Paru pour la première fois en 1941, l’essai d’Henri Wallon a fait date au point
qu’il est souvent cité par l’épistémologie, en particulier par Le jeu pour le jeu de Joseph Leif et Lucien
Brunelle, ou plus récemment par Gilles Brougère dans Jouer / apprendre. Dans une langue simple, cette étude résume les
caractéristiques du jeu, même si elle n’apporte plus autant soixante-dix ans
après sa parution. Etrangement l’ouvrage détaille peu ce qui en fait la
spécificité du jeu pour l’enfant, même si le parti pris psychogénétique de
l’auteur résume parfaitement le rôle du jeu pour l’homme et plus largement tous
les être pensants : « Le jeu est
sans doute une infraction aux disciplines ou aux tâches qu’imposent à tout
homme les nécessités pratiques de son existence, le souci de sa situation, de
son personnage. Mais, bien loin d’en être la négation ou d’être le renoncement,
il les suppose. C’est par rapport à elles qu’il est goûté comme une détente, et
aussi comme une reprise d’élan ; car, à l’abri de leurs exigences, il est
le libre inventaire et la mise au point de telles ou telles disponibilités
fonctionnelles. » (p. 62). C’est simple et clair, surtout si on
compare ce texte à celui de Jeux de velus
de Claude Bensch qui réussit à faire moins bien quelque soixante ans plus tard.
L’auteur accomplit une synthèse pertinente
des connaissances de son époque en y ajoutant sa propre touche : « On a pu appliquer au jeu la définition que
Kant a donné de l’art : ‘‘une finalité sans fin’’, une réalisation qui ne
tend à rien réaliser que soi. Dès qu’une activité devient utilitaire et se
subordonne comme moyen à un but, elle perd l’attrait et les caractères du jeu. »
(p. 59). Le caractère hédoniste du jeu est ainsi posé même si pour l’enfant il
est analysé dans une perspective d’apprentissage. Par opposition, le jeu des
adultes est donc pour Henri Wallon le seul réellement gratuit… donc
inutile : « Provisoirement
isolées, ces fonctions ne répondent pas au plan d’affectivité efficace qui est
devenu celui de l’espèce. Aussi leurs manifestations ont-elles quelque chose
d’inutile et de gratuit. Elles semblent jouer pour elles-mêmes. Et c’est ainsi
qu’elles peuvent rappeler les jeux de l’adulte. » (p. 60). Ce qui
montre surtout qu’en dépit d’un raisonnement solide, l’auteur butte encore et
toujours sur ses préjugés : le jeu est la chose de l’enfant et ne saurait
qu’être une survivance régressive chez l’homme mature. Pourtant, comme l’ont
rappelé depuis Bruno Bettelheim dans Une Psychanalyse du jeu ou Stéphane Jacob dans Petits joueurs, aucune activité source du plaisir ne saurait être gratuite.
D’autre part, en matière de définition,
Henri Wallon peut être considéré comme l’inspirateur de Colas Duflo dans Jouer et philosopher, puisque pour
lui : « Le jeu résulte lui-même
du contraste entre une activité libérée et celle où normalement elle s’intègre.
C’est entre des oppositions qu’il évolue, en les surmontant qu’il se réalise. »
(p. 67). On n’est donc pas loin de « L’invention d’une liberté dans et par
une légalité. » Quant à la composante du hasard, elle est abordée dans sa
capacité à créer l’événement : « Le
hasard est l’antidote du destin quotidien, il contribue à y soustraire le jeu. »
(p. 69). Sans doute cette analyse profite en creux de l’absence de celle de
Roger Caillois qui n’est alors pas encore écrite, puisque par la suite, pour
toute justification du hasard comme caractéristique intrinsèque du jeu, nous
n’aurons plus droit qu’à la citation du seul nom de Caillois ou du terme alea. Enfin l’auteur innove en
délaissant le symbolisme et en insistant sur l’expérience ludique, moyen
privilégié d’appropriation et de compréhension de la part de l’enfant : « Des enfants qui jouent au ‘‘papa et à la
maman’’ ou ‘‘au mari et à la femme’’ cherchent évidemment à reproduire les
faits et gestes de leurs parents, mais leur curiosité les pousse à vouloir éprouver les motifs intimes de ce
qu’ils imitent, et, faute d’en avoir la connaissance, c’est dans leur expérience personnelle qu’ils
puisent. » (p. 72).
Ainsi, en 1941 Henri Wallon montre la voie
à suivre pour les recherches postérieure et va plus loin que bien de ses
continuateurs. Une bonne synthèse dont l’intérêt actuel dans la compréhension
du jeu reste cependant surtout historique.
L’évolution
psychologique de l’enfant (1941) d’Henri Wallon, Armand Colin 1968, pages 57-73, épuisé, autre édition disponible : 20.80 €.
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