Les livres marquants sur
le jeu vidéo ne sont pas légion. La faute à un objet culturel dont la tradition
geek fait corps autour de lui, dénotant une volonté systématique de reconnaissance
et un réflexe d’autodéfense : on oscille sans cesse entre le livre de recettes,
la synthèse de communiqués de presse ou encore le panégyrique au premier degré,
sans pour autant extraire de lui ce qui serait si formidable. Parfois la
ferveur convainc, à l’instar de La saga des jeux vidéo de Daniel Ichbiah, parfois au contraire elle dessert sont
objet. C’est par exemple le cas de L’univers des jeux vidéo des frères Le Diberder qui a force de vouloir argumenter en
leur faveur instille le doute sur leur intérêt, ou plus largement des game studies qui, faute de questionner
leur objet, esquivent le plus souvent la question de sa pertinence.
Mathieu Triclot, peut-être
parce qu’il est philosophe, essaie au contraire de resituer le jeu vidéo dans
son héritage populaire et technologique, mais sans en tirer ni honte ni fierté.
Et en cela son ouvrage est le constat serein que nous avons passé une étape,
que le jeu vidéo n’a plus besoin d’être défendu ni placé sur un piédestal pour
que la communauté scientifique s’y intéresse. De ce point de vue il est le
pendant de Jouer et Philosopher de
Colas Duflo qui ne traitait que des jeux traditionnels, et qui faisait la
synthèse de la pensée ludologique des années 90. L’héritage de Mathieu Triclot
n’est pas différent, mais il intègre la pensée anglo-saxonne et les recherches
interdisciplinaires qui faisait défaut au premier : l’approche est à la
fois sociologique, cognitive et subjective. C’est donc résolument une synthèse
des recherches des années 2000.
Certes on peut regretter
que l’aspect ludologique soit si minoré, mais dans la mesure où cet essai se
fonde sur l’expérience de jeu et le contexte culturel pour qualifier le jeu
vidéo, sans en tirer de comparatif puérile, le parti pris est acceptable. Comme
dans Jeux vidéo et médias du XXIe siècle,
l’héritage technologique et culturel du support vidéoludique est souligné au
point d’en déterminer la physionomie : « L’arcade
parvient ainsi à agencer de manière extraordinaire l’économie du jeu vidéo et
l’économie libidinale du joueur. Il faut perdre, il faut s’exposer à la perte
inévitable, symbolisée dans le quarter, la pièce de monnaie. De là la
difficulté sans doute à transposer sans changement l’arcade au salon sur les
consoles, où plus rien ne justifie la nécessité de perdre, plus rien ne
symbolise la défaite. » (p. 154).
Mais derrière ce
déterminisme structurel et historique, l’auteur essaie de faire émerger
l’essence expressive du médium, démontrant brillamment que la forme n’est
jamais que le fond qui remonte à la surface : « L’histoire type met en scène le traditionnel sorcier maléfique qui
menace le monde a l’aide de ses hordes de créatures dont le héros devra venir à
bout. Il est impossible de ne pas percevoir l’analogie entre la structure de
l’histoire le sorcier. L’envoûtement du jeu se superpose exactement au
maléfice. Le seul moyen de s’en libérer consiste à aller jusqu’au bout, à
achever l’histoire pour que la vie puisse enfin reprendre ses droits. »
(p. 179) Et ce faisant, est affirmé la magie du jeu dont l’expression épouse
les contours.
Un essai à la fois
brillant et humble – écrit avec une simplicité qui rend hommage au caractère
populaire du sujet – dont le succès critique est amplement mérité. Une
excellente surprise.
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