jeudi 1 août 2013

Art du jeu, jeu dans l'art : de Babylone à l'Occident médiéval

Nous avions souligné l’intérêt de l’exposition Art du jeu, jeu dans l’art qui réalisée au musée national du Moyen Age du 28 novembre 2012 au 4 mars 2013 en dépit du fait qu’il était impossible de jouer aux jeux présentés et qu’il s’agissait davantage d’anoblir le jeu au moyen de l’art, le jeu n’étant qu’un prétexte à la mise en valeur des collections du musée qui renferme entre autres le magnifique échiquier de cristal de roche et d’argent doré dit « échiquier de Saint Louis ». Le propos était donc moins de faire le point sur l’évolution des pratiques entre l’époque babylonienne et le Moyen Age que d’offrir un prétexte attractif au rassemblement de beaux objets ayant traits de près ou de loin au jeu. L’exposition s’est tout de même fendue de quelques panonceaux évocateurs et plutôt réussis sur le jeu comme parabole du champ de bataille, sur le jeu et la mort ou le jeu et le destin en le rapprochant de l’art divinatoire.

On attendait du catalogue qu’il vienne légitimement poursuivre et approfondir l’exposition, voire qu’il permette d’en dépasser les limites en révélant les pratiques derrière l’objet jeu. Malheureusement la poignée d’articles proposés en ouverture n’est pas plus pertinente que la moyenne dans ce type de littérature : l’article « Jouer par terre » évoque ainsi le jeu avant que les tabliers se popularisent, ce qui est plutôt paradoxal dans une exposition qui donne la place centrale à la beauté matérielle des plateaux de jeux.  C’est loin d’être inintéressant en soi, sauf que l’art du jeu comme pratique n’est jamais le propos du reste de l’ouvrage qui met allègrement sur le même plan des analyses croisées sans rapport : un jeu donné (les échecs), un genre de jeux (les cartes), un questionnement sur le hasard, une parabole sur le jeu comme lutte, etc. Le jeu semble prétexte à des points de vue différents qui ne sont jamais reliés. Bref, comme dans la plupart des catalogues, la thématique n’est qu’un alibi et n’éclaire pas la plupart du temps la signification de l’acte auxquels tous ces objets, qui étaient tout sauf de la décoration, se rattachent.

Les objets sont comme d’habitude chez les conservateurs de musée décrits en détail du point de vue des matériaux, de l’origine, de leur authenticité, mais trop rarement de leur signification. Et quand par hasard l’un d’entre eux s’aventure à émettre des hypothèses, c’est bien souvent gratuit : « Si un joueur ne s’attirait pas les bonnes grâces de la fortune de la Fortuna / Tyché mais savait contenir ses émotions – qualité fort appréciée –, on pouvait le considérer comme un joueur intelligent. Cela pourrait bien expliquer la quasi-absence du jeu purement stratégique Ludus latronculorum dans l’espace public. » (p. 23). Est-ce à dire que la majorité n’étant pas intelligente on ne jouait pas à ces jeux ? Bien curieux raisonnement qui oublie se souligner que l’immense majorité du public d’alors étant analphabète, voire ne sachant pas compter, il lui était difficile de jouer à des jeux qui nécessitait des capacités de calcul et d’abstraction : le hasard est d’abord un facteur d’équilibrage et d’accessibilité, il suffit de considérer les jeux pour enfants ou les jeux les plus anciens. De même quand l’un des auteurs précise « Ainsi la partie d’échecs construit-elle un univers où le jeu de l’amour est maîtrisé car clairement codifié, par opposition aux pulsions primaires qui pourraient être illustrées par un jeu de dés. » (p. 118), il semble oublier que les échecs se jouaient au Moyen Age avec des dés…

Mais l’ouvrage a quelques bons passages, que ce soit pour préciser la signification que revêtait l’affrontement autour d’un tablier de trictrac, visible jusque dans les pions employés : « Ces disques en ivoire sculpté étaient utilisés au Moyen Âge dans un jeu de table, sorte d’ancêtre du trictrac. Chaque joueur disposait de quinze pièces, bien que le jeu opposât bien souvent les douze travaux d’Hercule, le héros antique, aux exploits de Samson, le héros biblique, doté par Dieu d’une force surnaturelle. » (p. 116) ; ou encore la symbolique guerrière dont se paraît la lutte des deux adversaires : « Le plateau sur lequel sont lancés les dés, et où sont dressés les pions de deux joueurs s’affrontant, semble bien avoir été de tout temps envisagé, par les joueurs eux-mêmes, comme un champ de bataille en miniature. C’est que nous suggère par exemple les pions en forme de captifs du monde égyptien, qui trouvent une correspondance séduisante dans l’univers de l’empereur Néron si l’on en croit un poète sicilien de sa cour artistique du nom de Calpurnius Siculus (Eloge de Pison). » (p. 118). Auteur dont Louis Becq de Fouquières a tiré sa belle reconstitution des règles du jeu des latroncules.

Un superbe catalogue présentant des pièces exceptionnelles, mais guère plus que cela.

Art du jeu, jeu dans l’art : de Babylone à l’Occident médiéval, édité par Isabelle Bardiès-Fronty, Réunion des musées nationaux 2012, 160 pages, 34 €.

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