lundi 19 mars 2012

Philosophie des jeux vidéo

Les livres marquants sur le jeu vidéo ne sont pas légion. La faute à un objet culturel dont la tradition geek fait corps autour de lui, dénotant une volonté systématique de reconnaissance et un réflexe d’autodéfense : on oscille sans cesse entre le livre de recettes, la synthèse de communiqués de presse ou encore le panégyrique au premier degré, sans pour autant extraire de lui ce qui serait si formidable. Parfois la ferveur convainc, à l’instar de La saga des jeux vidéo de Daniel Ichbiah, parfois au contraire elle dessert sont objet. C’est par exemple le cas de L’univers des jeux vidéo des frères Le Diberder qui a force de vouloir argumenter en leur faveur instille le doute sur leur intérêt, ou plus largement des game studies qui, faute de questionner leur objet, esquivent le plus souvent la question de sa pertinence.

Mathieu Triclot, peut-être parce qu’il est philosophe, essaie au contraire de resituer le jeu vidéo dans son héritage populaire et technologique, mais sans en tirer ni honte ni fierté. Et en cela son ouvrage est le constat serein que nous avons passé une étape, que le jeu vidéo n’a plus besoin d’être défendu ni placé sur un piédestal pour que la communauté scientifique s’y intéresse. De ce point de vue il est le pendant de Jouer et Philosopher de Colas Duflo qui ne traitait que des jeux traditionnels, et qui faisait la synthèse de la pensée ludologique des années 90. L’héritage de Mathieu Triclot n’est pas différent, mais il intègre la pensée anglo-saxonne et les recherches interdisciplinaires qui faisait défaut au premier : l’approche est à la fois sociologique, cognitive et subjective. C’est donc résolument une synthèse des recherches des années 2000.

Certes on peut regretter que l’aspect ludologique soit si minoré, mais dans la mesure où cet essai se fonde sur l’expérience de jeu et le contexte culturel pour qualifier le jeu vidéo, sans en tirer de comparatif puérile, le parti pris est acceptable. Comme dans Jeux vidéo et médias du XXIe siècle, l’héritage technologique et culturel du support vidéoludique est souligné au point d’en déterminer la physionomie : « L’arcade parvient ainsi à agencer de manière extraordinaire l’économie du jeu vidéo et l’économie libidinale du joueur. Il faut perdre, il faut s’exposer à la perte inévitable, symbolisée dans le quarter, la pièce de monnaie. De là la difficulté sans doute à transposer sans changement l’arcade au salon sur les consoles, où plus rien ne justifie la nécessité de perdre, plus rien ne symbolise la défaite. » (p. 154).

Mais derrière ce déterminisme structurel et historique, l’auteur essaie de faire émerger l’essence expressive du médium, démontrant brillamment que la forme n’est jamais que le fond qui remonte à la surface : « L’histoire type met en scène le traditionnel sorcier maléfique qui menace le monde a l’aide de ses hordes de créatures dont le héros devra venir à bout. Il est impossible de ne pas percevoir l’analogie entre la structure de l’histoire le sorcier. L’envoûtement du jeu se superpose exactement au maléfice. Le seul moyen de s’en libérer consiste à aller jusqu’au bout, à achever l’histoire pour que la vie puisse enfin reprendre ses droits. » (p. 179) Et ce faisant, est affirmé la magie du jeu dont l’expression épouse les contours.

Un essai à la fois brillant et humble – écrit avec une simplicité qui rend hommage au caractère populaire du sujet – dont le succès critique est amplement mérité. Une excellente surprise.

Philosophie des jeux vidéo de Mathieu Triclot, Zones 2011, 247 pages, 19 €. Consultable gracieusement en ligne sur le site de l’éditeur.

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