vendredi 1 juillet 2011

Le jeu

Paru quelque 20 ans avant Sous couleur de jouer (1989), Le jeu est moins le brouillon du second que sa substantifique moelle : moins prétentieux, moins touffu, moins confus, il est à la fois plus synthétique et accessible. Ici, point d'intitulés de chapitres fumeux, et l'introduction, intitulée Problèmes et sous-titrée Une Méthode, pose d'emblée l'ambition : "Si le jeu est un fait, il s'agit : 1° d'établir ce fait. Autrement dit : d'énumérer ses caractères et de définir les conditions dans lesquelles il est permis de l'identifier ; 2° d'en classer les formes. Il y a des jeux, qui sont des façon différentes de jouer : il faut découvrir ou introduire dans cette multiplicité un principe d'ordre ; 3° de l'expliquer : recherche de ses causes, formulation de ses lois, détermination de sa fonction." (p. 5). Les parties sont aussi simples que celles de Sous couleur de jouer sont cryptiques : la première est consacrées au Jeu, la seconde au Jouer, la troisième au Jouant (le joueur). 

L'intérêt de cette réflexion est d'aborder le jeu comme une activité plutôt qu'une structure : « On ne peut définir le jouer comme on définit un objet. Pour le définir, il faudrait pouvoir dire : ‘‘jouer, c’est…’’. Or le jouer ne se définit que par lui-même. Seul un être posé au départ comme capable de jouer, peut savoir ce que c’est que jouer. S’il ne le savait déjà où prendrait-il les moyens de reconnaître et d’identifier le jeu ? Une phénoménologie appliquée à l’élucidation du sens du phénomène jeu doit donc s’appuyer sur une référence au vécu subjectif qui forme le « sol » de l’expérience humaine, l’humus de l’humain. C’est dans la description et l’analyse de ce déjà que réside l’une de ses tâches primordiales. » (p. 80-81). Henriot pose ici le jeu comme non observable et apporte ainsi par avance des contre-arguments à la démarche de Colas Duflo qui, dans Jouer et philosopher, part de l'observation du jeu pour le définir.

D'autres réflexions méritent l'attention : celle qui décompose le jeu en trois moments : la magie qui nous prend au jeu, la lucidité qui nous tient à distance, et l'illusion qui concilie les deux autres moments en "un en-deça et un au-delà du jeu" (p. 88). Le jeu serait ainsi l'espace de l'existant  car "ex-ister, c'est être à distance de soi à la fois dans ce que l'on est et dans ce que l'on veut être." (p.  94). Aussi le jeu est démoniaque car "Démoniaque est l'être dans lequel il y a du jeu et qui, de ce fait, ne se trouve jamais en coïncidence parfaite, ni avec soi, ni avec quoi que ce soit d'autre de lui : objet, idée, fonction. Il est en même temps toujours ici et ailleurs, lui-même et un autre." (p. 95).

L'ensemble est discutable, plus lyrique qu'argumenté, mais suffisamment original pour stimuler la réflexion et mériter votre attention.

Le jeu de Jacques Henriot, Presses Universitaires de France 1969, 107 pages, épuisé.

Aucun commentaire: