Nous avions souligné l’intérêt de
l’exposition Art du jeu, jeu dans l’art
qui réalisée au musée national du Moyen Age du 28 novembre 2012 au 4 mars 2013
en dépit du fait qu’il était impossible de jouer aux jeux présentés et qu’il
s’agissait davantage d’anoblir le jeu au moyen de l’art, le jeu n’étant qu’un
prétexte à la mise en valeur des collections du musée qui renferme entre autres
le magnifique échiquier de cristal de roche et d’argent doré dit
« échiquier de Saint Louis ». Le propos était donc moins de faire le
point sur l’évolution des pratiques entre l’époque babylonienne et le Moyen Age
que d’offrir un prétexte attractif au rassemblement de beaux objets ayant
traits de près ou de loin au jeu. L’exposition s’est tout de même fendue de
quelques panonceaux évocateurs et plutôt réussis sur le jeu comme parabole du
champ de bataille, sur le jeu et la mort ou le jeu et le destin en le
rapprochant de l’art divinatoire.
On attendait du catalogue qu’il vienne
légitimement poursuivre et approfondir l’exposition, voire qu’il permette d’en
dépasser les limites en révélant les pratiques derrière l’objet jeu.
Malheureusement la poignée d’articles proposés en ouverture n’est pas plus
pertinente que la moyenne dans ce type de littérature : l’article
« Jouer par terre » évoque ainsi le jeu avant que les tabliers se
popularisent, ce qui est plutôt paradoxal dans une exposition qui donne la
place centrale à la beauté matérielle des plateaux de jeux. C’est loin d’être inintéressant en soi, sauf
que l’art du jeu comme pratique n’est jamais le propos du reste de l’ouvrage
qui met allègrement sur le même plan des analyses croisées sans rapport :
un jeu donné (les échecs), un genre de jeux (les cartes), un questionnement sur
le hasard, une parabole sur le jeu comme lutte, etc. Le jeu semble prétexte à
des points de vue différents qui ne sont jamais reliés. Bref, comme dans la
plupart des catalogues, la thématique n’est qu’un alibi et n’éclaire pas la
plupart du temps la signification de l’acte auxquels tous ces objets, qui
étaient tout sauf de la décoration, se rattachent.
Les objets sont comme d’habitude chez les
conservateurs de musée décrits en détail du point de vue des matériaux, de
l’origine, de leur authenticité, mais trop rarement de leur signification. Et
quand par hasard l’un d’entre eux s’aventure à émettre des hypothèses, c’est
bien souvent gratuit : « Si un
joueur ne s’attirait pas les bonnes grâces de la fortune de la Fortuna / Tyché
mais savait contenir ses émotions – qualité fort appréciée –, on pouvait le
considérer comme un joueur intelligent. Cela pourrait bien expliquer la quasi-absence
du jeu purement stratégique Ludus latronculorum dans l’espace public. »
(p. 23). Est-ce à dire que la majorité n’étant pas intelligente on ne jouait
pas à ces jeux ? Bien curieux raisonnement qui oublie se souligner que
l’immense majorité du public d’alors étant analphabète, voire ne sachant pas
compter, il lui était difficile de jouer à des jeux qui nécessitait des
capacités de calcul et d’abstraction : le hasard est d’abord un facteur
d’équilibrage et d’accessibilité, il suffit de considérer les jeux pour enfants
ou les jeux les plus anciens. De même quand l’un des auteurs précise « Ainsi
la partie d’échecs construit-elle un univers où le jeu de l’amour est maîtrisé
car clairement codifié, par opposition aux pulsions primaires qui pourraient
être illustrées par un jeu de dés. » (p. 118), il semble oublier que les
échecs se jouaient au Moyen Age avec des dés…
Mais l’ouvrage a quelques bons passages,
que ce soit pour préciser la signification que revêtait l’affrontement autour
d’un tablier de trictrac, visible jusque dans les pions employés : « Ces disques en ivoire sculpté étaient
utilisés au Moyen Âge dans un jeu de table, sorte d’ancêtre du trictrac. Chaque
joueur disposait de quinze pièces, bien que le jeu opposât bien souvent les
douze travaux d’Hercule, le héros antique, aux exploits de Samson, le héros
biblique, doté par Dieu d’une force surnaturelle. » (p. 116) ; ou
encore la symbolique guerrière dont se paraît la lutte des deux
adversaires : « Le plateau sur
lequel sont lancés les dés, et où sont dressés les pions de deux joueurs
s’affrontant, semble bien avoir été de tout temps envisagé, par les joueurs
eux-mêmes, comme un champ de bataille en miniature. C’est que nous suggère par
exemple les pions en forme de captifs du monde égyptien, qui trouvent une
correspondance séduisante dans l’univers de l’empereur Néron si l’on en croit
un poète sicilien de sa cour artistique du nom de Calpurnius Siculus (Eloge de
Pison). » (p. 118). Auteur dont Louis Becq de Fouquières a tiré sa
belle reconstitution des règles du jeu des latroncules.
Un superbe catalogue présentant des pièces
exceptionnelles, mais guère plus que cela.
Art
du jeu, jeu dans l’art : de
Babylone à l’Occident médiéval, édité par Isabelle Bardiès-Fronty, Réunion
des musées nationaux 2012, 160 pages, 34 €.
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