mardi 6 novembre 2007

La violence et les jeux vidéo

S’il est une évidence que de nombreux jeux vidéo sont violents, ce n’est qu’une évidence journalistique que tous les jeux vidéo sont violents et rendent violents. En effet, l’Allemagne a été le premier pays à interdire certains jeux vidéo pour leur violence, comme Doom, sans aucun effet palpable sur la violence des adolescents. Enfin, cela n’est qu’un reflet de la perception de la violence par le politique, car aux USA, c’est une séquence interactive cachée à caractère sexuel qui a entraîné la colère de la Maison blanche, dans le jeu Grand Theft Auto 3 ou l’on incarne un mafieux qui écrase les piétons sur la route de son bolide. Mais aux Etats-Unis, il n’y a pas de limite à la violence à l’écran, alors que la sexualité est tabou. Un noir qui embrasse une blanche dans le cinéma américain n’existe que dans les films de Spike Lee, en revanche le spectacle de la torture est accepté. On a à peu près la position inverse en Europe, particulièrement en France.

Dès la prise de la maternelle de Neuilly par un ‘human bomb’ en 1993, un journaliste avait mentionné les jeux vidéo comme possible cause de la psychose du preneur d’otage. Mais les jeux de rôle (bien qu’innocentés par la suite) étant alors le bouc émissaire affiché des journalistes depuis l’affaire de la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990, la thèse n’avait rencontré aucun succès. Cependant, depuis que les jeux de rôles ont perdu de leur superbe face à la montée en charge du jeu vidéo, c’est le massacre du lycée de Colombine en Californie en 1999 qui va pointer le nouveaux le loisir de masse des jeunes. En effet, les deux adolescents responsables du drame ont commencé par faire un site web qui fournissait des niveaux pour le jeu Doom, avant de le faire dévier vers la fabrication de bombes et le pamphlet idéologiste.

Reprocher à un jeu vidéo de mettre en scène le meurtre, ce serait comme critiquer que les Echecs, l’un des plus anciens jeux, fasse l’apologie de la guerre, de l’ostracisme et de l'inégalité sociale : des rangs féodaux qui déterminent l’importance des pièces, les noirs contre les blancs, un seul but : écraser l’adversaire. Le principe même de jeu est de mettre en compétition les joueurs, l’élimination de l’adversaire étant souvent la seule solution à la confrontation. Ironiquement, ce sont les jeux de rôle qui les premiers ont proposé d’abolir la compétition entre les joueurs au profit de la collaboration et de l’imagination… on voit combien cela a été mis à leur crédit par les médias. Ensuite, la critique s’est durcie autour de l’aspect de mise en scène virtuelle du meurtre, puisque le joueur est le sujet de l’action. Mais un jeu vidéo sans action n’est pas possible, au contraire d’un livre ou d’un film comme le Désert des Tartares ou le Christ s’est arrêté à Eboli. En effet, tout principe ludique repose sur l’action, quelle qu’elle soit. Dès que le joueur devient spectateur de celle-ci, il cesse de jouer. Enfin, c’est le réalisme qui a été pointé, alors que ce réalisme participe à l’immersion du joueur, de même que l’action mimétique participe à la catharsis de son pendant réel : c’est la fonction de ‘défouloir’ propre au jeu vidéo. Qu’une flèche détruise un carré à l’écran n’a rien d’excitant, en revanche lorsque vous tirez une roquette qui fait exploser deux ou trois têtes, c’est déjà plus jouissif. Et cela ne l’est seulement que parce que c’est à la fois très réaliste et « pour de faux », l’un des grands plaisirs du jeu étant l’illusion du réel : se prendre pour ce qu’on n’est pas, faire ce qui est impossible ou interdit dans la réalité.


Le fusil à pompe est un grand succès des FPS pour ses effets visuels éloquents (recul de l'arme, puissance de perforation, arrosage sanguinolent des alentours...), qui participent pleinement à la dimension de défoulement graphique du jeu. Un pistolet, qui ne fait qu'abattre l'adversaire, est en comparaison bien ennuyeux (Resident Evil 4 de Capcom sur Gamecube).

Cela me rappelle une comptine, La légende de saint Nicolas, que je réclamais à ma mère étant petit : « Ils étaient trois petits enfants Qui s'en allaient glaner aux champs. Tant sont allés tant sont venus, Que sur le soir se sont perdus. S'en sont allés chez le boucher: Boucher voudrais-tu nous loger? Entrez, entrez petits enfants, il y a d'la place assurément. Ils n’étaient pas sitôt entrés Que le boucher les a tués, Les a coupés en p’tits morceaux, Mis au saloir comme pourceaux. » J’attendais sans bruit ce moment, et j’éclatais de rire à cet endroit, ce qui effrayait assez ma mère. Ça me fait toujours rire aujourd’hui, particulièrement quand ma mère le raconte. Je ne pense pas être plus sadique qu’un autre. En revanche, que les enfants, et les adultes qu’ils deviennent plus tard, aiment à se faire peur pour paradoxalement se rassurer, est une évidence. Le succès des films d’horreur le prouve assez en suscitant une peur fictive pour, par opposition, éprouver la réelle sécurité dont on jouit.

Les deux adolescents s’intéressaient à Doom car ils y trouvaient une réponse à leurs besoins de violence, et ne sont pas devenus violent parce qu’ils jouaient à Doom. Cette réponse, est devenue petit à petit insuffisante, ce qui les a poussés à passer à l’acte dans la réalité. Si les deux jeunes n’avaient pas eu les jeux vidéo, ils auraient peut être fait leur passage à l’acte avant, en tout ce qu’on peut dire, c’est qu’ils l’auraient fait. Le récit des événements par les témoins du drame est éclairant à ce sujet : « Au bout de plusieurs minutes, visiblement lassés [de tirer sur les élèves], Harris et Klebold se concertèrent sur les actions alors à mener (tuer aux armes à feu ne les excitait plus, ils évoquèrent l'idée de se servir de couteaux) ». Et si depuis Colombine, le massacre dans les lycées a fait des petits, c’est le principe d’entraînement des médias (comme ce fut le cas de la grève de la faim « inventée » par Gandhi dans les années 30, le suicide par immolation par le feu d’un moine tibétain dans les années 60, ou le « suicide by cops » dont la prise de la maternelle est un cas reconnu) qui en est responsable, en offrant un modèle d’autodestruction à des individus à la dérive. Mais cette responsabilité des médias, et plus largement celle de la société tout entière qui engendre la frustration et le rejet d’elle-même, est inacceptable pour le peuple qui veut toujours un responsable désigné à ses malheurs, sans quoi ceux-ci n’auraient pas de sens, et des médias qui se chargent de leur trouver systématiquement un bouc émissaire. La violence à toujours existé et existera toujours, inutile de pointer du doigt les jeux vidéo, ou un quelconque loisir.

Si les jeux ont un rôle social, c’est bien celui de libérer temporairement les joueurs de leurs frustrations et du poids que la société fait peser sur eux, en leur faisant échapper à leur quotidien. C’est un peu de rêve nécessaire dans la vie de tous les jours, particulièrement si le vôtre est d’arracher la tête d’un voisin à la tronçonneuse.

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