La première chose qui frappe à la lecture du titre c’est que l’on ne voit pas bien ce que vient faire le multimédia entre les jeux vidéo et les jeux de rôle. J’ai eu un élément de réponse récemment lorsque un agent de l’administration, me questionnant sur ma formation vidéoludique, m’a dit : « Ah, vous faites une formation multimédia »… croyant sans doute reformuler de manière plus sérieuse, donc plus valorisante, l’intitulé de ma spécialité. Ce à quoi j’ai répondu par la négative. Au contraire, je trouvais a priori pertinent de rapprocher les jeux vidéo des jeux de rôle (sans « s », merci) sous le principe de la création d’univers, et c’est bien ce qui m’a fait acheté ce livre. Hélas, le titre est totalement usurpé et aucun élément du livre ne fait allusion au sous-titre…Le contenu est donc à l’image du titre : bancal. Je crois que la dernière phrase de la conclusion résume parfaitement le livre: « Mais peut-être s’écarte-t-on là un peu du jeu ? » En effet, il n’est question ni des jeux de rôle, malgré un historique, ni des jeux vidéo, en dépit de l’absence d’historique, mais de la pratique de ceux-ci par les joueurs, et plus précisément du profil sociologique de ces derniers. Donc en définitive il n’est pas plus question des jeux de rôle, que des jeux vidéo, que du multimédia ou des faiseurs de monde.
D’abord conçu comme une thèse de 3e cycle, l’ouvrage suinte la langue scolaire et les références universitaires par tous les pores : je ne compte plus les guillemets et les parenthèses qui gangrènent le discours. En outre, on peut avoir 3 pages de résumé de la pensée de tel sociologue fameux qui n’a aucun rapport avec le sujet, simplement pour dire que les joueurs sont des « héritiers » au sens donné par Bourdieu, et prouver que l’auteur a bien potassé ses cours. Or, ces références brouillonnes éloignent l’analyse de l’essentiel : en quoi ces « jeunes, ces bourgeois, ces héritiers » pour reprendre la terminologie très marxiste et pour le moins datée de l’ouvrage, sont différents des autres adolescents de leur âge ? Je pense qu’en commençant par là, l’auteur se serait aperçu que les joueurs sont simplement des adolescents comme les autres, qui se montrent critiques face à la société parce qu’ils sont adolescents et non parce qu’ils sont joueurs, et que cela ne valait pas un ouvrage sur les "refaiseurs de monde".
De même, plutôt que de se demander si le club de tel patelin est représentatif, n’aurait-il pas été préférable de se demander si la population des clubs de jeux de rôle est représentative de sa pratique dans la société ? Par exemple, si l’auteur avait voulu analyser l’importance du football dans notre société, serait-il allé chercher des clubs de supporters, plutôt que le spectateur/pratiquant moyen ? Peut être en aurait-il alors déduit que les clubs conduisent à une échelle de valeurs et un communautarisme en marge de la société, et donc une distanciation critique ? N’est-ce pas en outre les attaques de circonstances à l’encontre de leur passion qui rendent les joueurs hostiles aux médias, et davantage critiques vis-à-vis de la société ? En permanence le sociologue questionne sa démarche, ce qui revient à nier la capacité critique du lecteur, tout en se posant les mauvaises questions. En outre, est-il sage de publier un livre en 2001 fondé sur des études sociologiques datant du milieu des années 90, marqué par la « diabolisation » de la pratique des jeux de rôle ? On se sent ainsi étranger à un discours de justification désormais totalement dépassé, qu’alimente malgré lui l’auteur.
On espérait être affranchi de ce biais pour la partie consacrée aux jeux vidéo, mais c’est au contraire l’absence de polémique qui pilote l’analyse, l’auteur s’inquiétant que le jeu vidéo impose une idéologie capitaliste et ethnocentrée, implicitement acceptée par les joueurs. Et c’est là le reproche principal qu’on peut faire à l’ouvrage : jamais l’auteur ne considère que l’individu qui joue est dans une position cathartique. Pourtant, les Echecs exaltent la guerre, le Monopoly le capitalisme, le Trivial Pursuit l’élitisme, le Risk l’impérialisme… En refusant de considérer ce qui fait les caractéristiques du jeu, il passe à côté de l’essentiel : un jeu sans enjeu, sans mécanisme de compétition, de pouvoir, de dépassement, sans principe de réussite et d’échec, de sanction et de récompense n’est tout simplement pas un jeu. Et si Civilization ou Colonization font référence à l’histoire, c’est qu’elle est un moyen d’accrocher l’imaginaire du joueur, plus que la conquête de Mars qui n’a jamais eu lieu… C’est ce principe d’univers référentiel qui fait qu’un joueur préfère généralement faire exploser des têtes dans Doom, qualifié par l’auteur de militariste, que sauter sur des champignons dans Mario. Et pourtant les champignons de Mario sont éliminés comme les aliens de Doom.
Enfin, certaines erreurs patentes questionnent la légitimité de l’auteur par rapport à son sujet : Sony serait le fabricant de la Dreamcast, le multimédia une métaphore du jeu (monter son propre ordinateur c’est comme réussir un jeu…), les jeux de rôle auraient périclité à cause de la fin des affaires comme celle de la profanation du cimetière de Carprentras (alors que ces jeux ont connu une baisse de la pratique à cause de l’investissement personnel qu’ils requièrent en comparaison de celui nécessaire pour les jeux de cartes à collectionner du type Magic et les jeux vidéo, dont l’avènement pour les premiers et le bond technologique associé à la démocratisation des plate-formes pour le second date de la fin des années 90)…. Bref, un ouvrage novateur par son approche sociologique sur notre passion, plutôt plaisant à lire, mais au contenu dépassé, mal maîtrisé et inabouti.
Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia : Les faiseurs de monde de Laurent Trémel, PUF 2001, 310 pages, 23 €
3 commentaires:
Cher M. Don Diego,
on m'a signalé votre critique.
L'initiative m'a tout d'abord paru sympathique... Hélas, votre prose révèle un manque de rigueur accablant : vous avez parfaitement le droit de ne pas aimer le livre, de trouver "démodée" la pensée "marxiste", voire les travaux de Bourdieu ou la sociologie que je pratique... Mais, au choix, soit vous faites preuve d'incompétence face à des concepts que vous ne maîtrisez pas, soit - afin de tenter de paraître "tendance" et de vous attirer les faveurs des lecteurs potentiels de ce blog qui, pour des raisons politiques ou économiques, pourraient être intéressés par la déconstruction de ma thèse - vous sombrez dans la démagogie. A moins que vous ayez tout bonnement lu le livre en diagonale...
Je n'ai malheureusement pas le temps de polémiquer avec vous, mais, face à ce tissu d'incohérences édité publiquement, je tiens malgré tout à relever ce contresens "magistral" : mon travail démontre précisément l'inverse que ce que vous prétendez que j'avance : hé non, les rôlistes, ou encore la majeure partie des joueurs de jeux vidéo interrogés dans le cadre de ma recherche ne sont pas des "héritiers"... Dommage !
Votre copie est donc visiblement à revoir : (re)lisez notamment les démonstrations pp. 127-142 (la page 136 si vous êtes si pressé que cela)...
Laurent Trémel
PS : je vous signale par ailleurs que les "thèses de 3e cycle" n'existent plus depuis belle lurette !
(suite, et fin...)
Un exemple édifiant des procédés rhétoriques que vous utilisez sur votre Blog...
En cherchant à me décrédibiliser, vous écrivez : "certaines erreurs patentes questionnent la légitimité de l’auteur par rapport à son sujet".
Il y a en effet une "erreur" (une coquille plutôt d'ailleurs, mais passons...) lorsque la Dreamcast est attribuée dans le livre à Sony (cf. note 1 page 198). Mais, n'effectuant pas une étude de marketing pour telle ou telle firme, cela ne remet pas en cause la démonstation effectuée là (développement du marché des consoles avec le désir des fabricants d'apporter davantage de sophistication à leurs produits).
En revanche, je ne vois pas en quoi les autres points que vous relevez constituent des "erreurs" mon cher...
D'une façon pédante, vous remettez en cause les hypothèses que j'avance dans l'ouvrage :
1/ L'UNE des explications à la baisse du nombre de rôlistes que j'avance tiendrait dans le fait que comme les médias généralistes n'en parlaient plus guère - y compris de manière négative - ces produits perdaient en visibilité au niveau social, alors qu'en parallèle les éditeurs de jeux vidéo sont à même d'assurer des formes de publicité directe et indirecte à leurs produits en raison de l'argent dont ils disposent et de leurs bons relais dans les médias. Mise à part la croyance en votre propre génie, pouvez-vous préciser ce qui vous autorise à qualifier cette hypothèse "d'erreur patente" ? Sur quels travaux vous basez-vous ?
2/ De même, tout en réduisant ma démonstation entre les liens unissant les mécanismes des jeux vidéo avec les discours sur le multimédia ou encore la façon dont un joueur peut entrer dans le processus de perfectionnement de sa "machine" afin de la rendre plus "performante" à une "métaphore du jeu" [n'étant pas philosophe, mais sociologue, je ne peux adhérer pleinement à cette vision de mon travail, même si cette hypothèse est présente : je me base sur des observations de pratiques sociales avant d'affirmer telle ou telle chose], je ne vois pas, là encore, ce qui vous autorise à affirmer de manière péremptoire qu'il s'agit là d'une nouvelle "erreur patente".
J'en reviens donc à ce que j'avançais précédemment : soit vous jouez là au "pseudo-savant" afin de satisfaire votre ego (alors que vous n'êtes visiblement pas à même de maîtriser certains concepts ou certaines démarches que vous évoquez), en voulant "casser" -
sous couvert de votre pseudonyme - des travaux qui vous déplaisent, soit vous vous livrez à une présentation volontairement biaisée, ou caricaturale, de travaux pouvant contribuer à remettre en cause la légitimité sociale du secteur professionnel dans lequel vous évoluez à des fins parfaitement intéressées d'auto-promotion. L'une des hypothèses n'excluant, d'ailleurs, pas l'autre...
Quoi qu'il en soit, comme vous vous exprimez publiquement, que la "critique" que vous avez rédigée sur mon livre présente des dimensions quasi-insultantes, il me semblait utile de venir questionner votre démarche ici, par rapport au lectorat potentiel de votre Blog.
Laurent Trémel
Bonjour M. Tremel,
Je m'excuse en premier lieu d'avoir tardé à vous répondre, je n'ai pas la même chance que vous, et l'on ne m'a pas signalé votre commentaire. Je croyais même être le seul à lire mon blog ! Or, Blogger est très mal fait pour la consultation des commentaires.
Sachez donc que pour un premier commentaire, je suis flatté que ce soit l'auteur en personne qui me réponde.
Je pense en premier lieu que vous donnez beaucoup trop d'importance à ce que j'écris, et je ne suis pas sûr que beaucoup de gens auraient relevé ma critique sur votre ouvrage. Mais je suppose que la véhémence de vos commentaires sont à la hauteur de votre déconvenue. Pourtant, vous qui avez étudié sociologiquement la "culture critique" des joueurs, vous devriez mieux savoir que quiconque qu'elle valeur accorder à mes propos.
Vous "questionnez ma démarche", mais elle n'est que l'avis d'un lecteur qui vous a lu attentivement, qui a apprécié votre livre, mais qui n'est pas d'accord avec vous. A la rigueur, si vous voulez savoir ce qui me fait porter un tel jugement, je vous invite à parcourir mon blog et a consulter les ouvrages que j'ai le plus appréciés. Ils vous en diront plus que moi sur les autres approches possibles du jeu et des "faiseurs de monde".
Et n'ayez aucune inquiétude, c'est le lecteur de votre livre qui tranchera et, qui sait, mon blog et votre commentaire lui ont fait peut-être fait de la pub, c'est tout le mal que je lui souhaite.
Dans tous les cas, prenez les choses avec philosophie : j'ai acheté votre livre, assez cher je trouve, et c'est donc toujours en définitive l'auteur, à savoir vous, qui en ressortez gagnant.
Enfin, faites confiance au lecteur, si ma critique est un tel "tissu d'incohérences", elle ne saurait vous faire du tort et se discrédite d'elle-même.
Je n'ai rien contre vous (bien au contraire), pas même votre commentaire, et je compte bien me procurer votre second ouvrage (collaboratif), que je critiquerai ici quand je l'aurai lu. Je ne doute pas d'y trouver des réflexions intéressantes.
Ludiquement,
Don Diego
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