement intellectuelles, sont loin d'être dénuées d'humour, et leur forme incisive ne lasse jamais, la nouvelle ne dépassant pas la dizaine de page. Le soin apporté à la morale de l'histoire, en forme d'abîme, nous hante bien après en avoir refermé les pages.
Car pour Borges, le jeu est une parabole de l'existence où la place du joueur revient à Dieu, celle de l'homme se résumant à celle du pion, comme en témoigne magnifiquement son poème sur les échecs : Mais qui de vous sent sa marche gouvernée ? / La main ni le joueur, vous ne sauriez les voir ; / Vous ne sauriez penser qu’un rigoureux pouvoir / Dicte votre dessein, règle votre journée. / Le joueur, ô Khayam ! est lui-même en prison, / Et c’est un échiquier que l’humain horizon : / Jours blancs et noires nuits, route stricte et finie.
Une réflexion en forme de miroir, obsédante et fascinante.
La loterie de Babylone in Fictions de Jorge Luis Borges, Gallimard 1974, p. 61-69, 4.50 €.
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